« Vous avez pris des antidépresseurs avant de m’appeler ? », commence en plaisantant à demi Benoît Aiglon, promoteur immobilier depuis quarante-trois ans. Il dirige Exeo, vingt salariés, dans la banlieue d’Orléans, dont le quotidien consiste à racheter des terrains, à obtenir des permis de construire pour livrer, quelques années plus tard, des résidences de cinquante à soixante logements neufs, dans la région Centre, mais aussi en Ile-de-France.
Pour résumer la situation de cette fin novembre vue de son bureau, le chef d’entreprise ne fait pas dans la nuance : « Ce n’est ni un cataclysme ni un séisme, c’est une véritable catastrophe, du jamais-vu. » Il a pourtant tout connu, assure-t-il : « François Mitterrand, Lehman Brothers, les subprimes. A chaque crise, tous les présidents de la République sont montés au créneau pour défendre l’immobilier. Là… »
Une fois lancé, il déroule : « l’hérésie de la suppression » du « Pinel » (ce dispositif fiscal qui permettait au particulier d’acquérir du neuf pour le louer à des plus modestes), « alors que cela représente 80 % du marché dans nos régions et sert de palliatif au logement social », « l’empilement de réglementations », la remise en question de la maison avec jardin, « le rêve de tous les Français ». « On nous dit de faire autrement, mais les cycles de production sont en place depuis des décennies, ça ne se fait pas en deux jours. Pourquoi personne n’écoute les présidents des fédérations, ceux qui savent ? » Pascal Boulanger, représentant des promoteurs – « un ami » – par exemple, réclame « une loi fiscale d’exception de courte durée » pour faire redémarrer la machine.
Benoît Aiglon prévient : il termine les trois, quatre chantiers en cours, mais ne relance rien. Les acheteurs n’obtiennent pas leur prêt, ce serait risquer de se retrouver avec des appartements non vendus. Ses quinze programmes en stock ? Il suspend. Pour l’un d’eux, dans le Val-d’Oise – « un vieil immeuble de trois appartements » en centre-ville à raser et à remplacer par « cinquante logements, et un restaurant » –, Exeo a le permis, et attendait juste la fin des délais de recours pour acheter le terrain. « Deux ans de travail, j’ai payé des ingénieurs, des géomètres, des architectes, investi 300 000 euros, précommercialisé 20 %. C’est inacceptable. » Le patron d’Exeo n’exclut pas des licenciements avant la fin de l’année.
A cran
Les promoteurs immobiliers sont à cran depuis des mois. Comme leurs autres collègues de la construction, ils ont encaissé le Covid-19, la guerre en Ukraine, la hausse du coût de l’énergie et des matériaux, les délais d’approvisionnement. Mais avec cette deuxième salve (envolée des taux, inflation, gel des crédits), c’est tout leur modèle économique qui vacille. L’Etat a dû intervenir, cet été.
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