Lorsqu’elle traverse les chics Hauts-de-Seine en transports en commun, chaque matin, avec ses chaussures de sécurité et sa tenue orange fluo de ripeuse, Sabine Sevaistre s’amuse « du regard différent que les gens portent sur elle ». Mais l’étudiante de 21 ans en management à l’Essec a décidé de « jouer le jeu à fond » pour son stage au sein de l’entreprise Sepur, spécialisée dans la collecte et le tri des déchets. Comme plus de 400 étudiants de première année dans cette grande école de commerce, elle va devoir mettre pendant quatre semaines les mains dans le cambouis lors de « l’expérience terrain », déclinaison maison des stages dits « ouvriers ».
On rencontre Sabine un mercredi matin au dépôt de Bagneux, à la fin de sa tournée dans la commune de Boulogne-Billancourt, où elle est chargée, cette semaine, de vider et remplacer les poubelles municipales. La semaine précédente, elle balayait les rues, et, dans quelques jours, la collecte des encombrants n’aura plus de secret pour elle. « Les premières journées, j’avais des courbatures partout. En prépa, on est habitués à la fatigue mentale. Là, elle est physique », résume l’étudiante. Lorsque des passants lui font remarquer qu’elle n’a pas le même profil que ses équipiers de collecte (en majorité des hommes, plus âgés), elle répond que « c’est juste pour un mois, pour découvrir la réalité du terrain et la pénibilité au travail ».
Les stages ouvriers constituent une étape quasi systématique dans les formations d’ingénieurs : ils permettent de découvrir la réalité des tâches d’exécution pour de futurs diplômés qui seront amenés à encadrer le personnel les effectuant. En revanche, ils sont plus rares dans les écoles de commerce, où l’apprentissage et la maîtrise technique de la production ne sont pas directement nécessaires.
« Une expérience physique et émotionnelle »
Une poignée de formations en management (Essec, Ieseg, certains IAE, ou encore HEC depuis cette année) en proposent néanmoins à leurs étudiants, sous des appellations et des modalités diverses. Parmi celles-ci, l’Essec fait figure de précurseure, en relançant, dès 2007, les stages, après qu’ils sont tombés en désuétude dans les années 1980 comme dans d’autres écoles. Yann Kerninon, coordinateur de l’expérience terrain à l’Essec, en rappelle les objectifs pédagogiques : « Après les parcours brillants des étudiants en classe préparatoire, principalement construits sur la maîtrise d’enseignements théoriques, cette période de confrontation au réel, à une expérience physique et émotionnelle dès le début de la formation, bouscule les certitudes qu’ils peuvent avoir sur leurs compétences et sur ce qu’on attend d’eux. »
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