Une jeune femme de dos dans une bibliothèque avec deux ordinateurs

Travailler avec ChatGPT, OK, mais il ne faut pas tout lui confier

ChatGPT va fêter ses un an et il est déjà entré dans la routine de nombreux salariés. Cécile Dejoux, professeure et conférencière, nous conseille d'apprendre à nous en servir. Mais en continuant à écrire et à entraîner notre mémoire.

Cécile Dejoux suit de près la manière dont les entreprises s’emparent de l’intelligence artificielle générative. Professeure au Conservatoire national des arts et métiers, connue pour ses moocs et ses ouvrages de vulgarisation sur l'intelligence artificielle, elle dirige l’observatoire du learning lab human change et fait partie du Conseil d’éthique de la data et de l’IA d’Orange. Selon elle, les IA sont évidemment une révolution à laquelle il faut se préparer en les utilisant, mais sans se laisser complètement happer par leurs facilités d'usages. 

Comment se passe l’adoption de ChatGPT dans les entreprises ? 

Cécile Dejoux : La démocratisation de son usage a été très rapide. En quelques mois, l’outil comptait déjà 200 millions d’utilisateurs actifs. Ce nombre tend aujourd’hui à diminuer un peu, à voir si c’est seulement l’effet des vacances ou d’une lassitude plus globale. Au départ, ce sont les salariés qui ont eux-mêmes utilisé l’outil, parfois en cachette, car certaines entreprises étaient précautionneuses, de peur de voir leurs données récupérées par OpenAI (l’entreprise derrière ChatGPT). Maintenant, ce sont les entreprises qui réfléchissent à des systèmes internes entraînés sur leurs propres jeux de données.

Voit-on déjà des suppressions de postes liées à son utilisation ? 

C.D. : On le constate surtout sur des postes de freelance en community management, communication digitale, rédaction de synthèses… Les entreprises ont par exemple arrêté de payer des gens qui sous-titrent des vidéos parce que quand c’est fait par des IA, c’est plus rapide et moins cher. Il y a déjà des campagnes de publicité qui ont utilisé en partie l’IA, comme celle réalisée pour la marque de maillot de bain Undiz. Cela permet de se passer des personnes participant au shooting : mannequins, maquilleurs… Il y aura des suppressions d’emplois, mais les entreprises auront besoin de professionnels qui maîtrisent les IA ! Pour certains métiers, ils devront se réinventer en ajoutant une couche d’IA à leurs compétences. Je pense aux métiers du marketing, par exemple, ou du code, dont la quantité de travail peut être réduite d’un tiers. 

Quelles sont les compétences qu’il va falloir développer ?

C. D. : Il faut apprendre à détecter les erreurs des IA, à « prompter », à faire une veille sur les outils. Mais aussi développer des compétences qui vous permettent de rester employables : travailler sa mémoire, garder la main sur son agenda, développer son attention... Si vous ne savez pas écrire, et si vous n’avez pas de mémoire, vous ne pouvez pas réfléchir. C’est essentiel de trouver un équilibre, travailler à 50 % avec les IA génératives, et à 50 % seul. Sinon, vous ne serez plus compétent en raisonnement. L'IA vole notre mémoire, notre capacité à être attentifs, elle nous met sur des rails. Quand on commence à dialoguer avec ChatGPT, il mime notre façon de fonctionner, donc il faut apprendre à s’en détacher. Je pense qu’il faut également se débarrasser de l’idée que l’important est de développer les soft skills. Il faut être plus précis, travailler la qualité de la relation, ce seront les différenciateurs de demain.  

Quels sont les nouveaux métiers qui émergent ? On parle notamment d’« ingénieur prompt »…

C.D. : Pour le moment, les entreprises commencent à s’acculturer, à comprendre comment créer de la valeur, à trouver des cas d’usage. Je ne pense pas que le métier d’ingénieur prompt ait tant d’avenir que cela. Je pense que le prompt est comme une grammaire, tout le monde doit l’apprivoiser. « Prompter », c’est éduquer la machine avec laquelle on travaille – c’est avoir le bon ton, le bon niveau de détails... Par ailleurs, les entreprises vont créer des bibliothèques de prompts mises à disposition des salariés, pour que chacun puisse s’en servir et pour harmoniser les requêtes. 

Quels postes sont recherchés, alors ? 

C.D. : Tous les grands groupes cherchent des éthiciens, des personnes qui mettent en conformité les IA génératives avec les réglementations, notamment l’AI Act européen, et les chartes des entreprises. Ce sont souvent des gens qui viennent de la RSE et qui pilotent des groupes « IA et éthique ». Puis ceux qui sauront maîtriser quelques outils d’IA générative et qui auront une appétence pour en tester de nouveaux avec un esprit critique.

Cette interview est parue dans la revue 34 de L'ADN : Où sont les travailleurs, Ils ne veulent plus travailler comme avant. Votre exemplaire à vous procurer ici.

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
premium2
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire