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Enquête

Spécialité maths : le grand dilemme des familles

Les élèves de seconde devront bientôt faire leurs premiers choix de spécialités. Dans de nombreuses familles, la question de conserver ou non les mathématiques suscite de vifs débats. Le ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal, veut faire évoluer Parcoursup pour aider les lycéens à y voir plus clair.

Gabriel Attal (Education nationale) et Jean-Noël Barrot (Transition numérique), sur un salon à Paris, fin novembre.
Gabriel Attal (Education nationale) et Jean-Noël Barrot (Transition numérique), sur un salon à Paris, fin novembre. (Alexandra Bonnefoy/REA)

Par Marie-Christine Corbier

Publié le 5 déc. 2023 à 07:10Mis à jour le 5 déc. 2023 à 09:59

« Maman, tu m'en voudras pas si je prends pas la spé maths ? » Dans les familles comme sur les Salons spécialisés dans l'orientation, qui se multiplient en cette fin d'année, la question revient en boucle. Ce propos d'une élève de seconde illustre le poids encore prégnant de la discipline. Cinq ans après l'annonce de la réforme de l'ex-ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, la suppression de la fameuse série S a laissé la place à des « spécialités » censées en finir avec la sélection par les mathématiques.

Prendre ou non « la spé maths » : c'est « la » question qui interpelle lycéens et parents. Dans quelques semaines, les élèves de seconde devront faire leurs premiers choix de triplette (trois spécialités en première) pour n'en garder que deux en terminale.

« Prendre les maths quand même »

« Faut-il garder les maths, une matière que l'on prétend nécessaire pour ne pas se boucher de choix par la suite ? » s'interroge Jean-Michel, père d'une élève de seconde « très moyenne dans cette matière ».

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Dans la file d'attente de la cantine d'un lycée francilien, trois adolescentes de seconde tentent d'en aider une autre, « paumée » dans ses choix. « Tu prends une ou deux spécialités dans des matières que t'aimes bien et une ou deux spés stratégiques qui peuvent t'ouvrir le plus de portes possibles, comme HGGSP [histoire, géographie, géopolitique et sciences politiques] ou maths », suggère l'une. « Ah non, l'interrompt une autre ! Faut surtout pas choisir par rapport à ce que t'aimes, mais par rapport aux écoles que tu veux faire ! » « Les spés, c'est votre choix, prévient un professeur principal. Si vos parents sont en désaccord avec vous, je prendrai rendez-vous avec eux. Et à la fin, c'est vous qui remplissez la fiche et qui avez donc le dernier mot. »

A l'université de Strasbourg, le directeur du service d'aide à l'orientation, qui préside aussi la conférence universitaire des responsables de l'orientation et de l'insertion professionnelle des étudiants, voit régulièrement les effets de cette « pression contre-productive des parents ». « On a soit des parents qui se désintéressent de l'orientation, soit des CSP + qui exercent une pression très importante sur leurs enfants pour les faire entrer dans des filières d'excellence, ce qui les conduit parfois au burn-out », déplore Bernard Lickel.

Faut-il suivre cet enseignement de spécialité quand on ne se destine pas à des études de sciences dites dures ? « Tout dépend de la manière dont le jeune se sent par rapport aux maths », répond l'un des meilleurs experts de la réforme Blanquer. Il met en garde contre « ces élèves qui vont souffrir et passer deux ans pas très agréables pour avoir, au final, une note faible au bac », ce qui risque de les desservir pour l'accès à l'enseignement supérieur. Tout ne doit pas être « pure stratégie », souligne-t-il.

La désillusion face au « lycée des possibles »

En 2019, grandes écoles et universités avaient signé une charte consacrant « le lycée des possibles », dans lequel chaque élève pourrait prendre les spécialités de son choix sans être ensuite handicapé pour suivre certaines formations, voire empêché de le faire. Laissons les lycéens suivre leurs envies, répétaient alors les ministres de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur.

Pour certains lycéens, la désillusion a été forte au moment de l'inscription sur Parcoursup . Ils ont alors découvert que, pour accéder à telle formation, il aurait fallu choisir en première une spécialité qu'ils n'avaient pas prise. « Le nombre de gamins qui m'écrivent en me disant qu'ils veulent faire telle formation mais n'ont pas pris les bons enseignements de spécialité en première ! » s'agace Gabriel Attal. Le ministre de l'Education nationale se dit prêt à faire évoluer Parcoursup. « Je souhaite qu'on affiche sur la plateforme que, statistiquement, x personnes qui ont fait telle formation avaient pris tels enseignements de spécialité », confiait-il aux « Echos », fin novembre, en marge du Salon de l'orientation de l'Onisep, à Paris.

Certains sont très bien informés, accompagnés parfois de coachs en Parcoursup qui savent ce qu'il faut sélectionner pour ce qu'on a envie de faire ; et d'autres n'ont pas ces informations.

Gabriel Attal Ministre de l'Education nationale

Jusqu'ici, l'Education nationale n'a jamais voulu s'engager dans cette voie, craignant la reconstitution, de fait, des séries de l'ancien bac. Il faut « de la transparence », insiste Gabriel Attal, qui s'emporte contre « les inégalités » : « Certains sont très bien informés, accompagnés parfois de coachs en Parcoursup qui savent ce qu'il faut sélectionner pour ce qu'on a envie de faire ; et d'autres n'ont pas ces informations. »

« Pour la majorité des études d'économie-gestion », la spécialité mathématiques en terminale n'est « pas nécessaire », mais la prendre en première sera « fort utile », indique Morgane Chevé, qui préside la conférence des doyens des facultés d'économie et de gestion. Elle recommande l'option maths complémentaires pour ceux qui abandonnent la spécialité en terminale.

Sauf que ces recommandations ne valent pas partout. A l'université Paris-Dauphine-PSL par exemple, le vice-président chargé de la formation, Sébastien Damart, conseille aux lycéens « de ne surtout pas lâcher les maths » et explique que l'option maths complémentaires ne suffira pour la licence en sciences des organisations qu'à la « condition d'avoir un excellent niveau », mais « l'idéal est de prendre la spécialité maths en première et en terminale ». Quant à la double licence Intelligence artificielle et sciences des organisations, 100 % des étudiants admis cette année avaient choisi l'option maths expertes.

« La folie française des maths »

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Et en droit ? « Il y a encore l'idée, chez les formateurs, que ceux qui font des maths sont les meilleurs élèves, comme pour l'ancien bac S », confie Guillaume, étudiant à Paris-II Panthéon-Assas. « On valorise les mathématiques dans les dossiers, parce qu'elles sont intellectuellement structurantes, explique Marie-Hélène Monsèrié-Bon, vice-présidente de l'université Paris-II-Panthéon-Assas, chargée de la formation. Les maths seront valorisées comme quelques autres spécialités - HGGSP, HLP [humanités, littérature et philosophie] et les langues » avant de glisser, au passage : « On ne valorise pas la spécialité théâtre. »

Selon les chiffres auxquels « Les Echos » ont eu accès, la répartition des admis en phase principale de Parcoursup en première année de licence de droit et sciences politiques à Paris-II montre toutefois que les élèves ayant choisi la spécialité mathématiques en 2023 étaient peu nombreux. Plus de 30 % avaient pris HGGSP et SES (sciences économiques et sociales) sans l'option maths complémentaires.

Si « beaucoup de formations du supérieur continuent de penser que ceux qui prennent les maths sont de bons élèves, cela va changer peu à peu, prédit Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille et auteur d' un rapport sur le lycée des possibles qui a inspiré la réforme Blanquer. On a de plus en plus de bons élèves qui prennent, par exemple, HGGSP et SES. »

« C'est la folie française des maths, ça fait un siècle que ça dure ! s'agace un recteur, qui évoque cette matière comme outil de sélection, que ce soit en droit ou en médecine. Il faut que les universités travaillent leur regard. C'est un vrai sujet. »

« Sélectionner par les maths »

La position de la Conférence des grandes écoles (CGE) a sensiblement évolué depuis 2019. « J'aimerais pouvoir dire aux lycéens : 'Prenez les matières qui vous plaisent et dans lesquelles vous êtes en mesure de réussir', confie son président, Laurent Champaney. Aujourd'hui, pour un adolescent qui ne sait pas trop ce qu'il veut faire, la spécialité maths est celle qui ouvre le plus de débouchés. On voit que les profils qui maîtrisent bien les maths sont d'assez haut niveau. Et pour ceux qui y sont très faibles, on se pose la question de leurs capacités de compréhension sur le reste. »

Dans le monde des écoles d'ingénieurs, Emmanuel Duflos, le président de la conférence des directeurs, considère qu'avoir « un socle significatif en maths devient de plus en plus fondamental » pour comprendre un monde « de plus en plus gouverné par l'analyse de la donnée ». Il ajoute toutefois qu'aborder l'intelligence artificielle sans se préoccuper d'éthique et de philosophie serait « dangereux ».

« J'aimerais que toutes les formations du supérieur puissent dire simplement s'il faut prendre ou pas les maths, à telle hauteur, et si c'est en première ou en terminale ou les deux. Il faut imposer cette transparence. »

Pierre Mathiot Auteur du rapport qui a inspiré la réforme du bac

Des formations cherchent à mixer ces disciplines. Comme le nouveau cycle pluridisciplinaire d'études supérieures (CPES) en « sciences des données, arts et culture » développé par l''université Paris Sciences & Lettres (PSL) et le lycée Louis-le-Grand à Paris. Ou la double formation en sciences sociales et en sciences exactes que prépare Sciences Po Bordeaux, « pour que les sciences exactes prennent au sérieux les sciences sociales et vice-versa », selon son directeur, Dominique Darbon.

Quant à ceux qui n'ont pas le bagage en mathématiques suffisant à l'entrée dans le supérieur, des établissements se chargent de les remettre à niveau. A Sciences Po Paris , où aucune spécialité n'est requise pour postuler, des cours sont obligatoires en première année, afin que tous les étudiants puissent suivre ceux d'économie l'année suivante. Ils sont répartis en groupes de niveaux. Dans les instituts d'études politiques (IEP) qui partagent un concours commun et « accueillent les élèves de toutes les spécialités », cette remise à niveau est une possibilité offerte aux étudiants.

« Imposer la transparence »

Pour entrer dans l'un de ces sept IEP, il faut passer un concours, avec des épreuves écrites. Pierre Mathiot, qui a longtemps copiloté le comité de suivi de la réforme du lycée, aimerait « que toutes les formations du supérieur puissent dire simplement s'il faut prendre ou pas les maths, à telle hauteur, et si c'est en première ou en terminale ou les deux ». « Il faut imposer cette transparence », souligne-t-il.

Pour se repérer au mieux, la présidente de l'association des professeurs de mathématiques de l'enseignement public, Claire Piolti-Lamorthe, conseille aux lycéens d'aller dès la seconde sur le site de Parcoursup , « ouvert toute l'année », et de s'en servir « comme lieu d'information ». D'autres ressources peuvent être utiles, comme les sites SupEasy ou SupTracker qui analysent des données ministérielles en open data.

Comme beaucoup, Claire Piolti-Lamorthe regrette l'absence d'offre entre la spécialité, très exigeante, et les maths du tronc commun , « tournés vers la culture générale ». Sur le site de l'Education nationale, il est précisé que les élèves ayant suivi le tronc commun de première - une heure et demie obligatoire par semaine pour tous ceux qui ne suivent pas la spécialité - pourront accéder à l'option maths complémentaires en terminale. Pour beaucoup d'élèves, la marche sera trop haute, déplore-t-elle, en estimant qu'« il manque un entre-deux ».

Marie-Christine Corbier

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