Diplômée de l’école d’informatique Epitech à Bordeaux, au printemps dernier, Héloïse Tronche se souvient précisément de la répartition de sa promotion : cinq filles pour cent trente-cinq garçons. « J’avais déjà l’habitude d’être en infériorité numérique, étant passée par un bac S-SI [sciences de l’ingénieur]. Ça ne me dérangeait pas plus que ça, j’ai toujours su m’entendre avec les garçons. Mais là, ça faisait vraiment beaucoup », relève la développeuse de 24 ans, embauchée, avant même l’issue de son stage de fin d’études, dans une petite start-up dirigée par une femme. « D’autant que beaucoup d’étudiants tombaient dans la caricature du geek préférant jouer à League of Legends [un jeu vidéo de bataille] toute la nuit plutôt que socialiser, poursuit-elle. C’était très difficile de s’y sentir à l’aise. J’ai réussi à aller au bout des cinq années d’études en m’appuyant sur mon noyau amical en dehors de l’école. »
Héloïse appartient pourtant à une génération entrée dans le secteur de la tech à une époque marquée par la multiplication des discours et des dispositifs publics et privés en faveur de l’insertion des femmes dans ce marché à fort taux d’emploi, tout particulièrement à des postes techniques. Cet élan a pris forme à partir de 2013, d’abord timidement, au moment du lancement du label « French Tech » par l’Etat, afin de promouvoir les entrepreneurs français du numérique. Il s’est intensifié à partir de 2017 avec le mouvement #metoo, ravivant les débats sur les inégalités de genre. « D’autant qu’au même moment les besoins en main-d’œuvre ont fortement augmenté, plus vite que le vivier de diplômés disponibles », rappelle Emmanuelle Larroque, fondatrice de l’association Social Builder, spécialiste depuis 2015 de l’égalité professionnelle dans les métiers dits d’avenir. Il est alors urgent d’élargir ce vivier, notamment en allant chercher celles qui y sont sous-représentées.
Mais les chiffres révèlent que le changement peine encore à se matérialiser. En France, les femmes ne représentent que 17 % des diplômés du numérique exerçant dans le secteur, selon l’enquête Gender Scan du cabinet Global Contact, publiée en février 2022.
Des profils recherchés
Sur le terrain, les nouvelles générations d’informaticiennes rejoignant la tech, surtout des start-up, se sentent toujours faire figure d’« exception » – le mot revient constamment quand elles témoignent de leur expérience. Elles décrivent un milieu professionnel où les recruteurs les recherchent, mais où les manageurs ne savent pas comment donner corps à l’objectif de mixité et d’égalité au quotidien. « Les chefs d’équipe ont envie de promouvoir l’égalité, mais sans porter le sujet en étendard non plus. Ça ne laisse pas beaucoup d’espace pour en parler. Je marche sur des œufs. Je n’ai jamais pu verbaliser le fait que, pour moi, l’égalité entre femmes et hommes était cruciale », témoigne Héloïse Tronche depuis Bordeaux.
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