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L’enquête

Les bachelors, la nouvelle machine à cash des grandes écoles ?

ENQUÊTE // Les bachelors ont fleuri dans les plaquettes des écoles de commerce et d'ingénieurs. Comment expliquer cet engouement pour ces formations post-bac, en trois ou quatre ans ? Ce sont de nouvelles recettes pour les grandes écoles, mais pas que. D'ailleurs les bénéfices ne seraient pas toujours au rendez-vous…

Amphithéâtre de Grenoble école de management, dont le bachelor se place 16e dans le classement 2023 des meilleurs bachelors publié par Le Parisien.
Amphithéâtre de Grenoble école de management, dont le bachelor se place 16e dans le classement 2023 des meilleurs bachelors publié par Le Parisien. (Xavier Vila / SIPA)

Par Florent Vairet

Publié le 29 nov. 2023 à 11:54Mis à jour le 4 déc. 2023 à 12:43

Vous trouviez le prix d'un master en grande école onéreux ? Jetez un oeil aux bachelors. Ces cursus post-bac se sont multipliés comme des petits pains ces dix dernières années. En octobre dernier, HEC Paris a dévoilé le sien en partenariat avec la prestigieuse université Bocconi de Milan : 71.250 euros les trois années d'études. L'école de commerce française, qui s'était toujours refusée à créer le sien de peur de faire de l'ombre à son programme grande école, a donc fini par céder aux sirènes du marché.

CentraleSupélec a, elle aussi, fini par y aller. A la rentrée 2023, l'école d'ingénieurs a lancé deux bachelors (sur quatre ans), en partenariat avec deux établissements reconnus : l'un avec l'Essec , l'autre avec l'université canadienne McGill. Ces jolis noms ont un prix : 20.000 euros l'année pour le premier, 7.500 euros pour le second… mais ce dernier tarif s'applique seulement aux étudiants européens et canadiens. Tous les autres devront payer 36.000 euros l'année.

Au moins 40 % des étudiants d'écoles de commerce inscrits en bachelor

L'ESCP a aussi le sien et le monnaie 16.920 euros l'année, Skema 14.000 euros. Des prix qui décroissent en fonction du prestige de l'école. Mais ces montants ne manquent pas d'alimenter la petite musique anti-grandes écoles qui pourrait être résumée ainsi : « Les grandes écoles s'en mettent plein les poches et le bachelor est leur nouveau véhicule d'enrichissement ». Et vu l'allure à laquelle les grandes écoles s'engouffrent dans ces programmes, on serait tenté d'y croire.

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L'ESCP a démarré en 2017 avec 47 étudiants sur son campus londonien et quasiment aucun étudiant français. L'école compte aujourd'hui 2.542 étudiants en bachelor (sur 9.200 étudiants au total), répartis sur ses cinq campus européens. A l'Essca, le nombre d'étudiants bachelor a doublé en trois ans, et la direction veut encore le doubler dans les années à venir.

Combien représentent ces étudiants bachelors sur les 200.000 étudiants inscrits en écoles de commerce ? La CDEFM, la conférence qui rassemble ces écoles, ne dispose pas du chiffre exact, mais Alice Guilhon, qui en est la présidente, l'estime entre 40 et 50 %.

La banque de concours Ecricome Bachelor, qui rassemble l'EM Strasbourg, Kedge et Rennes School of Business, propose 37 % de places supplémentaires aux candidats entre 2020 et 2024. Des étudiants post-bac toujours plus nombreux alors que les étudiants entrés sur concours après leur prépa se font plus rares. L'édition 2024 du concours Ecricome ouvert aux étudiants de classes préparatoires perd 50 places par rapport à 2023.

Boom des bachelors : explications

Alors une question : pourquoi le nombre de places en bachelor a-t-il explosé ces dernières années ? D'abord, en 2021, le programme a gagné le droit, après examen du dossier, d'obtenir le grade de licence. L'avantage n'est pas mince : il permet à l'étudiant une poursuite d'études en niveau master. Depuis, les écoles s'empressent de décrocher ce fameux tampon. « Toutes les écoles de la CDEFM ont au moins un bachelor labellisé », assure Alice Guilhon. En 2023, la liste du ministère des écoles autorisées à délivrer un diplôme conférant le grade de licence comportait seulement 23 établissements , écoles de commerce et d'ingénieurs confondus.

Ensuite, la réforme du bac a mis du plomb dans l'aile de la classe prépa. Elle s'est d'abord traduite par une réduction du nombre de lycéens ayant suivi des mathématiques. Or, intégrer une classe préparatoire aux écoles de commerce suppose d'avoir un solide bagage dans cette discipline. Le nombre d'étudiants dans ces classes prépas a mécaniquement chuté de 14 % à la rentrée 2021. Et 2,9 % en 2022.

De leur côté, les écoles de commerce réfutent l'idée d'un transvasement des étudiants de la classe prépa vers les bachelors. Néanmoins, difficile de ne pas être interpellé par la concomitance de la baisse d'attractivité de la classe prépa et l'essor des bachelors.

Une offre qui serait plus sécurisante que l'université

D'autant que pour les familles, la différence entre les programmes bachelors (trois ou quatre ans) et grande école (en cinq ans, souvent après une classe prépa) n'est pas limpide. Les deux cursus proposent aux étudiants une formation tournée vers les besoins des entreprises avec une forte dimension internationale (semestres d'études ou stages à l'étranger). En réalité, le bachelor est plus axé vers un type de métier quand le programme grande école est plus généraliste et pousse les diplômés vers le top management.

Comparé à l'université, le choix du bachelor serait aussi plus sécurisant, selon Alice Guilhon de la CDEFM. « L'université, gratuite, n'est au départ pas sélective, mais devient hyper sélective en fin de cursus », notamment au moment du passage en master. Les bachelors sélectionnent à l'entrée, via un concours, et n'évincent que très peu d'étudiants au cours de la formation.

« Sans compter que les bachelors, contrairement au BTS ou DUT, préparent l'étudiant non seulement à un métier mais aussi à une évolution de carrière vers le ‘middle management', grâce à des cours généralistes, des langues étrangères ou encore une méthode de recherche », détaille celle qui est aussi directrice de Skema.

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Une école de commerce ne peut pas s'affirmer au niveau européen sans une offre bac+3

Surtout le boom des bachelors s'explique par une volonté des grandes écoles de développer leur offre de formation, dans un objectif triple. D'abord, répondre aux besoins des entreprises. « Notre pays a un très fort besoin d'ingénieurs, or le vivier des élèves de classe prépa stagne, il faut donc aller les chercher ailleurs », explique Romain Soubeyran, directeur de CentraleSupélec, qui vise un doublement de son flux de diplômés dans les prochaines années. En plus des deux bachelors ingénieurs déjà lancés avec l'Essec et McGill, son école projette d'en ouvrir deux autres (sans préciser l'échéance).

Le deuxième objectif est de gagner en notoriété à l'étranger. Si en France, le cursus « classe prépa + programme grande école » est connu et reconnu, il reste atypique dans le paysage européen, où le format 3+2, une licence puis un master, s'est imposé à l'issue de la réforme du processus dit de Bologne en 2010. « Il est par exemple difficile de déployer un programme en cinq ans en Espagne ou en Hongrie qui n'applique pas ce modèle-là, assure Jean Charroin, directeur de l'Essca. Une école de commerce française ne peut pas s'affirmer au niveau européen sans une offre bac+3. »

Mais c'est aussi pour se mesurer au monde anglo-saxon, où le modèle du bachelor est bien installé, que les écoles françaises ont accéléré. « Pour concourir avec les business schools anglo-saxonnes et attirer des étudiants de ces pays, les écoles françaises se devaient de proposer un dispositif complet, bachelor, master et doctorat », explique Alice Guilhon.

Plus de la moitié des étudiants de Skema sont en bachelor

Enfin, la troisième raison est la recherche de nouveaux financements, dans un contexte où, depuis une quinzaine d'années, les subventions publiques, émanant des chambres de commerce, se sont taries. A Skema, l'accélération est telle qu'en trois ans, la part de ces programmes dans les recettes de l'école a été multipliée par trois pour atteindre 25 % du budget. Aujourd'hui, 58 % des étudiants de Skema sont inscrits en bachelor.

Mais alors, bachelor, nouvelle vache à lait des grandes écoles ? Avec un tel développement et des prix aussi élevés, la tentation est grande de répondre par l'affirmative. Mais la réalité semble tout autre à en croire les directeurs interviewés. Si à Skema, cette part de 25 % semble considérable, elle reste modeste dans nombre d'écoles. Elle n'est que de 12 % à l'Essca. A HEC, le bachelor qui vient d'être annoncé ne devrait représenter qu'1 % des recettes.

Les écoles de commerce, en grande majorité des associations à but non lucratif

Surtout, si ces nouvelles formations augmentent les chiffres d'affaires des écoles, ce n'est pas toujours le cas de leurs bénéfices. Et pour cause, ces programmes seraient à peine rentables. A CentraleSupélec par exemple, les 20.000 euros de frais de scolarité du bachelor avec l'Essec permettent simplement un équilibre financier. Concernant le deuxième en partenariat avec McGill, c'est grâce aux étudiants hors Europe et Canada, ceux qui paient 36.000 euros l'année, qui permettent d'équilibrer la balance.

« Il faut savoir qu'un diplôme qui a obtenu le grade de licence, cela signifie que les coûts d'encadrement sont nécessairement beaucoup plus élevés que les autres, insiste Alice Guilhon, présidente de la CDEFM, qui évoque l'équipe de recherche, les locaux ou encore le taux d'encadrement. Ainsi, les frais de scolarité payés par les étudiants des bachelors (comme ceux du programme grande école) ne couvrent pas l'ensemble des coûts, dont une partie doit être assurée par la taxe d'apprentissage (versée par les entreprises), les bénéfices réalisés sur la formation continue et bien sûr par les fondations. »

Néanmoins à l'Essca, on ne cache pas qu'avec les bachelors, on vise la rentabilité, que ce soit pour le bachelor ou le programme grande école. « 90 % de nos étudiants dans ces deux formations, on doit être rentable », affirme Jean Charroin qui précise toutefois que son école est une association d'intérêt général. A ce titre, pas de versement de dividende, ni de plus-value pour les actionnaires.

C'est d'ailleurs le statut juridique choisi par la majorité des écoles de commerce françaises. « Tout doit être réinvesti pour que les comptes s'équilibrent, abonde Alice Guilhon. Gérer une école associative, c'est un numéro d'équilibriste ! Même si bien sûr je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières sur le sort des écoles de commerce. »

Surtout qu'une partie des étudiants de bachelor, poursuivent leurs études en master. Souvent dans une autre école de commerce. De quoi faire monter le prix de la scolarité d'un étudiant à plus de 100.000 euros… A moins qu'il n'opte pour l'alternance.

Florent Vairet

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