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Prêt-à-porter: le dur combat du «made in France»

Seulement 3 % des volumes de textile-habillement vendus en France sont fabriqués dans l’Hexagone. Marechal Aurore/Marechal Aurore/ABACA

DÉCRYPTAGE - Malgré des initiatives réussies, la filière peine à développer les volumes.

Cette année, 1083 a lancé son premier jean 100 % «made in France» en faisant pousser du coton dans le Gers et la Drôme. Le fabriquant de Romans-sur-Isère en a vendu 500 sur précommande. Il y en aura d’autres, mais leur nombre dépendra de la qualité de la prochaine récolte de coton… Sans aller jusqu’à planter des champs, des dizaines de marques, jeunes et moins jeunes, ont parié sur le «made in France»: Saint-James, Petit Bateau, Le Slip français, 1083, Blanc Bonnet, Armor Lux, Aigle… Leurs produits, pour être considérés comme fabriqués dans l’Hexagone, ne sont pas intégralement fabriqués dans le pays, mais «une partie significative» l’est, selon les douanes.

Selon l’Union des industries textiles, la filière fait travailler 62.000 personnes, dans 2200 entreprises, des petits fabricants disséminés dans toute la France.Des acteurs qui n’hésitent pas à être à contre-courant, alors quela tendance générale depuis cinquante ans est à la délocalisation de la fabrication des vêtements afin de réduire au maximum les coûts. «Ceux qui font du “made in France” sont un peu des doux dingues, décidés à créer de l’emploi local, minimiser leur impact carbone et faire revivre des territoires, résume Guillaume Gibault, président du Slip français, qui table sur 20 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année. Il faut relancer le savoir-faire, la formation, l’innovation, le recrutement…» Aujourd’hui, seulement 3 % des volumes de textile-habillement vendus en France sont fabriqués dans l’Hexagone. «Le combat est de porter ce chiffre à 5 % dans les prochaines années», selon Guillaume Gibault.

«Laborieux, long mais stimulant»

Au-delà de l’avantage écologique, il faut résoudre une équation économique compliquée. Dans un marché du prêt-à-porter qui ne cesse de décliner, le consommateur est de plus en plus regardant à la dépense. À cause de l’inflation, il achète moins et plus malin - en particulier de la seconde main. Au détriment de vêtements faits en France. Ainsi, selon une étude récente d’OpinionWay, 89 % des Français souhaiteraient consommer davantage de produits «made in France», toutes catégories confondues. Mais ils ne le font pas. «Ces produits portent des valeurs. Mais leur prix est le frein numéro un à leur achat», reconnaît Gilles Lasbordes, directeur général du Salon de mode Première Vision. Or, ce prix ne baissera pas. «Les coûts resteront toujours plus élevés en France qu’à l’étranger, prévient Luc Lesénécal, président des Tricots Saint James, et de l’Institut national des métiers d’art (Inma). Le “made in France” n’a d’avenir que s’il capitalise sur l’excellence d’un savoir-faire d’exception, reconnu par le label d’État Entreprise du patrimoine vivant (EPV).»

Saint James produit la quasi-totalité de ses pulls et marinières en France. Dans la Manche, à Saint-James, 300 personnes travaillent dans ses ateliers. Il y a trois ans, l’entreprise a décidé de relocaliser la fabrication de ses cabans dans l’Hexagone. Jusqu’alors, le drap de laine était fabriqué dans les Ardennes. Mais l’assemblage se faisait surtout en Turquie. La première collection automne-hiver des premiers cabans «made in France» Saint James vient seulement de sortir. «Nous voulions que nos trois produits iconiques (pull, marinière, caban) soit fabriqués en France, justifie Luc Lesénécal. Nous avons fait appel à trois confectionneurs, dont un normand. Cela nous coûte 30 % plus cher.» Grâce à une optimisation des coûts de production (les commandes sont passées un an à l’avance), les prix en rayon n’ont augmenté «que» de 20 %.

Thomas Huriez, le fondateur de 1083, lui, a mis dix ans pour relancer la production de jeans en France, du coton jusqu’au bouton. «C’est laborieux, long mais stimulant, raconte-t-il. Créer localement des beaux produits pour des consommateurs que nous rencontrons dans nos magasins et nos ateliers donne du sens. Économiquement, ce défi difficile est possible grâce aux circuits courts.» Dans un marché de 67 millions de jeans achetés en France chaque année, 1083 en vend 50.000. C’est bien plus qu’imaginé au départ, mais c’est une goutte d’eau. «Produire en France exige une valeur ajoutée forte et singulière, insiste Céline Choain, associée chez Kea & Partners. Bonne nouvelle, nous disposons d’atouts: l’innovation, des expertises métiers rares, des outils industriels pour répondre aux besoins de proximité, de réactivité et de traçabilité.»

Pour autant, les volumes ne décollent pas. La filière textile française a donc écrit à Emmanuel Marcon, le 9 novembre, afin d’être soutenue concrètement dans sa relocalisation en France. En plus d’un soutien à l’investissement, les professionnels et leurs représentants demandent des incitations fiscales comme une TVA réduite, ou des subventions. Et, pourquoi pas, davantage de commandes publiques. Saint-James fournit, de façon marginale, des pulls à l’armée de terre, de l’air et la marine nationale. Ils veulent aussi en finir avec la confusion créée par l’étiquetage des produits. Aujourd’hui, on trouve des marques à connotation française et des étiquettes bleu blanc rouge sur des produits qui ne sont absolument pas fabriquées en France.

«Il existe plusieurs labels payants, comme Origine France Garantie et France Terre Textile, précise Martin Breuvart, président de la bonneterie Lemahieu et de Façon de faire, un collectif de 180 industriels du textile. Le label “made in France” est gratuit, mais flou. Nous demandons au gouvernement d’imposer un même label à tout le monde, avec une exigence de transparence sur les étapes de fabrication.»

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