Décryptage

Face au sexisme et aux VSS, les écoles de journalisme tentent de s’adapter

Des ateliers sont mis en place dans les écoles de journalisme pour sensibiliser aux questions de sexisme et de représentation des femmes dans les medias.
Des ateliers sont mis en place dans les écoles de journalisme pour sensibiliser aux questions de sexisme et de représentation des femmes dans les medias. © Prostock-studio/Adobe Stock
Par Valentine Daléas, publié le 14 novembre 2023
6 min

Les 14 écoles de journalisme reconnues par la profession sont désormais dotées d’un référent égalité et lutte contre les discriminations. Meilleure représentation des femmes dans les médias, lutte contre les VSS dans les écoles : les défis ne manquent pas.

La déflagration #MeToo n’a pas épargné les écoles de journalisme. "Les écoles sont désormais obligées de se positionner sur cette question, affirme Ariane Lavrilleux, secrétaire générale de Prenons la Une (PLU), l’association féministe des femmes journalistes. Il y a une volonté de prendre davantage en compte les attentes des étudiantes en journalisme."

Depuis février 2019, chaque école de journalisme reconnue dispose ainsi d’un référent "égalité et lutte contre les discriminations", spécifiquement chargé de ces enjeux.

Des ateliers ou des modules dédiés aux biais de genre et VSS

"Une de nos actions phares, c’est d’intervenir dans les écoles de journalisme afin d’avoir un traitement médiatique qui ne soit pas sexiste", explique Ariane Lavrilleux. Ces ateliers de quelques heures portent notamment sur la représentation des femmes dans les médias et sur le traitement des violences sexistes et sexuelles (VSS).

Le sujet du sexisme dans les rédactions est aussi abordé. "Ce ne sont pas des cours magistraux mais des échanges, on explique comment se défendre et comment réagir si l’on est victime ou témoin", détaille Ariane Lavrilleux.

Certaines écoles organisent elles-mêmes la formation sur ces sujets. A l’ESJ Lille, les étudiants suivent un module sur les biais cognitifs. "On dit aux étudiants : attention vous n’êtes pas neutres, affirme Corinne Vanmerris, directrice adjointe et référente égalité au sein de l’école. Il y a des réflexes liés au parcours et au milieu social." Ce séminaire aborde aussi le traitement des quartiers populaires, de l’orientation sexuelle ou des questions de genre.

Au CUEJ, deux journées sont consacrées à la sensibilisation à l’écriture sur les VSS, aux problématiques LGBT, aux questions de genre et au racisme. L’école strasbourgeoise a aussi mis en place un atelier où les étudiants mettent en scène des situations sexistes et discriminantes.

Une prise de conscience qui doit se généraliser dans les médias

"On essaie de s’adapter, les cursus sont enrichis chaque année avec ces problématiques", admet Corinne Vanmerris, directrice des études de l’ESJ Lille.

A la suite d’un audit interne en 2020, l’école s’est rendu compte que les étudiantes avaient davantage peur de s’exprimer à l’oral. "On a mis en place des ateliers pour la prise de parole en public depuis trois ans, ça commence à donner des effets intéressants", affirme ainsi Corinne Vanmerris.

Ariane Lavrilleux estime quant à elle que la sensibilité des écoles à ces sujets varie. "C’est parfois vu comme une option", déplore la secrétaire générale de PLU.

La continuité est d’autant plus difficile à assurer avec l’entrée dans la vie professionnelle. "Si on met des choses en place et qu’il ne se passe rien dans les médias, il y a un décalage", souligne Corinne Vanmerris. Quelques médias, comme l’AFP ou Mediapart, ont nommé des "gender editors" chargés de veiller à la bonne représentation des femmes, mais ces exemples restent rares.

Des actions mises en place pour lutter contre les VSS

En plus des enjeux liés à la formation, les écoles de journalisme sont aussi confrontées à la lutte contre les discriminations et les VSS en leur sein. L’ESJ Lille travaille par exemple avec une structure associative, La Maison des Ados, en cas de signalement. Corinne Vanmerris assure que l’école "lance une enquête interne pour tous les signalements".

Des étudiantes ont créé une antenne de l’association féministe NousToutes. "Ce sont des étudiants relais, avec qui on peut discuter de choses à mettre en place", observe la directrice des études. La référente égalité décrit "un gros travail sur les soirées : mise en place de safe zones, présence d’étudiants relais, beaucoup de prévention sur la prise d’alcool et de produits".

Des écoles de journalisme toujours touchées par des VSS

Pour autant, plusieurs étudiantes ont déposé plainte après une soirée en boîte de nuit lors du dernier tournoi de football inter-écoles, organisé à Lille. Elles soupçonnent d’avoir été droguées. "Le BDE nous avait tenus au courant de ce qu’ils avaient mis en place sur le plan préventif, ça nous convenait", admet Corinne Vanmerris.

L’ESJ Lille a proposé un accompagnement et une aide financière pour les tests capillaires aux étudiantes qui ont porté plainte. "On avance avec beaucoup d’humilité, ce sont des questions extrêmement complexes et douloureuses pour les victimes et les témoins, souligne Corinne Vanmerris. On est bien conscient que c’est compliqué et que ça touche à des questions de société bien plus larges que l’école et la profession."

Cette affaire a marqué l’ensemble des étudiantes des écoles. Clémence regrette l’absence de réaction du CUEJ après le tournoi : "on n’a pas eu de retour de la part du directeur, ça aurait été bien d’offrir une cellule de soutien psychologique aux filles".

Les étudiantes se tournent souvent vers les structures associatives. Clémence est ainsi membre de la section junior de PLU, qu’elle décrit comme "un groupe de parole". "L’important, c’est d’avoir des gens auprès de qui on peut se confier sur tous les problèmes, confie l’étudiante en deuxième année."

*Le prénom a été modifié

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !