On pouvait encore imaginer il y a quelques années, en se forçant un peu, qu’avec le temps le climat finirait par s’adoucir à Saclay (Essonne). Qu’à force de voir surgir de nouvelles écoles, de nouveaux logements, de nouveaux laboratoires ce vaste chantier battu par les vents deviendrait un jour une ville accueillante. Qu’au fil de l’eau l’ambition affichée par Nicolas Sarkozy en 2008, de créer sur ces terres agricoles d’Ile-de-France une « Silicon Valley à la française », fertiliserait tout de même un peu de vie au passage…
Mais, en cinq ans, l’atmosphère n’a pas varié d’un iota. A chaque nouvelle visite, que le temps soit au beau fixe ou qu’il pleuve des cordes, le même spectacle de désolation provoque immanquablement le même sentiment d’effroi incrédule. Des pelouses ont bien été plantées au milieu des artères qui quadrillent les deux quartiers du campus, le Moulon et Polytechnique. L’horizon tant désiré, et si souvent repoussé, de la ligne 18 du métro s’incarne désormais très concrètement dans une longue virgule de béton sur pilotis où des rails seront bientôt posés. Un hôpital est même en chantier. Mais l’espace public est toujours aussi stérile : une grille orthogonale remplie de bâtiments massifs, aussi indifférents au vide qu’ils créent autour d’eux qu’aux sous-bois qui viennent en lécher la lisière.
Les étudiants et chercheurs sont bien là, mais restent claquemurés dans les institutions auxquelles ils sont rattachés, dont les architectes ont le plus souvent soigné l’intérieur. Pour ce qui est de l’extérieur, la plupart ont rendu les armes. La logique du plan urbain (conçu par l’architecte et urbaniste belge Xaveer De Geyter), la conception purement fonctionnaliste de la ville portée par l’aménageur dans un contexte marqué par une forte pression sur les budgets leur laissaient peu de marge. En résulte cette collection de parallélépipèdes balourds, interchangeables, rigoureusement alignés sur la voie publique et plafonnés à 25 mètres pour respecter le plan local d’urbanisme (PLU), dont l’Ecole normale supérieure (Renzo Piano, 2020-2021), le campus de CentraleSupélec (OMA, 2021), ou plus récemment le Pôle biologie-pharmacie-chimie de l’université Paris-Saclay (Bernard Tschumi, 2022), comptent parmi les joyaux.
« Faire entrer la nature dans le bâtiment »
Réalisé par un tandem d’architectes franco-espagnols (Emmanuelle et Laurent Beaudouin Architectes, associés à l’agence MGM arquitectos, de José Morales et Sara De Giles), dans le quartier de Moulon, sur le Deck, l’artère principale du campus, le tout nouveau Lumen Center est une exception qui confirme la règle. Une forme triangulaire effilée pour un bâtiment lumineux, tout en verre, enveloppé d’une double peau en baguettes d’aluminium blanches, qui opère sur la rue un retrait en corolle. Entre les deux façades, un parvis vient se nicher, planté d’arbres majestueux.
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