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Fac et professionnalisation : les vieux clichés d’Emmanuel Macron

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[Rentrée sous tension à la fac] Le chef de l’Etat veut faire le ménage parmi certaines formations universitaires pas assez « diplômantes » ou « qualifiantes », mais les facs ne l’ont pas attendu pour penser la professionnalisation des cursus et l’insertion de leurs étudiants.

PHOTO : Lissillour Lorenzini
Dossier 2/3

« Je n'avais pas entendu, depuis Alice Saunier-Seïté, [secrétaire d'État aux Universités de 1976 à 1981, NDLR] dire que les universités étaient des usines à chômeurs », grinçait Alain Fuchs lors d’une conférence le 20 septembre. Le président de Paris Sciences et Lettres Université (PSL), au ton habituellement compassé, réagissait aux propos tenus par Emmanuel Macron le 4 septembre face au youtubeur Hugo Travers… 

« Je n’avais pas entendu, depuis Alice Saunier-Seïté, [secrétaire d’État aux Universités de 1976 à 1981, NDLR] dire que les universités étaient des usines à chômeurs », grinçait Alain Fuchs lors d’une conférence le 20 septembre. Le président de Paris Sciences et Lettres Université (PSL), au ton habituellement compassé, réagissait aux propos tenus par Emmanuel Macron le 4 septembre face au youtubeur Hugo Travers :

« Il faut avoir le courage de revoir nos formations à l’université et de se demander : sont-elles diplômantes ? Sont-elles qualifiantes ? », s’était alors interrogé le chef de l’État.

Des déclarations reprises quelques jours plus tard par la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, qui a annoncé une « accélération de la transformation de l’offre de formation pour mieux former aux savoirs et aux métiers ».

Les universités sont déjà professionnalisantes

Des attaques qui inquiètent les acteurs de l’enseignement supérieur public, d’abord parce qu’ils trahissent une profonde méconnaissance des universités.

« Nous n’avons pas attendu les déclarations de Macron pour penser à professionnaliser nos étudiants. D’ailleurs, toutes les formations de l’université ont une dimension professionnalisante », souligne Julien Gossa. Le maître de conférences en informatique à l’université de Strasbourg évoque notamment les certifications que les étudiants doivent passer durant leur cursus, en langue ou en informatique par exemple.

La professionnalisation se dessine aussi à travers les stages effectués par les étudiants, avance Julien Barrier, sociologue à l’ENS de Lyon et spécialiste des politiques de l’enseignement supérieur.

« L’idée qu’une partie de la formation se passe au sein de l’entreprise se propage. À l’université, les stages se développent en licence et se sont généralisés en master. »

Cette demande de professionnalisation est d’ailleurs portée par une partie des étudiants, « en lien avec ces discours et la crainte de l’insertion professionnelle », pointe le sociologue. Même si, rappelle-t-il toutefois, « les études statistiques montrent que les diplômés n’occupent pas forcément un emploi en lien direct avec leur formation ».

« Les étudiants ont du mal à visualiser les compétences acquises. Mais elles sont là, pointe Anaïs, enseignante en sociologie dans une université parisienne, qui souhaite rester anonyme. Mes diplômés ne se résument pas au wokisme, ils savent traiter des données statistiques, organiser une synthèse ou encore parler en public. »

L’importance du master

Le gouvernement a insisté sur les licences, évoquant notamment la mise en place d’indicateurs du taux d’insertion pour les sortants, d’ici à 2024. Pourtant, rappelle Anaïs, ces cursus ont été conçus pour continuer en master :

« C’est ce qui a été voulu par le système LMD [licence master doctorat, NDLR], une formation généraliste sur trois ans puis une spécialisation et donc une professionnalisation en master. »

Pour les jeunes qui ne souhaitent pas aller jusqu’en bac +5, il y a d’autres formations, comme les BUT ou les licences professionnelles. « Évidemment qu’une licence de sociologie n’a pas vocation à amener à un emploi spécifique. Un master de sociologie, en revanche, si ! », poursuit Anaïs.

Par ailleurs, les licences « classiques » n’ont, historiquement, pas été construites avec un enjeu de professionnalisation, rappelle Julien Gossa. Et ce simplement « parce qu’il y a trente ans, ces diplômes bac +3 suffisaient pour s’insérer sur le marché de l’emploi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », souligne cet observateur de l’enseignement supérieur. Il ajoute :

« On ramène souvent la formation à la question de l’insertion professionnelle, et avec elle celle du chômage. Mais il faut aussi prendre en compte l’évolution du marché du travail. Lorsque l’on demande un bac +5 pour exercer un métier de cadre, il est normal que les jeunes aillent au niveau master. »

D’autant que, là encore, les études continuent de mettre en évidence le fait qu’un niveau de diplôme élevé reste le meilleur bouclier face au chômage.

La proposition de créer de nouveaux taux d’insertion pour les formations hérisse également la communauté universitaire. Tout comme la professionnalisation, l’insertion sur le marché du travail des diplômés est observée par les universités depuis plus de 15 ans.

« Lorsqu’il évalue les établissements, le Hceres1 prend cela en compte », souligne Françoise Lambert du Sgen-CFDT.

Alors, quand Emmanuel Macron affirme vouloir « mettre en place la transparence sur ce qu’il y a au bout d’une formation », à savoir le nombre d’étudiants effectivement diplômés et leur insertion professionnelle, la syndicaliste lui rappelle que « ces indicateurs existent déjà » :

« 87 % des diplômés de master issus des universités trouvent un travail 18 mois après leur diplôme, 93 % 30 mois après. Ce sont les chiffres du ministère lui-même. À quoi cela sert de réinventer l’existant ? »

Apprendre à apprendre

La vision qu’a Emmanuel Macron de l’enseignement supérieur se résume en un mot : adéquationniste. Le parallèle avec le tri des cursus dans la voie professionnelle, en fonction des besoins des marchés locaux de travail, qu’acte la réforme engagée cette année est dans tous les esprits. L’une des déclarations du Président de la République n’a d’ailleurs pas échappé à Anaïs, la sociologue :

« Il a déclaré vouloir "des formations courtes, diplômantes et qualifiantes dans les villes périphériques". Pourquoi cette distinction avec les autres villes ? On a le droit de faire un master seulement à Paris ? »

« Les universités ne sont pas des lycées professionnels, rappelle pourtant Françoise Lambert. C’est une vision caricaturale ! Demander à l’université de se soucier uniquement de l’insertion professionnelle à court terme de ses étudiants, c’est se tromper lourdement sur ce qu’est l’enseignement supérieur », dénonce-t-elle.

En effet, l’université ne peut se contenter d’une vision sur le court terme, comme le rappelle Guillaume Gellé, président de France université, l’association qui rassemble l’ensemble des présidents d’universités françaises, lors d’une audition à l’Assemblée nationale :

« La valeur ajoutée d’une formation universitaire, du bac +1 au bac +8, c’est l’acquisition de savoirs et de compétences permettant de s’adapter aux évolutions du monde du travail. Or seulement 50 % des métiers qui seront exercés d’ici à 2050 sont connus. Cette adaptation sera majeure. »

D’ailleurs, bon nombre d’étudiants diplômés exercent un métier auquel leur formation ne les a pas préparés, constatent les enseignants interrogés. « J’ai des anciens étudiants en RH, d’autres dans l’associatif ou dans l’éducation nationale, et même en journalisme, rigole Françoise Lambert qui enseigne l’économie à Poitiers. Autant de compétences qu’ils n’ont pas acquises en licence. »

Ce que soulignaient également plusieurs sociologues à partir d’une enquête auprès d’anciens diplômés, montrant que « les compétences spécifiques acquises en formation semblent surtout valorisées dans leur dimension transversale. Ce ne serait pas tant leur caractère technique qui importerait, que les capacités à acquérir d’autres compétences qu’elles suscitent ». Autrement dit, à l’université, on apprend à apprendre et à se former.

« En informatique, vous pouvez former les étudiants sur un logiciel, en croisant les doigts pour ce que soit celui qu’ils auront à utiliser plus tard, ou bien les former à comprendre comment ce genre de logiciel fonctionne pour qu’ils puissent rapidement utiliser la plupart de ces outils », abonde Julien Gossa.

Cette nouvelle polémique sur l’université vient s’ajouter à d’autres : la supposée mauvaise gestion budgétaire des universités ou encore la dénonciation du wokisme dans les cursus et la recherche. Aux yeux d’Alain Fuchs, le président de PSL, ces discours sèment le trouble dans la communauté universitaire et dans la population. « On en est à se demander si la France aime ses universités, fustige-t-il. Et la réponse est peut-être non. »

 

Retrouvez notre série « Rentrée sous tension à la fac »

  • 1. Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur est l’autorité publique indépendante chargée de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche publique en France.

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