Il y a «urgence à agir». Dans un livre blanc remis ce mardi 5 décembre au gouvernement, Mathieu Klein, le président du Haut conseil du travail social, appelle l’exécutif à revaloriser rapidement les professionnels du secteur (les travailleurs sociaux traditionnels comme les assistants sociaux, les éducateurs, les auxiliaires de vie, mais aussi tous les intervenants sociaux comme les médiateurs sociaux et familiaux, les animateurs, les conseillers en insertion, les intervenants de l’économie sociale et solidaire et de la politique de la ville). «Jamais dans son histoire le secteur du travail social n’a connu une crise d’attractivité aussi intense», alertent les auteurs du rapport.

Ainsi, 71% des établissements du secteur rencontrent des difficultés de recrutement et 30 000 postes seraient vacants. Par ailleurs, les organisations professionnelles anticipent 150 000 départs à la retraite d’ici 2025 au sein des 35 000 établissements du travail social. Si le manque de bras n’est pas nouveau, ces métiers étant usants, «​​une défection inédite» se propage toutefois aujourd’hui dans le domaine, «donnant lieu à une pénurie de professionnelles (neuf salariés du secteur sur dix étant des femmes, les auteurs du livre blanc ont fait le choix du féminin, NDLR)», peut-on lire. Le niveau important de postes vacants conduit logiquement à une baisse de la qualité du service rendu aux Français. Au-delà d’une crise des recrutements, il y a donc une véritable «dégradation des politiques de solidarité».

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Les salaires des travailleurs sociaux décrochent de l’inflation depuis les années 2000

Si la revalorisation salariale ne fait pas tout et que le livre blanc appelle également à nettement améliorer les conditions de travail des professionnels du secteur, elle reste tout de même un levier important. D’autant que «depuis les années 2000, le décrochage des salaires est largement vécu comme une déconsidération des métiers du travail social», dans la fonction publique comme dans le secteur associatif privé, signalent les auteurs du livre blanc. «Cette évolution atone des salaires est devenue la règle et le niveau global des rémunérations dans le secteur du travail social n’a cessé de baisser comparativement à d'autres secteurs», ajoutent-ils.

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Pour éviter de maintenir un tel décrochage des rémunérations des travailleurs sociaux par rapport à l’inflation, le livre blanc recommande de mettre en place un mécanisme d’indexation du financement public pour les revalorisations dans le secteur, qui consisterait par exemple à se fonder sur l’augmentation moyenne du Smic sur les trois ou cinq dernières années. Un financement «minimal» qui permettrait de prévenir tout décrochage «sans pour autant créer une obligation des pouvoirs publics de suivre au fil de l’eau les pics d’inflation», estiment les auteurs, qui insistent également sur l’importance de redonner «toute leur place» aux partenaires sociaux dans la négociation salariale du secteur.

Une première revalorisation insuffisante avec le Ségur de la santé

Même si début 2022, le Ségur de la santé a permis une amélioration en la matière avec une augmentation de salaire dédiée aux travailleurs sociaux, il ne vient que «partiellement corriger» la baisse tendancielle des rémunérations observée dans le secteur depuis le début des années 2000. Le Ségur a été d’autant moins efficace que tous les travailleurs sociaux n’ont pas pu en profiter : les personnels administratifs et techniques en sont, par exemple, toujours exclus. «Ceux qui n’ont pas bénéficié du Ségur ressentent une vive injustice et une mise à l’écart venant éroder un peu plus l’attractivité des métiers du secteur social et médico-social», fait savoir le livre blanc.

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Et justement, l’hétérogénéité dans les salaires pratiqués dans le secteur est un véritable problème que le rapport met en lumière. «Les professionnelles peuvent ainsi percevoir, dans des situations analogues, des rémunérations variables, selon qu’elles relèvent d’un des trois versants de la fonction publique ou d’une des conventions collectives de la branche de l’action sanitaire et sociale, de la branche de l’aide à domicile ou encore du secteur privé commercial», décrivent les auteurs.

Dans le détail, les travailleurs sociaux relevant de la fonction publique ont, globalement, des rémunérations plus favorables que ceux exerçant dans le secteur privé. Et au sein même de ce dernier, les pratiques salariales diffèrent. On retrouve d’un côté les salariés de la branche de l’action sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (Bass), elle-même divisée en plusieurs conventions collectives (établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif ; établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées ; la Croix Rouge, etc.) et, de l’autre, ceux de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD).

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La nécessité d’une harmonisation vers le haut des salaires dans le secteur

La première branche regroupant de nombreuses conventions collectives différentes, les salaires accordés varient fortement en fonction du type d’établissement dans lequel exercent les travailleurs sociaux. Quant à la BAD, les rémunérations y sont «très faibles» par rapport au reste du secteur, est-il écrit dans le document remis au gouvernement. Au-delà d’un effort global pour revaloriser l’ensemble des salaires des travailleurs sociaux, les auteurs appellent donc aussi à réduire les écarts de rémunérations entre le public et le privé et ceux observés entre les différentes branches du privé.

Cela passerait, entre autres, par la réouverture du chantier - annoncé en même temps que la première revalorisation salariale dans le secteur début 2022 - de la création d’une convention collective unique étendue (CCUE) pour la Bass, la branche de l’action sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif. Et ce, «pour concrétiser collectivement une harmonisation vers le haut des conditions de rémunération» dans cette branche. Dans ce cadre, «l’Etat est appelé à s’engager par des moyens financiers ambitieux» et «il doit avoir comme objectif de procéder aux réajustements nécessaires et ainsi à la reconnaissance du travail social comme une branche socle dans notre modèle de société et dans l’accompagnement des vulnérabilités», concluent les auteurs du livre blanc. «Il y a effectivement urgence à agir ! Urgence à structurer les environnements conventionnels, par la mise en place d’une CCUE, dans une optique d’attractivité et d’amélioration de l’accompagnement des personnes les plus vulnérables», a réagi Alain Raoul, président de Nexem, la principale organisation professionnelle des employeurs associatifs du secteur social et médico-social, dans un communiqué.

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Et maintenant ? Il revient au gouvernement de se saisir de ce rapport pour agir pour les métiers du travail social. Si rien n’a encore vraiment été annoncé pour les professionnels du secteur, mise à part la création d’un «institut national du travail social» en 2024, «nous devons continuer à mieux les reconnaître, les valoriser et les rémunérer», a admis Aurore Bergé, la ministre des Solidarités et des Familles, dans un communiqué publié dans la foulée de la remise du livre blanc.