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Pourquoi on a tout à gagner à avoir plus de mixité sociale à l’école

7 min

La mixité sociale à l’école ne conduit pas à un « nivellement par le bas » des compétences scolaires. Elle est bénéfique pour les performances et les trajectoires professionnelles des élèves plus défavorisés.

Il était une fois, un ministre de l’Education nationale qui annonçait vouloir faire de la mixité sociale à l’école l’une de ses priorités. C’était en 2022.

En écho aux déclarations du protagoniste de cette histoire (que nous appellerons Pap Ndiaye), le Conseil d’évaluation de l’école (CEE), instance indépendante placée auprès de son ministère, commanda un rapport. Ce travail devait constituer une boîte à outils à destination des recteurs qui sont les acteurs chargés de mettre en place la mixité sociale dans leurs académies.

L’objectif était simple : demander à des spécialistes de répondre à deux questions cruciales. Est-ce que la mixité sociale en milieu scolaire est une bonne chose ? Et si oui, comment la développer davantage ?

Il était une fois, un ministre de l’Education nationale qui annonçait vouloir faire de la mixité sociale à l’école l’une de ses priorités. C’était en 2022.

En écho aux déclarations du protagoniste de cette histoire (que nous appellerons Pap Ndiaye), le Conseil d’évaluation de l’école (CEE), instance indépendante placée auprès de son ministère, commanda un rapport. Ce travail devait constituer une boîte à outils à destination des recteurs qui sont les acteurs chargés de mettre en place la mixité sociale dans leurs académies.

L’objectif était simple : demander à des spécialistes de répondre à deux questions cruciales. Est-ce que la mixité sociale en milieu scolaire est une bonne chose ? Et si oui, comment la développer davantage ?

Les économistes Pauline Charousset, Marion Monnet et Youssef Souidi avaient accepté la mission et, en ce mois de novembre, ils publient une note, via le CEE et l’Institut des politiques publiques (IPP), synthétisant leurs résultats. Ces derniers se sont appuyés sur leurs propres travaux et sur une importante revue de littérature économique internationale.

Au terme de ce travail, la conclusion des trois économistes est sans nuances : la mixité sociale en milieu scolaire ne comporte, sous plusieurs aspects, que des bénéfices. Ils démontent au passage des idées reçues très répandues.

« Le débat a tendance à se cristallier autour de la crainte d’un nivellement par le bas : intégrer des élèves de milieux défavorisés – qui en moyenne réussissent moins bien à l’école, les deux dimensions étant souvent corrélées – aurait un impact négatif sur la progression des élèves de milieux favorisés qui, en moyenne, sont meilleurs », explique Marion Monnet.

Or, les travaux des économistes sont formels : les effets négatifs sur les élèves initialement bons scolairement sont quasi inexistants. En revanche, cela a tendance à bénéficier à la progression des élèves dont le niveau scolaire est initialement faible, qui sont en moyenne plus souvent défavorisés, progression due notamment aux interactions directes entre camarades de classe. Bref, plus de mixité sociale ne nuit pas à la réussite scolaire, bien au contraire !

Des effets sur les parcours scolaires et professionnels

Mais ce sur quoi insistent les trois chercheurs et qui, ressort de travaux scientifiques récents, dépasse les performances scolaires : la mixité sociale jouerait un rôle sur les trajectoires des jeunes et sur leurs compétences non cognitives.

« D’une part, à court terme, la mixité sociale aurait des effets bénéfiques, aussi bien pour les élèves de milieux favorisés que défavorisés, pour tout ce qui est générosité, altruisme ou encore estime de soi. Cela réduit aussi la prévalence de stéréotypes raciaux et sociaux, reprend Marion Monnet. D’autre part, à plus long terme, nous remarquons que le fait d’avoir été scolarisé dans des classes plus mixtes socialement, a un impact positif pour les élèves de milieux défavorisés principalement, sur leur parcours scolaire. Par effets de mimétisme ou de transmission d’informations, cela augmente la probabilité d’obtenir l’équivalent du baccalauréat1 et augmente la probabilité (entre 10 et 20 %) de s’inscrire dans l’enseignement supérieur. »

Et des effets sur les trajectoires se constatent encore plus loin dans le temps :

« En partant d’études robustes, recueillant des millions d’observations, on voit que le fait d’avoir été scolarisé dans des établissements et surtout des classes plus mixtes socialement permet d’améliorer les trajectoires professionnelles des élèves défavorisés, sans nuire à celles des favorisés. »

Des élèves afro-américains ayant bénéficié de dispositifs de déségrégation sont mieux insérés sur le marché du travail, avec un taux d’emploi supérieur de 10 % et des salaires supérieurs de 30 % par rapport à leurs camarades des générations précédentes scolarisés dans des écoles ségrégées.

Cela s’explique notamment par le fait d’avoir pu mener des études supérieures, mais surtout par la construction et l’accumulation d’un capital social2

« Avoir des amis favorisés, lorsque l’on vient d’un milieu défavorisé est crucial. Cela permet, par exemple, d’obtenir des informations plus précises sur le marché du travail via leurs parents. »

Cela peut constituer le terreau du futur réseau professionnel ou encore participer à accroître son capital culturel.

Les leviers pour plus de mixité

Bref, une fois que l’on a cité tous les effets positifs qui découlent de la mixité sociale, vient la question à 1 million : par quels moyens peut-on la favoriser dans les écoles ?

« Il n’y a pas de recette miracle et unique », répond Marion Monnet. Néanmoins, des leviers existent, ont fait leurs preuves en termes de réduction de la ségrégation sociale et pourraient être déployés, soulignent les trois chercheurs, qui ont étudié plusieurs exemples en France et à l’étranger.

Première option possible : modifier la perception qu’ont les familles vis-à-vis des établissements scolaires. Cela peut passer par des rencontres avec les parents d’élèves ou par l’introduction d’une offre scolaire plus attractive (via des options par exemple).

Autre possibilité encourageant la mixité : redessiner la carte scolaire, de sorte que les viviers de recrutement des élèves soient plus diversifiés. « Par exemple via une sectorisation discontinue, c’est-à-dire de petites zones de recrutement pour un collège dans des quartiers/rues pas trop éloignés de l’établissement, mais socialement différents », précise Youssef Souidi.

Dans la même idée, « il est aussi possible de fusionner deux collèges qui sont proches géographiquement, mais différents socialement. Les élèves pourraient par exemple faire leur 6e et leur 5e dans l’un des deux collèges, de préférence celui qui a très bonne réputation pour décourager les évitements des familles favorisées, puis les jeunes passeraient leur 4e et 3e dans l’autre collège, celui qui a moins bonne réputation ».

C’est ce qui avait été expérimenté il y a quelques années dans le 18e arrondissement de Paris, avec des résultats plutôt encourageants.

Opter pour des critères d’affectation prenant en compte l’origine sociale est un autre levier. C’est ce qui a été fait avec la réforme d’Affelnet, le système d’affectation des élèves dans les lycées publics parisiens.

Depuis 2021, un bonus qui tient compte de l’Indice de Position Sociale (IPS) du collège d’origine des élèves a été introduit, prenant en compte le capital économique des familles, mais aussi le capital culturel.

« On observe une baisse de l’ordre de 40 % de la ségrégation sociale et de 30 % de la ségrégation scolaire si l’on compare 2019 à 2022, indique Pauline Charousset. Les établissements ont ainsi vu leur composition sociale se transformer pour aller vers plus de mixité. »

Enfin, pour lutter contre la ségrégation sociale à l’école, s’attaquer au privé est indispensable. Car c’est là que se trouve la plus grande proportion de jeunes issus des milieux favorisés (55,4 % en 2021, d’après la Cour des comptes et la Depp). Une part qui ne cesse d’augmenter.

Or, le privé est financé à 75 % par la puissance publique. Conditionner une partie du financement que reçoit le privé de la part de l’Etat au respect de la mixité sociale, comme ce qui a été testé en Haute-Garonne, pourrait être une possibilité à plus grande échelle, suggèrent encore les trois chercheurs. Mais cela demande un grand volontarisme politique.

Depuis le début de notre histoire, le ministre de l’Education nationale a changé : Gabriel Attal siège désormais rue de Grenelle et n’affiche pas franchement le moindre discours en faveur d’un « Et ils vécurent heureux, en toute mixité »

  • 1. Les études conduites l’ont été aussi bien aux Etats-Unis que dans les pays européens.
  • 2. Concept développé par le sociologue Pierre Bourdieu, à partir des années 1980, désignant « un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’interreconnaissance ».
Commentaires (20)
Françoise CLERC 27/11/2023
Ce rapport ne fait que rappeler ce qui a déjà établi depuis longtemps. Il faudrait pour rendre les conclusions crédibles aborder trois points : le bénéfice est AUSSI pour les élèves à haut capital culturel, les raisons en termes d'apprentissage (psychologiques donc) des bénéfices de la mixité (pourquoi, comment), les pratiques pédagogiques à mettre en œuvre pour que la mixité bénéficie à tout le monde. Tans que nous n'aurons qu'une approche sociologique des problèmes, rien ne changera.
DANIEL 29/11/2023
J'aimerais que vous citiez vos sources. Votre affirmation me surprend beaucoup. Cela contredit ce qui est dit pudiquement dans l'article : "les effets négatifs sur les élèves initialement bons scolairement sont quasi inexistants.". Quasi...
Audrey Fisné-Koch 29/11/2023

Bonjour
Pour avoir le détail des études et des sources citées par les chercheurs de l’IPP, voici le lien vers le rapport complet : https://www.education.gouv.fr/media/159000/download

Bonne soirée

DANIEL 30/11/2023
Merci pour cette précision. Ma question concernait davantage les affirmations de Françoise Clerc.
Françoise CLERC 27/11/2023
Mille excuses pour les fautes dans mon précédent commentaire : un effet de mon agacement à constater qu'en matière d'éducation et de pédagogie nous en sommes réduits à réinventer périodiquement l'eau chaude pour éviter d'enfin s'engager dans des pratiques déjà éprouvées, fondées sur des connaissances validées et dans des organisations réalistes, adaptées aux situations sociales actuelles.
Françoise CLERC 27/11/2023
Les élèves "défavorisés" comme on les appelle apportent une contribution importante aux acquisitions dans la classe (voir les pédagogies de groupes et la thèse de Meirieu). Les raisons en sont connues depuis longtemps (psychosociologie, psychologie génétique). Les pratiques pédagogiques ne suivent pas : formation inappropriée des enseignants et organisation des établissements qui ne permet pas la différenciation pédagogique (ne pas confondre avec l' individualisation ou les groupes de niveau)
Ezratty Véronique 26/11/2023
Le débat sur l'hétérogénéité sociale des établissements est accessoirement un écran de fumée sur deux points: 1) 72% des élèves défavorisés ne sont pas en REP ou REP+, et ils on aussi plus de mal à apprendre à cause du défaut d'attention de l'EN à leurs difficultés spécifiques. 2) Le gouvernement a diminué de 15% les places en lycée pro, et les entreprises ne veulent pas des apprentis de cet âge. Où les élèves n'ayant pas les acquis de base vont atterrir, en déscolarisation ? En lycée général ?
Ezratty Véronique 26/11/2023
En résumé de tous mes commentaires, il faut mettre les moyens financiers pour supprimer les établissements ségrégés. C'est possible à condition d'assurer des bonnes conditions d'apprentissage dans les nouveaux établissements issus du mélanges de plusieurs vieux établissements, en convaincre les familles. Surtout ne pas utiliser de logiciel comme AFFELNET pour l'affectation, mais des cartes tenant compte des origines sociales des habitants.
Ezratty Véronique 26/11/2023
Cette phrase est exact et justifie la recherche de la mixité sociale des établissements scolaires y compris dans les situations de dynamiques de classe positives possible : « Les effets de la diversité sociale des camarades de classe vont au-delà de la seule performance scolaire : elle favorise le développement des capacités socio-émotionnelles des élèves, réduit la prévalence des stéréotypes raciaux et sociaux, et, pour les élèves socialement défavorisés, améliore l’insertion professionnelle. »
Ezratty Véronique 26/11/2023
(2/2) Les caractéristiques qui influent sont le nombre d’élève de la classe, le niveau d’élèves moyens, le nombre de bons élèves qui tirent la classe, le nombre de perturbateurs, le nombre d’élèves avec des lacunes handicapantes, la période scolaire (primaire, collège, etc..). Pour la comparaison des pays, le niveau d’inclusion des porteurs de handicaps avec les moyens associés, et la politique pour un climat de discipline comptent.
Ezratty Véronique 26/11/2023
(1/2) L’affirmation de Marion Monnet est inexacte. Il y a des situations où l’hétérogénéité scolaire (sur les acquis) tire les bons élèves vers le bas : quand il est impossible de créer une dynamique de classe qui valorise l’effort scolaire. C’est un phénomène qui ne fonctionne pas effet de seuil et va dépendre des caractéristiques de la classe. A niveau scolaire égal, l’hétérogénéité sociale n’influe pas sur les performances de la classe et est bénéfique pour les compétences psycho-sociales.
Ezratty Véronique 26/11/2023
AFFELNET a trois inconvénients rédhibitoires : 1) En demandant aux familles de classer les établissements, elles comparent aussi les lycées privés. C'est un marketing pour le privé. 2) le logiciel crée une hiérarchie implicite entre les établissements. Il est très difficile de créer une dynamique vers l'effort scolaire dans les moins demandés. 3) Régulièrement les paramètres sont bidouillés et donc des populations d'établissement aberrante, et des dynamiques d'établissements détruites.
Ezratty Véronique 26/11/2023
Je suis éberluée par cette phrase de la note citée « En France, comme dans d’autres pays européens, l’orientation des élèves est très largement déterminée par leur niveau scolaire ». A ma connaissance, dans tous les pays du monde, il est nécessaire d’avoir des capacités de rédaction et de mémorisation de connaissance pour accéder au lycée général. Il n’y a aucune particularité de la France. Il s’agit d’une légende urbaine, à mon avis, toxique.
Ezratty Véronique 26/11/2023
La note citée me semble utiliser la technique de la généralisation abusive. Elle ne prend pas en compte qu’un résultat d’étude n’est valable que pour la période scolaire de l’étude : L’école élémentaire (primary education selon la norme ISCED de l’UNESCO), le collège (lower secondary education), le lycée (upper secondary education) qui peut être général ou professionnel. Il y a deux types de collège - collège unique (comme France et Finlande) - collège avec plusieurs filières (Allemagne).
BERNARD HOURDEL 26/11/2023
La mixité sociale (en réalité on y agglomère implicitement la mixité d'origine, ce qu'on refuse honteusement de déclarer alors que des mères maghrébines de Montpellier appelaient à cela pour que leurs enfants disposent des codes sociaux du pays et scolaires de l'école) est un objectif souhaitable. Deux freins: la ségrégation spatiale d'une part, le rapport à l'exigence (et cela s'adresse clairement au rapport des classes populaires à l'instruction) d'autre part (je ne parle pas de maltraitance)
DANIEL 25/11/2023
En ce qui concerne la mixité sociale en France, il y a un avant et un après Olivier Faure. Les enfants des CSP- font des études courtes. Allez ! une subvention pour les arrêter encore plus tôt !
EMMANUEL POTRON 24/11/2023
Bonjour, est-il possible d’avoir plus de chiffres précis plutôt que des affirmations «  plutôt encourageants », comme dans l’étude américaine ? Ces affirmations qualitatives vagues n’aident pas à convaincre. Merci d’avance.
gilles cormary 24/11/2023
cette fable est une illustration de combien raison et passion font pietre ménage. Ces petits raccourcis de la vie n'expliquent pas le monde à eux seuls mais en donnent une comprehension sensible: existe un probléme pour faire sociéte + je donne le mauvais exemple + je commande un rapport + qui démontre + qui donne comme solution de supprimer une cause du probléme. Dire ensuite "on enterre le rapport",sans en montrer les raisons, comme le fait si bien cet article, c'est s'adonner à la passion.
René 24/11/2023
Qui a dit ou a écrit « on enterre le rapport » ? Qui est en charge de décider des suites à donner au rapport ? Quand le ministre affirme sur le point de la mixité “Je ne souhaite pas rouvrir la guerre des écoles“ et laisser « le choix » aux parents, la messe est dite et l’enseignement privé le remercie. S’il s’agit des raisons d’enterrement du rapport, elles sont faibles et très politiques. Vous semblez avoir lu l’article avec passion. Des enfants dans le privé ? Perso j’en ai un (supérieur)
gilles cormary 24/11/2023
vous avez raison. je suis autant pris de passion que les autres. vous avez raison, le rapport n'est pas enterré. Par contre, la politique c'est faire des choix collectifs. Le choix du choix individuel est respectable en tant que tel. Il méne à une sociétè différente où la mixité est beaucoup moins présente. Ce qui peut-être souhaité en tant qu'individu.
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