« C’est un super boulot, ça, hôtesse de l’air ! » Entre les croissants et les baguettes, Louise (à la demande de certains témoins, les prénoms ont été modifiés) s’agace de la remarque souriante de la boulangère. Ce n’est pas la première fois que son uniforme aérien la range d’office en cabine, sans question préalable. « Dans la tête des gens, une femme ne peut pas être pilote, ils ne l’envisagent même pas », confie-t-elle un brin amère. Pourtant, c’est dans le cockpit que la jeune femme de 24 ans passe ses journées. En tant que pilote professionnelle dans l’aviation d’affaires, formatrice aéronautique et passionnée de voltige aérienne – formule 1 version ciel –, il lui serait bien difficile de faire autrement.
Dix pour-cent : c’est le nombre d’aviatrices licenciées, d’après l’Association française des femmes pilotes (AFFP). « Quand je suis entrée à Air France, on était 5 % de femmes pilotes. Aujourd’hui, on est 9 %. En trente ans, prendre 4 %, c’est peu. La parité n’est pas pour demain », constate Laurence Elles-Mariani, 55 ans, membre de l’association, formatrice et commandante de bord. Comme pour les métiers de la route, les gros engins qui traversent le ciel ont leur « dimension phallique », remarque-t-elle. « D’ailleurs, on dit toujours “le” commandant de bord. Il est vu comme le garant de la sécurité, le père de famille. »
Laurence Elles-Mariani fait partie d’une « génération qui a été confrontée à des collègues hommes qui avaient du mal à concevoir qu’une femme soit au même niveau, qui se sentaient dévalorisés ». Mais est-elle vraiment la seule ? Louise, Aurélie et Morgane ont la moitié de son âge : de la petite vingtaine à tout juste 30 ans. Elles travaillent dans l’aviation civile et d’affaires. Avec la « vieille école » – les hommes de plus de 50 ans –, toutes témoignent de rapports parfois corsés. Entretiens d’embauche pénibles, salaires amaigris, blagues sexistes… Les récits actuels riment avec ceux des anciennes.
Dans le huis clos infernal du cockpit
« Comment envisagez-vous votre vie de famille ? » Laurence Elles-Mariani a dû trouver quoi répondre à cette question, au moment de son entrée à Air France. En théorie, la loi interdit désormais d’évoquer la situation familiale en entretien. Mais Aurélie, âgée de 24 ans à son embauche, s’y est retrouvée confrontée à son tour : « Qu’est-ce que vous ferez quand vous aurez un enfant ? Et s’il est très malade alors que vous êtes en mission ? » Que cette question soit posée aux hommes à sa place, elle en doute. Etre pilote sans distinction de genre relève encore du fantasme, du côté de la fiche de paie y compris.
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