« Sans aménagement, en L3 j’étais épuisé » : la lente inclusion des étudiants souffrant de handicap dans l’enseignement supérieur

Même si en 5 ans, le nombre d’étudiants en situation de handicap inscrits à l’université a doublé, l’enseignement supérieur français est encore loin d’être totalement inclusif.

Si l'enseignement supérieur a fait des progrès pour être accessible aux étudiants souffrants de handicap, le chemin est encore long. (Illustration) Tim Mossholder
Si l'enseignement supérieur a fait des progrès pour être accessible aux étudiants souffrants de handicap, le chemin est encore long. (Illustration) Tim Mossholder

    Ce sont quelques lignes dans le dossier de presse de la rentrée 2023 du ministère de l’Enseignement supérieur qui l’annoncent : le ministère a décidé de faciliter l’accès aux bourses pour les étudiants en situation de handicap, et de renforcer les moyens alloués à leur accompagnement pédagogique. De même, cinq universités pilotes devraient être désignées pour devenir des modèles d’inclusion et d’accessibilité pour les autres établissements du supérieur, en application d’un « cahier des charges de l’université inclusive ».

    « De ma place et de mon expérience, je constate que les lieux d’études se sentent de plus en plus concernés par l’accueil des étudiants et des alternants qui ont des besoins spécifiques», explique Nicolas Forget, de l’association Handisup Nantes, laquelle depuis 1989 oeuvre notamment à l’accompagnement des étudiants en situation de handicap : « Et il y a de plus en plus d’étudiants ayant un trouble qui accèdent aux études supérieures : +700% depuis l’instauration de la loi de 2005 ! »



    La loi en question, dite « loi pour l’égalité des droits et des chances », posait comme principe l’obligation pour l’enseignement supérieur d’intégrer tous les étudiants en situation de handicap, mais s’il faut chaque année faire de nouvelles annonces sur la prise en compte du handicap, c’est bien parce que 18 ans après la loi, l’objectif n’est toujours pas atteint.

    « Il y a de moins en moins d’autocensure des lycéens »

    Sur les bancs du primaire, du secondaire et dans les universités, les élèves en situation de handicap bénéficient certes aujourd’hui de davantage d’accompagnement qu’il y a 20 ans. Ils sont donc plus nombreux à poursuivre leurs études. « Cela peut s’expliquer aussi du fait qu’il y a de moins en moins d’autocensure des lycéens, décrypte Nicolas Forget. Mais aussi par l’interdiction dans la loi des refus d’inscription des lieux d’études, et par l’accompagnement proposé en amont, avec des aménagements pédagogiques adaptés, qui permet à davantage d’entre eux d’aller jusqu’à l’obtention de leur bac, ce qui est une bonne nouvelle ! »

    Dans les niveaux supérieurs ensuite, en 2005, la Conférence des grandes écoles a signé avec le ministère de l’Enseignement supérieur une charte pour l’accueil des étudiants en situation de handicap, renouvelée et complétée en 2019. Et depuis 2009, chaque université et la plupart des grandes écoles ont nommé des référents handicap chargés d’accueillir, accompagner et suivre pendant leurs études ces étudiants, après évaluation par un médecin du service de santé des étudiants.

    Des améliorations dont témoigne Chloé, 25 ans, étudiante en 3e année de médecine à l’université de Lorraine. Diagnostiquée d’un syndrome d’Ehlers-Danlos alors qu’elle était en BTS, la jeune femme souffre de douleurs chroniques, et son emploi du temps est émaillé de rendez-vous médicaux. Après avoir choisi de se réorienter en licence de médecine, Chloé prend contact avec le service handicap de son université, dès le mois de juin précédent sa rentrée, et se voit attribuer « sans problème » un tiers temps.

    Elle a aussi la possibilité de prendre ses médicaments pendant les épreuves, qu’elle passe dans une salle à part : « Les profs ont parfois tendance à oublier que j’ai un tiers temps, les horaires ne sont pas toujours aménagés pour en tenir compte, mais il suffit d’un mail et dans l’heure le problème est réglé. »

    Une trop grande focalisation sur les handicaps moteurs

    Tout n’est pas parfait, mais Chloé se sent écoutée dans son université. « Depuis 2 ans, j’interviens dans le stage de sensibilisation au handicap dispensé à tous les étudiants en médecine en début d’année, c’est une bonne chose, mais j’ai été choquée de constater que la présentation était centrée sur les handicaps lourds ! » En contradiction avec la réalité puisque 80% des 12 millions de Français en situation de handicap souffrent d’un handicap invisible : douleurs chroniques, troubles psychiques, autisme, trouble de l’attention, troubles DYS, etc.

    C’est notamment cette méconnaissance de la réalité des handicaps et de leurs variétés, qui peut faire obstacle à la bonne compréhension indispensable pour leur prise en compte : adapter son université aux étudiants en situation de handicap ne se limite pas à l’installation d’une rampes d’accès aux salles de cours ou d’une signalétique spécifique.



    De même, trop souvent, les étudiants concernés sont dépendants de la bonne volonté des universités et des écoles, mais aussi de la qualité de la formation de leurs interlocuteurs, et notamment de leurs enseignants - raison pour laquelle la conférence sur le handicap du printemps dernier prévoit notamment, pour 2024, la formation à l’accessibilité pédagogique des nouveaux maîtres de conférences et enseignants chercheurs, afin de leur permettre de rendre leurs enseignements plus inclusifs.

    Sans aménagement en L1 et L2, Vincent était épuisé

    Même s’il y a des progrès, la route semble encore longue. Vincent, qui a un trouble du spectre de l’autisme, a décroché l’an dernier sa licence de droit, en 4 ans comme une grande majorité d’étudiants. « En entrant en licence je n’avais pas souhaité que soient mis en place mes aménagements - composition dans une salle à part, tiers temps, aide à la prise de notes, possibilité de ne pas aller en cours sans être sanctionné -… Mais c’était bête de ma part : ça a plus ou moins bien fonctionné en L1 et L2, mais en L3 j’étais épuisé ».

    Conséquence, il redouble sa L3 et ne la décrochera que l’année suivante, cette fois avec tous les aménagements auxquels il a droit. « Les responsables de ma licence se sont vraiment démenés pour les mettre en place », souligne Vincent.

    « J’ai donc ensuite décidé de poursuivre mes études par un master à distance recommandé par l’une de mes professeurs, proposé dans un IPAG du centre de la France. Mais cette fois-ci, rien ne s’est passé comme prévu, j’ai vite eu l’impression d’être ‘l’handicapé dont tout le monde se fout’. On m’a imposé des regroupements obligatoires à Paris, compliqués pour moi parce que cela suppose des déplacements et une lourde logistique, de plus les dates de mes examens, différentes de celles des étudiants valides, m’ont été communiquées plus tard qu’aux autres étudiants, ce qui constitue une rupture d’égalité avec eux. »

    Parce que Vincent ne compose pas le même jour que les autres étudiants, l’établissement doit lui trouver des sujets d’examen différents des leurs. Mais le jour venu on lui distribue un exercice qui comprend des erreurs, puis un autre qui n’est pas au programme, et l’heure de pause à laquelle il a droit entre deux examens n’est pas respectée - autre rupture d’égalité avec les étudiants valides dont les sujets ne contenaient aucune erreur et qui ont pu composer tranquillement.

    « Chaque établissement doit développer sa politique d’accessibilité et tous ne partent pas du même point de départ, commente Nicolas Forget. Il y a bien des référents handicap dans chaque lieu d’études supérieures, en Loire-Atlantique en tout cas, mais les moyens accordés pour exercer leurs missions, pour développer des réponses adaptées aux étudiants, la connaissance requise des différents troubles, le retour sur expérience de ce qui a été proposé ... sont des paramètres qui influencent fortement la qualité des réponses apportées et de fait, la réussite du parcours d’études ».

    Car les conséquences de ces problèmes d’organisation ou de pédagogie sont nombreuses et peuvent faire échouer ces étudiants, aussi motivés soient-ils. C’est le cas de Vincent qui a hérité d’un 5/20 aux examens de M1 alors qu’il avait décroché un 20/20 aux épreuves d’entraînement. « Je l’ai vécu comme une très grande injustice. J’ai contacté la présidence de l’établissement et le service handicap qui se renvoient la balle, je n’ai pas validé mon M1 et ne peut donc pas continuer en M2 », sauf à aller devant le juge administratif pour obtenir gain de cause. Une énième épreuve que Vincent ne se sent pas capable de surmonter pour l’instant.

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