Face aux mauvais résultats des élèves français dans le classement international Pisa publié ce 5 décembre, le ministre de 34 ans veut plus que jamais convaincre de la pertinence de son plan pour redresser l’école. Une réforme de long terme dont il attend des résultats en 2027.
Challenges - Quelle leçon tirez-vous du classement international Pisa pour l’école française ?
Gabriel Attal - Ces résultats ne sont pas bons. Ils révèlent une nouvelle baisse du niveau de nos élèves dans toutes les matières, et particulièrement en mathématiques. C’est un nouveau signal d’alerte pour notre système éducatif qui j’espère sera décisif.
Les inégalités scolaires demeurent aussi alarmantes…
Les écarts entre les élèves de plus faible et de plus haut niveau se réduisent très légèrement mais c’est une fausse bonne nouvelle car, en réalité, cette réduction est d’abord liée à la baisse du niveau des meilleurs élèves… C’est du nivellement par le bas. Les inégalités entre les enfants des familles riches et pauvres demeurent.
Est-ce le signe que les réformes engagées depuis 2017 ont échoué ?
Non, les élèves qui ont été évalués dans cette enquête Pisa sont âgés de 15 ans. C’est la dernière génération qui n’a pas bénéficié du dédoublement des classes dans les CP, CE1 et grande section de maternelle des établissements des zones défavorisées, démarré en 2017. Les autres évaluations dont nous disposons attestent de l’efficacité de ce dispositif. La part des élèves de sixième en grande difficulté en lecture est ainsi passée d’un tiers à un quart entre 2017 et 2023. Cela reste beaucoup trop mais cela s’améliore. Dans les écoles de « Marseille en grand », les élèves en fin de CP ont même effacé en un an seulement la moitié de leur retard en mathématiques par rapport à la moyenne nationale. Le choix du président de la République d’investir massivement dans le premier degré avec une dépense moyenne par enfant qui a grimpé de 7 000 à 8 000 euros par an était le bon.
« Si on ne prend pas des mesures radicales, le niveau des élèves va continuer de baisser »
L’étude Pisa montre néanmoins que l’école française n’est pas sortie de sa spirale négative…
Il ne faut pas céder au fatalisme. Le pire serait d’être dans le déni, de mettre sous le tapis ces comparaisons internationales et de laisser s’aggraver la fracture scolaire. Si on ne prend pas des mesures radicales, le niveau des élèves va continuer de baisser et la confiance des Français dans l’école publique, en particulier de la classe moyenne, va s’effriter davantage.
Que comptez-vous faire ?
Comme l’Allemagne il y a vingt ans ou le Portugal plus récemment, je veux créer un « choc Pisa », un « choc des savoirs » pour élever le niveau de tous les élèves en primaire, au collège et au lycée. A cette fin, la première mesure sera d’être plus clair sur les attendus de chaque niveau et d’instaurer à partir de la rentrée 2024 des repères annuels, voire mi-annuels sur les apprentissages nécessaires. Cela aidera les enseignants à se concentrer sur l’essentiel et à élever le degré d’exigence général. Les manuels scolaires dont les méthodes pédagogiques sont éprouvées par la recherche et la pratique seront labellisés, en commençant par les manuels de lecture et de mathématiques en CP dès septembre prochain. Et, si besoin, l’Etat financera ces manuels aux côtés des collectivités.
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Le fond des programmes sera-t-il aussi revu ?
Sur ce plan, ma première décision est de généraliser la méthode de Singapour dans l’apprentissage des mathématiques du CP jusqu’à la terminale. Cette méthode, qui consiste à manipuler des objets avant de découvrir les concepts abstraits et à enseigner les fractions dès le CE1, a d’ailleurs des racines en France puisque le pédagogue Ferdinand Buisson avait lui-même théorisé au début du XXe siècle « le concret avant l’abstrait ». Les élèves de CP et CE1 seront les premiers concernés dès la rentrée de septembre 2024, puis nous l’étendrons progressivement à l’ensemble des autres niveaux les années suivantes.
Votre volonté de vous attaquer au « tabou du redoublement » a surpris dès lors que cette pratique est réputée peu efficace et est devenue rarissime depuis 2014…
La France est passée d’un extrême à l’autre. En 1987, un tiers des élèves avait redoublé au moins une fois avant l’entrée au collège. Aujourd’hui, c’est 4,5 %. Ma conviction est qu’il vaut mieux réussir avec une année supplémentaire que rater en suivant le cursus classique. Nombre d’études montrent que le redoublement peut être utile, particulièrement dans les premières classes du primaire, et s’il s’accompagne d’aides complémentaires pour les élèves. C’est une chance supplémentaire. Dès le début 2024, je publierai un décret pour supprimer le dernier mot aux parents lorsqu’un redoublement est préconisé par les enseignants.
Cela va contrarier certains parents…
Pour moi, la parole des professeurs doit être entendue, respectée et faire autorité sur le parcours des élèves. Qui sait mieux qu’un professeur ce qui est bon pour la réussite de son élève ? Le passage dans la classe supérieure pourra aussi être conditionné à des « stages de réussite » obligatoires se déroulant durant les vacances d’hiver, de printemps ou lors des deux dernières semaines des congés d’été, ainsi qu’à un accompagnement personnalisé ou du tutorat pour remédier aux fragilités scolaires.
« Les groupes de niveaux ont prouvé leur efficacité dans de nombreux pays »
Quelles mesures spécifiques prenez-vous pour le collège ?
C’est clairement une zone de fragilité forte de notre système scolaire. Le collège unique est devenu un collège uniforme qui ne prend pas assez en compte les écarts de niveau entre élèves. Dès la rentrée prochaine, les cours de français et mathématiques en sixième et cinquième seront organisés en trois groupes de niveaux. Et les quatrièmes et troisièmes suivront en septembre 2025. Avec des classes réduites, dédoublées à quinze élèves pour les plus faibles pour leur permettre de rattraper les autres groupes.
Nombre de chercheurs assurent pourtant que les groupes de niveaux accroissent les inégalités scolaires sans élever le niveau général…
Ces groupes de niveaux ne doivent pas être confondus avec des classes de niveaux. Les élèves demeureront dans des classes mélangées pour toutes les autres matières, soit les deux tiers de leur emploi du temps. Par ailleurs, les groupes seront flexibles : les élèves pourront progresser d’un groupe à l’autre au long de l’année. Et, contrairement à ce que j’entends, les groupes de niveaux ont prouvé leur efficacité dans de nombreux pays, comme en Suisse, en Suède ou au Danemark. Cela m’a été confirmé par Andreas Schleicher, le coordinateur du classement Pisa de l’OCDE.
Pensez-vous emporter l’adhésion des syndicats et des enseignants avec ces groupes de niveaux ?
Si j’en crois la consultation lancée par le ministère à laquelle 230 000 enseignants ont répondu, plus de 80 % y sont favorables. J’ajoute que le niveau des élèves étant mesuré par un test national, les établissements comptant le plus d’élèves en difficulté bénéficieront de davantage de groupes à quinze élèves et donc de postes d’enseignants. Cette mesure nécessite un effort budgétaire conséquent avec la création de plusieurs milliers de postes d’enseignants.
D’autres changements sont-ils prévus au collège ?
Je veux aussi renforcer le niveau d’exigence du brevet pour en faire un véritable examen d’entrée au lycée à partir de la rentrée 2025. Les notes des épreuves finales compteront pour 60 % de la note, contre 50 % aujourd’hui, et les élèves qui n’obtiendront pas leur brevet (N.D.L.R. : ils étaient 11 % l’an passé) n’entreront plus au lycée l’année suivante. Ils seront orientés dans de nouvelles classes de « prépa-lycée ». Il s’agira d’une année d’enseignements sur-mesure pour combler les lacunes. A mes yeux, faire passer un élève dans la classe supérieure alors qu’il n’en a pas le niveau est une forme de déni, avec laquelle il faut rompre.
J’ajoute au bac « une nouvelle épreuve anticipée de mathématiques pour tous les élèves de première »
Allez-vous aussi augmenter le niveau d’exigence du bac ?
Pour le bac comme pour le brevet, j’ai décidé de supprimer dès cette année la pratique du « correctif académique », qui consiste à élever le niveau général des notes afin d’atteindre un meilleur pourcentage de réussite. C’est une manière de conforter l’autorité de la note des professeurs et d’élever le niveau d’exigence des examens. Je sais qu’à court terme cela risque de diminuer le taux de réussite au bac et au brevet, mais je l’assume. Ne soyons plus dans le déni.
Les épreuves du bac resteront-elles identiques ?
Oui mais j’y ajoute à partir de la rentrée 2025 une nouvelle épreuve anticipée de mathématiques pour tous les élèves de première, comme il existe déjà un « bac de français ». L’objectif est d’élever le socle commun des élèves en mathématiques et en culture scientifique. Dans les lycées professionnels, nous avons décidé avec Carole Grandjean, la ministre de l’Enseignement professionnel, que le nombre d’heures de mathématiques et de français-histoire-géographie sera augmenté, avec un dédoublement des classes en seconde et première dans ces matières fondamentales.
« Le premier pays du monde à généraliser un tel usage de l’intelligence artificielle »
Y aura-t-il d’autres nouveautés au lycée ?
A partir du mois de février 2024 sera accessible, dans plusieurs académies, un outil de soutien scolaire basé sur l’intelligence artificielle à destination des élèves de seconde. Ce logiciel, financé par l’Etat, a été développé par la start-up française Evidence B et l’entreprise Docaposte, filiale de La Poste. Il propose des exercices personnalisés dont la difficulté s’adapte aux réponses de l’élève. Tous les enseignants et les 800 000 élèves de seconde pourront l’utiliser à la maison à partir de la rentrée 2024. Ce qui fera de la France le premier pays du monde à généraliser un tel usage de l’intelligence artificielle pour l’ensemble d’une classe d’âge.
Quelle échéance vous donnez-vous pour voir les effets de toutes ces mesures ?
Les exemples étrangers, comme celui du Portugal, montrent que les réformes mettent dix ans à porter leurs fruits. L’enjeu de ce plan est d’amplifier ce qui a été engagé par le président de la République depuis 2017 pour obtenir des résultats en 2027, et surtout donner à chaque enfant une chance de réussir.
Quel en est le coût budgétaire total ?
Nous sommes en train d’affiner les montants. Je plaide pour que le budget de l’éducation soit vu comme un investissement pour la nation. Le Conseil d’analyse économique estime qu’une hausse de 10 points des compétences en mathématiques des élèves à Pisa augmente la croissance potentielle de 0,2 point par an, soit 75 milliards d’euros sur quinze ans, c’est considérable !
La mixité sociale, chère à votre prédécesseur Pap Ndiaye, fait-elle partie de vos priorités et souhaitez-vous inciter les établissements privés sous contrat à scolariser davantage d’enfants des familles pauvres ?
La mixité des établissements publics baisse fortement quand les familles n’ont plus confiance et se tournent vers le privé. En élevant le niveau d’exigence, je veux justement éviter ce phénomène de fuite. Mon prédécesseur a signé avec l’enseignement catholique un protocole visant à augmenter la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat. Donnons sa chance à ce protocole, qui sera évalué dans les années à venir.
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Combien d’enseignants ont opté pour le nouveau système de primes Pacte, rémunérant en particulier les remplacements de dernière minute ?
Environ 25 % des enseignants de premier et second degrés ont signé le Pacte et jusqu’à 37 % au collège et 45 % en lycée professionnel. Je communiquerai le détail des chiffres début 2024.
« Je ne me vois pas comme l’incarnation de l’aile gauche de la Macronie »
Votre cote a fortement augmenté dans les sondages ces dernières semaines, souhaitez-vous jouer un rôle dans la campagne présidentielle de 2027 ?
Il n’y a pas un Français qui se lève le matin en pensant à cette échéance. Je respecte mes collègues ministres qui s’expriment sur le sujet, mais personnellement je revendique le droit de ne pas en parler.
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Qui a déposé le nom de domaine GabrielAttal2027.fr ?
Aucune idée. En tout cas ni moi ni mes proches. J’ai découvert dans un article de presse que cette adresse Internet avait été achetée pour renvoyer automatiquement vers le site du parti Horizons d’Edouard Philippe, dont je ne suis pourtant pas membre.
La plupart des candidats macronistes potentiels se situent à droite, vous pourriez représenter l’aile gauche…
J’assume totalement mon passé au Parti socialiste, mais je ne me vois pas comme l’incarnation de l’aile gauche de la Macronie. Je m’inscris pleinement dans le dépassement du clivage gauche-droite et l’espace central ouvert par Emmanuel Macron depuis 2017. C’est une offre politique qui continue de rassembler une majorité de Français et est plus nécessaire que jamais à une époque de grands bouleversements écologiques et géopolitiques.
Propos recueillis par Laurent Fargues et Alice Mérieux