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Jean-Claude Ellena, les aquarelles d’un célèbre nez

Le cahier Livres de Libédossier
Le créateur de parfums pour Hermès raconte son parcours dans «l’Odeur des jours», un livre illustré par ses propres peintures.
Aquarelle de Jean-Claude Ellena issue du livre «l'Odeur des jours. Une vie de parfumeur». (Ed. Arthaud)
publié le 9 décembre 2023 à 10h42

Avant de devenir l’un des plus grands nez du monde, de créer des parfums notamment pour Van Cleef & Arpels (First, en 1976) et pour Hermès à partir des années 2000, Jean-Claude Ellena connut beaucoup d’expériences dans différentes villes et eut plusieurs patrons. Né à Grasse en 1947, fils, petit-fils, arrière-petit-fils d’ouvriers du parfum, ce grand lecteur de Jean Giono a déjà raconté son parcours dans quelques livres (Journal d’un parfumeur, Sabine Wespieser, 2011 ; l’Ecrivain d’odeurs, Le Contrepoint «Nez», 2017). Il le fait en ajoutant cette fois à son récit des aquarelles, ravissantes et par lui dessinées. Qu’il peigne sa ville natale, un champ, ou les alambics d’un distilloir, son trait dégage de la douceur, de la beauté et de la simplicité. L’aquarelliste et le parfumeur sont un seul et même homme, celui qui écrit : «Créer des parfums d’une simple et radieuse nudité était ma raison d’être.» Si cette autobiographie est si agréable et si intéressante à lire, c’est parce qu’elle est remplie d’apprentissages, d’explications fines et minutieuses (la récolte du jasmin dans les années 1950 par exemple), et que le luxe pour lequel il a travaillé ne lui a pas fait tourner la tête.

«Des odeurs de ciste, de lichen, d’immortelle»

L’odeur des jours voit des odeurs partout et avant tout. Il note que la vue est «ce sens expansionniste qui nous rend aveugles aux autres sens». Qui n’a pas fermé les yeux pour mieux écouter ? A ce qu’il sent, Ellena associe des mots précis. Grasse, par exemple, après la guerre, «avait des odeurs de ciste, de lichen, d’immortelle, de lavande, de pyrèthre, de verveine, de rose, de foin, de citronnelle – la citronnelle était livrée par fûts, je n’aimais pas l’aigre de son odeur.» Il use du même tact lorsqu’il décrit ses parents. Son père, d’origine italienne, avait été résistant : «le général de Gaulle était sa référence.» C’était «un homme à copains» qui aimait la vie plus que tout. Devant la professeure de français de son fils qui le convoque et qualifie le futur parfumeur, alors lycéen, de «simple d’esprit», le père donne «comme exemple de mes capacités intellectuelles la complexité des circuits de trains que je mettais en œuvre dans ma chambre. Je ne crois pas qu’elle ait compris la réponse. Mais je trouvais mon père très intelligent.»

Le portrait que dresse Ellena de sa mère est plus contrasté ; il faut lire entre les lignes. Elle était souvent contrariée et contrariante, rarement encourageante, rarement heureuse, pour elle et pour son entourage. Le couple et ses deux fils – Jean-Claude Ellena est l’aîné – partent à Amsterdam en 1954 quand est proposé au père, ouvrier devenu parfumeur, un salaire multiplié par cinq. Les valeurs changent : «Le bien-être, la raison, le fiable, le contrôle semblaient protestants. Le plaisir, l’harmonie, la volupté, la culpabilité paraissaient être catholiques.» Les odeurs aussi se métamorphosent. Le nord sent le propre, une «non-odeur». A 16 ans l’auteur est à son tour ouvrier dans la parfumerie. Il trace des ponts entre cet art et la cuisine : «Les cuisiniers apprennent cela, les résultats du goût des cuissons sont différents suivant les récipients.» Il y a «l’odeur ronde obtenue dans le cuivre, celle élégante produite par l’étain, celle métallique occasionnée par l’Inox et celle fade générée par le verre». Lorsqu’il crée des parfums exquis pour Hermès, Ellena refuse que les fragrances soient testées avant d’être mises sur le marché, tandis que l’industrie de la parfumerie se développe et que plus de 400 nouveaux parfums sont inventés chaque année. Ceux d’Ellena restent, d’autres passent.

Jean-Claude Ellena, l’Odeur des jours. Une vie de parfumeur, Arthaud, 192 pp., 24,90 € (ebook : 16,99 €).
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