Plus de huit enfants sur dix se retiennent d’aller aux toilettes à l’école (1). Or l’absence d’utilisation des sanitaires n’est pas sans conséquence sur la santé et les performances scolaires : 60 % des enfants ont mal au ventre et 58 % ne parviennent pas à se concentrer sur leur travail. « Les enfants ont peur d’être entendus quand ils font leurs besoins, qu’on les enferme, qu’on glisse un portable sous la porte… » détaille Edith Maruéjouls, sociologue et géographe du genre, fondatrice de l’Atelier recherche observatoire égalité (Arobe), qui a mené des enquêtes de terrain sur les enjeux d’éducation, d’hygiène et de santé liés aux toilettes à l’école.
Intimité garantie
L’experte a constaté que la mixité des toilettes contribue à améliorer la situation. Elle a accompagné le département de la Gironde lors de son premier plan « sanitaires », lancé en 2017. Un projet de rénovation des toilettes précurseur conçu sous le prisme de l’égalité filles-garçons. « Les sanitaires des garçons étaient beaucoup plus dégradés que ceux des filles. C’était davantage un lieu d’expression de la virilité. Chez les filles, des petits groupes s’agglutinaient autour des miroirs. Ces stationnements étaient une source d’insécurité pour certains élèves, notamment les plus jeunes », indique Anaïs Luquedey, directrice des collèges.
Pour garantir l’intimité des élèves, le département a supprimé les urinoirs, les remplaçant par des cabines fermées du sol au plafond. Les miroirs sont installés à l’extérieur des toilettes. « Ils ont un objectif fonctionnel. Un garçon peut aussi en avoir besoin », souligne Anaïs Luquedey. Aujourd’hui, vingt collèges ont opté pour la mixité des toilettes, soit la totalité de ceux construits ou rénovés, sur les 111 que compte le département.
Résultat : les toilettes sont beaucoup moins dégradées. Les enfants ne se retiennent plus d’aller aux toilettes et les infections urinaires sont moins fréquentes, témoignent les parents. Comment l’expliquer ? « Filles comme garçons laissent les toilettes propres car ils ou elles ne savent pas qui viendra derrière eux. On brise le fantasme sur le corps de l’autre qui salit », affirme Edith Maruéjouls. « Nous livrons des blocs sanitaires identiques. Libre au principal de choisir. Mais les constats positifs finissent par convaincre les plus réservés », se réjouit Anaïs Luquedey.
Respect des lieux
Au collège Albert-Camus à Rosny-sous-Bois (45 400 hab., Seine-Saint-Denis), le manque de toilettes était criant : quatre pour 600 élèves. Des lieux dégradés et inconfortables. Quand le département a annoncé leur rénovation avec 18 toilettes à la clé, le principal a décidé d’en faire un projet pédagogique. Le conseil départemental s’y est associé. « Il fallait que les élèves s’approprient le lieu pour ne pas avoir envie de l’abîmer et que les plus petits n’aient plus peur d’y aller », explique le principal, Julien Dagneaux. Inspiré par la Gironde, il a proposé de séparer le bloc des petits (6e et 5e) de celui des plus grands (4e et 3e) et d’en faire des toilettes mixtes.
« Nous avons eu des réticences à tous les étages », admet-il. A partir de décembre 2022, il a instauré des réunions de délégués et formé un comité d’élèves volontaires chargés de recueillir l’avis de leurs pairs. Les parents ont été consultés. Un conseil d’administration exceptionnel, organisé en avril, a validé le projet. « Nous avons dû faire preuve de pédagogie face aux inquiétudes liées aux agressions sexuelles. Mais la mixité n’augmente pas le risque. Il suffit de mettre en place une surveillance nécessaire », martèle le principal. Des élèves ont ensuite rédigé une charte d’utilisation et l’ont expliquée devant les 23 classes. Le premier des cinq points de ce document porte sur le respect des agents qui nettoient les toilettes, même s’ils n’ont pas pu être associés au processus. Le principal constate une plus grande fréquentation des toilettes, mises en service en mai, et ne déplore aucun incident.
Les toilettes mixtes, c’est aussi l’option choisie par Bourges (64 400 hab., Cher) pour rénover les sanitaires de deux de ses établissements dans le cadre de son plan « école » 2020-2026. Un programme pensé pour favoriser l’égalité. Dans ces deux écoles, « on a supprimé les urinoirs que l’on a remplacés par des toilettes classiques garantissant l’intimité des filles et des garçons », indique Céline Madrolles, adjointe au maire, chargée de l’éducation, même si un problème de place se pose.
Problème de place
« Un urinoir mesure environ 50 centimètres. Des toilettes fermées et accessibles prennent beaucoup plus de place. On va donc mordre sur la cour. Le plus simple aurait été de reproduire à l’identique. Mais la mixité permet un usage libre de toutes les toilettes disponibles », insiste l’élue. A la clé, la baisse du temps d’attente pour les filles, qui mettent physiologiquement plus de temps pour uriner.
Tollé sur la toile
L’inauguration des toilettes mixtes du collège Albert-Camus à Rosny-sous-Bois, médiatisée par le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, a donné lieu à un déferlement de commentaires sexistes sur les réseaux sociaux. Pour le principal du collège, cela est dû à l’ignorance du sujet. Reste que la Gironde, qui a aussi beaucoup communiqué sur ses toilettes mixtes, n’a pas essuyé une telle polémique…
Les bonnes pratiques intégrées dans un référentiel de construction
Alice Ly, programmiste en architecture scolaire au sein de la direction des affaires scolaires
[Paris 2,15 millions d’hab.] A Paris, les sanitaires soulèvent de nombreux enjeux de santé, d’hygiène et de bien-être pour les enfants. La capitale a donc lancé une étude-action en 2021 sur six écoles et collèges pilotes (en collaboration avec le Conseil d’architecture d’urbanisme et d’environnement de Paris). Objectif : « Faire le point sur ce qui fonctionne, pour l’intégrer dans notre référentiel de construction scolaire afin d’essaimer les bonnes pratiques dans nos rénovations à venir », explique Alice Ly, programmiste en architecture scolaire au sein de la direction des affaires scolaires. Il s’agit d’observer les usages, puis de recueillir les besoins des enfants, des agents, des enseignants et des animateurs. Des scénarios sont alors proposés et mis au vote.
Dans les écoles élémentaires Olivier-Métra (20e arrondissement), les travaux sont terminés et les observations doivent mesurer les changements de comportement. Aujourd’hui, ces deux écoles mitoyennes bénéficient de sanitaires égalitaires, avec des cabines fermées sur toute la hauteur pour préserver l’intimité des enfants. Après trois semaines de mise en service, l’un des directeurs se réjouit de la disparition des files d’attente pour les filles. Reste à résoudre la question de la propreté des toilettes après le passage des petits garçons « qui ne savent pas trop viser », observe Sandrine Boulestin, agente technique des écoles. Il y a bien eu une réunion pour les inciter à respecter les lieux mais cela ne suffit pas. « Il faudrait davantage de pédagogie et que les parents soient associés », note-t-elle.
Contact : Alice Ly, alice.ly@paris.fr
Thèmes abordés
Notes
Note 01 (*) D’après l’enquête Essity - Harpic - Harris Interactive pour le programme « A nous les toilettes », conduite en octobre 2022. Retour au texte