L'apprentissage est souvent considéré comme “la” solution pour favoriser l’accès à l’emploi des jeunes, en particulier pour les moins qualifiés. Des pays tels que l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse sont fréquemment cités en exemple.  Ces pays ont un système éducatif où l’apprentissage est très développé et où le ratio entre le taux de chômage des jeunes de 15-24 ans et celui des adultes de 25 à 64 ans est inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE.

 

L’évolution récente en France est révélatrice de cet état d’esprit : le nombre d’entrées annuelles en apprentissage est passé progressivement d’environ 100 000 à 300 000 entre le début des années 1990 et la fin de la décennie 2000. Il a ensuite oscillé autour de 300 000, puis a augmenté très rapidement à partir de 2018 pour dépasser 800 000 en 2022.

Cette expansion découle de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018, qui a réformé la gouvernance de l'apprentissage, et de l'augmentation des aides financières pendant la crise sanitaire. Cependant, les répercussions de ces changements sur l'emploi n'ont pas encore été évaluées, et aucune étude expérimentale spécifique n'a été prévue à cet égard. Par conséquent, il est probable que notre compréhension de ces effets demeure approximative.

Or, l’insertion professionnelle des apprentis n’est pas systématiquement meilleure que celle des élèves de lycée professionnel. En réalité, bien que les performances de l’apprentissage soient meilleures en moyenne que celles du lycée professionnel, elles sont aussi très hétérogènes. Pour une même spécialisation, l’accès à l’emploi est très différent selon le Centre de Formation des Apprentis (CFA). Par exemple, les taux d’emploi à 12 mois des apprentis en CAP de cuisine varient de 25 % à 90 % selon le CFA.  Dans la voie scolaire professionnelle, ce taux varie de 5 % à 85 % selon le lycée. Pour un même niveau de diplôme et une même spécialité, de nombreux élèves de lycées professionnels ont donc de meilleures perspectives professionnelles que des apprentis.

Figure 1: Taux d’emploi des jeunes titulaires d’un CAP cuisine 12 mois après la fin de leurs études.

InserJeunes

Cette situation est également constatée à l'étranger. Par exemple, en Belgique, les apprentis ont 5,5 % de moins de chances d'obtenir leur diplôme que les élèves de la voie professionnelle, mais ils ont 30 % de chances en plus d'être employés dans les 3 mois suivant la fin de leur formation. Cependant, cette différence s'estompe après 6 mois. En Hongrie, on ne constate aucune différence significative entre les taux d'emploi des jeunes issus de ces deux voies de formation

Identifier les leviers de réussite

Par conséquent, il est essentiel de repérer les facteurs de la réussite de l’apprentissage pour mieux comprendre ses conséquences et sélectionner les moyens les plus efficaces pour favoriser la transition des jeunes vers l’emploi.  L’analyse des travaux consacrés à ce sujet dans notre ouvrage, “Quelles politiques d’emploi pour les jeunes” (Presses de Sciences Po, 2023) montre que la réussite de l’apprentissage repose sur quatre leviers : la sélection des apprentis, les connaissances qu’ils acquièrent, la rétention dans leur entreprise de formation, et l’adaptation de l’offre de formation.

La sélection des apprentis

Les caractéristiques des apprentis peuvent expliquer leur meilleure insertion professionnelle. Ils sont issus de milieux plus aisés, leurs parents sont plus fréquemment en emploi, leurs résultats scolaires au collège sont meilleurs, ils sont moins fréquemment issus de l’immigration, proviennent moins souvent d’un collège en éducation prioritaire et d’une troisième de section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa). Il existe aussi des différences de profil psychologique. Les élèves acceptés en apprentissage après la troisième ont une plus faible motivation à l’école mais sont plus à l’aise dans les relations sociales que ceux amenés à poursuivre au lycée professionnel.

Ces différences peuvent s’expliquer par la difficulté à obtenir un contrat d’apprentissage. En effet, pour les postulants à l’apprentissage, la sélection des employeurs conduit à écarter les élèves les moins performants à l’école, ceux dotés de moins de relations susceptibles de les recommander ou encore ceux confrontés à des discriminations.  Les apprentis ont donc plus de chance de franchir l’étape de l’embauche que les élèves de lycée professionnel. Ceci peut expliquer une partie significative de leur meilleure insertion professionnelle à la fin des études.

Les connaissances acquises par les apprentis

L’apprentissage est un mode d’acquisition des connaissances alternatif à celui de l’école qui peut s'avérer adapté pour les élèves confrontés à des difficultés ou à un manque de motivations scolaires. Le constat d’une plus faible motivation scolaire des élèves qui deviennent apprentis en constitue un indice. Mais la réussite de l’apprentissage comme mode alternatif d’acquisition des connaissances dépend du contexte, en particulier du contenu de l’enseignement scolaire et du déroulement de l’apprentissage, qui n’est pas toujours mené à terme.

Le temps passé en entreprise par les apprentis peut aussi favoriser l’acquisition de compétences non-cognitives qui améliorent la réussite professionnelle, mais pas nécessairement la réussite aux examens. Par exemple, des interactions plus fréquentes avec les adultes dans une diversité de contextes professionnels (collègues, supérieurs hiérarchiques, clients, fournisseurs…) peuvent favoriser la stabilité émotionnelle et le sens de la responsabilité.

Le maintien des apprentis dans leurs entreprises

En France, environ 35 % des apprentis sont embauchés à la fin de leurs études dans l’entreprise dans laquelle ils ont été formés. Quant aux lycéens de la voie professionnelle, environ 15 % le sont dans une entreprise où ils ont été stagiaires. Cette différence de 20 points correspond approximativement à la différence de taux d’emploi entre apprentis et lycéens pendant les premières années suivant leur entrée sur le marché du travail.

Ce constat suggère que l’efficacité́ de l’apprentissage en termes d’accès à l’emploi repose en grande partie sur le maintien des apprentis dans leur entreprise de formation. Il est en tout cas cohérent avec l’analyse économique. En substance, les employeurs ont peu d’incitations à offrir des connaissances que les apprentis peuvent valoriser en dehors de leur entreprise, car ils pourraient bénéficier d’opportunités extérieures qui leur permettraient de négocier des augmentations de salaire après l'obtention de leur diplôme. Il est donc tout à fait possible que les apprentis qui ne restent pas dans l’entreprise où ils ont été formés ne soient pas en meilleure position que les lycéens de la voie professionnelle, car l’apprentissage ne leur a pas permis d'acquérir des connaissances valorisables dans une large palette d’entreprises.

L’examen des parcours des apprentis et des lycéens à partir des enquêtes Génération du CEREQ aboutit à cette conclusion, pour ceux qui passent par le chômage. Leurs taux d’accès à l’emploi sont bien similaires. En outre, une expérience consistant à répondre à des offres d’emploi avec des candidatures (fictives) de chômeurs titulaires de CAP de cuisinier et de maçon, identiques en tout point à l’exception de la formation en apprentissage ou au lycée professionnel, révèle que les employeurs n’expriment pas de préférence significative pour les anciens apprentis.

Le rôle clef de la rétention dans l’entreprise de formation a des implications importantes en matière de politique publique. Ceci est particulièrement valable dans le contexte français, où les entreprises bénéficient, au regard des comparaisons internationales, de subventions élevées pour employer des apprentis. Des subventions plus généreuses incitent les employeurs à recruter plus d’apprentis, mais pas nécessairement à les garder à l’issue de la période d’apprentissage, lorsque la subvention n’est plus versée. Dans les faits, un plus grand subventionnement de l’apprentissage se traduit par une diminution du taux de rétention dans les entreprises de formation. Ce phénomène peut limiter l’impact de l’extension de l’apprentissage induit par des subventions aux employeurs dès lors que les apprentis non retenus dans leur entreprise sont confrontés aux mêmes difficultés que les élèves de la voie professionnelle pour se faire embaucher.           

L’adaptation de l’offre de formation

Le meilleur placement des jeunes passés par l’apprentissage peut résulter d’une spécialisation mieux adaptée au marché du travail dans la mesure où les entreprises sont nécessairement impliquées dans l’apprentissage. En France, pendant les années scolaires 2018 et 2019, il y avait 36 % d’apprentis dans les 1 009 formations du CAP au BTS. L’apprentissage était présent dans 98 % d’entre elles et 25 % n'accueillaient que des apprentis. Les formations qui n'accueillent que des apprentis atteignent des taux d’insertion dans l’emploi 12 mois après la fin des études de 10 points supérieurs à celles qui accueillent aussi des lycéens, et de 25 points supérieurs à celles qui n’ont que des lycéens. L’apprentissage est donc plus concentré sur les formations qui offrent de meilleurs débouchés.

Néanmoins, cette plus forte concentration de l’apprentissage sur les spécialisations offrant de meilleurs débouchés n’explique que marginalement la meilleure insertion professionnelle des apprentis. En effet, la différence de taux d’emploi 12 mois après la sortie des études entre l’ensemble des apprentis et lycéens est de 21 %. Elle ne tombe qu’à 18 % lorsqu’on compare apprentis et lycéens passés par les mêmes formations. Ceci indique que l’avantage de l’apprentissage, s’il réside dans un meilleur ciblage des spécialisations attendues par les employeurs, provient d’un ajustement de leur contenu à un niveau très fin, qui suppose une coordination poussée entre les employeurs et les établissements de formation.

Finalement, les recherches et des données récentes sur l’apprentissage et l’enseignement professionnel initial indiquent que la priorité, pour améliorer l’insertion des jeunes, n’est pas tant d’arbitrer entre apprentissage et voie professionnelle scolaire, mais de piloter l’ensemble du système avec précision en mobilisant des informations sur les trajectoires de tous les jeunes de façon à adapter chaque formation, dans chaque établissement, en s’appuyant sur une étroite collaboration entre les employeurs et les formateurs.

 

Pour aller plus loin

Couverture d'ouvrage : Quelles politiques de l'emploi pour les jeunes ?

Quelles politiques de l'emploi pour les jeunes ? Pierre Cahuc, Jérémy Hervelin, Presses de Sciences Po, juin 2023

Cet ouvrage contient les références des études dont les résultats sont présentés dans cet article.