Dans ce domaine au moins, Emmanuel Macron peut fanfaronner. Quatre ans après sa création, l'application Mon Compte Formation est un succès populaire, avec 5,5 millions de téléchargements et 70 millions de visites annuelles sur le site Web. Pas moins de 20 millions de Français ont activé leurs comptes, soit 80% de la population active du privé.
Un carton plein selon Carole Grandjean, la ministre de la Formation professionnelle: "Cela signe la réussite de la loi votée en 2018 qui a permis de démocratiser la formation des Français tout au long de leur vie professionnelle."
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Depuis la réforme, chaque actif peut acheter en quelques minutes une formation, qu'elle soit pour apprendre l'anglais ou la négociation. Une petite révolution rendue possible grâce à la monétisation du compte personnel de formation (CPF), doté de 500 euros par an pour chaque Français et de 800 euros pour les demandeurs d'emploi les moins qualifiés.
Salué à l'international
"L'application pour smartphone du CPF met directement en relation le salarié avec les opérateurs de formation, relève Pierre Cahuc, professeur d'économie à Sciences-Po Paris. Chacun peut utiliser ses crédits librement. C'est une transformation majeure qui va dans le bon sens."
En quatre ans, 7 millions de personnes ont effectué une formation grâce au dispositif. Et, grande nouveauté, 70% des bénéficiaires sont des ouvriers et des employés, alors que la formation professionnelle profitait principalement aux cadres des grandes entreprises avant la réforme.
Le succès est tel que l'OCDE vante désormais le système français. "L'Hexagone est devenu un exemple pour la formation professionnelle des salariés, avance Stéphane Carcillo, économiste au sein de l'institution internationale. Son modèle basé sur un compte crédité en euros permet à tous les actifs de se former. Peu d'autres pays ont un dispositif aussi efficace."
Revers de la médaille, la facture est salée pour les caisses de l'Etat. Quelque 9,5 milliards d'euros ont été déboursés depuis 2019. Trop cher pour le ministère des Finances, qui s'est battu dès la fin 2022 pour faire voter un amendement dans le cadre du projet de loi de finances afin d'instaurer un reste à charge pour les usagers. Un bon moyen de responsabiliser les actifs et de maîtriser la dépense publique, selon Bertrand Martinot, économiste à l'Institut Montaigne: "Dans un monde sans contrainte budgétaire, on pourrait débourser des milliards pour la formation professionnelle. Mais l'argent n'est pas magique et il n'est pas anormal de demander aux Français de participer aux coûts de leur formation."
Une reconversion impossible
Cette offensive de Bercy irrite le ministère du Travail, qui ne veut pas briser l'engouement des Français pour le CPF. La Rue de Grenelle argue en plus que le grand ménage effectué ces deux dernières années dans l'offre de formation a stabilisé la dépense autour de 2 milliards d'euros, contre 3 milliards en 2021.
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Signe des tensions entre les deux ministères, le décret d'application pour instaurer le reste à charge n'a toujours pas été publié et il ne devrait voir le jour qu'à la fin du premier trimestre 2024. Du bout des lèvres, Olivier Dussopt, le ministre du Travail, a évoqué le 31 octobre un montant "de quelques dizaines d'euros", qui ne concernerait pas les chômeurs et les formations cofinancées par les entreprises.
Sur le fond, certains experts critiquent la nature des formations financées par le CPF. Dans le Top-3 des plus demandées en 2023, on trouve le permis de conduire, les bilans de compétences et l'aide à la création d'entreprise. Ce qui laisse sceptique Yvan Ricordeau, le numéro deux de la CFDT: "Nous avons toujours été opposés à ce que le CPF finance le permis de conduire. Certes, dans certains cas, cela peut se justifier pour faciliter la recherche d'emploi. Mais pour nous, c'est un dévoiement du système qui n'augmente pas le niveau de compétences des Français."
Bertrand Martinot, de l'Institut Montaigne, va plus loin: "Le CPF contribue-t-il à augmenter l'employabilité des Français dans un monde en plein bouleversement avec la révolution technologique et la transition écologique? La réponse est non. Le catalogue du CPF est essentiellement composé de formations courtes et peu qualifiantes."
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De fait, il est impossible d'opérer une vraie reconversion professionnelle via le seul CPF. Aucun salaire de remplacement n'est prévu pour une personne qui souhaite apprendre un nouveau métier grâce à une formation longue - le CPF n'atteint de toute façon pas des montants suffisants pour couvrir son prix.
"C'est l'un des angles morts de la réforme de 2018", poursuit le cédétiste Yvan Ricordeau. Il existe bien des dispositifs spécifiques d'aide, comme le "projet de transition professionnelle", mais son budget a été divisé par deux quand l'application Mon Compte Formation a été créée… Conscient du problème, le ministère du Travail pousse pour l'ouverture d'une négociation interprofessionnelle sur le sujet qui devrait démarrer d'ici à la fin de l'année. Reste à savoir si Bercy acceptera de débloquer des millions d'euros pour financer ce nouveau chantier.