Premier déplacement, premier faux pas pour la nouvelle ministre de l'Education nationale. Alors que Mediapart a dévoilé que ses enfants étaient scolarisés dans le très catholique et huppé collège Stanislas de Paris, Amélie Oudéa-Castéra s'est justifié en évoquant "des paquets d'heures pas sérieusement remplacées" dans l'école publique Littré, où son premier fils avait d'abord été inscrit, et en tressant des lauriers à l'enseignement privé. Une manière de critiquer l'enseignement public qui a immédiatement suscité un tollé.
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Au-delà de la polémique, ces propos mettent en lumière la concentration croissante d'élèves issus des familles riches dans les établissements privés. Avec des effets directs sur les performances scolaires qu'ils peuvent afficher. L'an passé, seuls trois lycées en France ont ainsi décroché le score envié de 100% de bacheliers avec une mention.
Outre le lycée Stanislas justement, il y avait Saint-Jean de Passy et Saint-Louis de Gonzague, où Brigitte Macron a enseigné. Trois établissements qui sont privés sous contrat (scolarité payante, accès sur dossier), sont situés dans les très chics VIe et XVIe arrondissements de Paris et appartiennent au petit cercle des vingt lycées parisiens concentrant le plus d’enfants de familles aisées.
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De quoi expliquer leurs bons résultats au bac? "A Paris, les établissements privés aspirent une part grandissante des élèves des milieux les plus riches, décrypte le sociologue François Dubet. La demande est telle que certains collèges et lycées peuvent se payer le luxe de ne conserver que les meilleurs, voire d’effectuer un écrémage en cours de scolarité. En bout de course, il n’y a plus aucune mixité."
Moins d’élèves boursiers
Le phénomène ne se cantonne pas à Paris. En juin dernier, la Cour des comptes a jeté un véritable pavé dans la mare. Dans un rapport, l’institution pointe "le net recul de la mixité sociale et scolaire" de l’enseignement privé sous contrat qui scolarise 2 millions d’élèves sur un total de 12,2 millions. Les chiffres sont éloquents. En vingt ans, la part des élèves de familles très favorisées a bondi de 26 % à 40 % dans les collèges et lycées privés, tandis que la proportion d’élèves des milieux pauvres a chuté de 25 % à 16 %.
Symbole de cette ségrégation, les établissements privés accueillent beaucoup moins d’élèves boursiers que le public: ils sont 10 % dans les collèges privés, contre 28 % dans le public, et moins de 9 % dans les lycées généraux privés, contre 22 % dans le public. Dans certaines régions, la fracture est béante. En Seine-Saint-Denis, les établissements privés comptent en moyenne 51 % d’élèves issus de milieux favorisés, alors que la proportion tombe à 19 % dans le public. Même en Bretagne, où l’enseignement catholique est très implanté et plus populaire, la part des élèves de milieux très aisés progresse.
Une "situation déséquilibrée"
Problème, depuis une loi de 2013, la "mixité sociale" figure noir sur blanc parmi les objectifs des établissements privés sous contrat. Financés à 75 % sur fonds publics –soit quelque 8 milliards d’euros par an–, ceux-ci font en effet partie intégrante du "service public d’éducation" aux côtés des établissements publics.
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Dès lors, les magistrats de la Cour des comptes s’étonnent que l’Etat ne les incite pas à diversifier davantage le recrutement de leurs élèves. "Le ministère de l’Education nationale, dans sa stratégie pour améliorer la mixité scolaire, n’a pas encore sollicité les établissements privés sous contrat, relèvent-ils, bien que leur situation soit de plus en plus déséquilibrée à cet égard."
Des solutions simples et non coûteuses existent pourtant. Dès 2015, un rapport de l’inspection générale de l’Education nationale préconisait de faire varier les moyens publics attribués aux établissements privés en fonction de l’origine sociale de leurs élèves.
Des tarifs modulés
La Cour des comptes suggère en plus d’intégrer les collèges et lycées privés sous contrat dans la plateforme numérique Affelnet d’affectation des élèves, afin d’élargir la palette des choix de toutes les familles. "Mais ce genre de mesures déclencheraient immédiatement une bronca de l’enseignement privé, prévient un haut fonctionnaire de la Rue de Grenelle, et le gouvernement n’a aucune envie d’ouvrir un tel front."
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De fait, même le précédent ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, qui avait fait de la mixité sociale son cheval de bataille, s’est bien gardé de brusquer le privé. En mai, il a signé avec le secrétariat général de l’Enseignement catholique un très prudent protocole qui dépend entièrement de la bonne volonté des chefs d’établissement privé. La part des établissements proposant des tarifs modulés en fonction des revenus des parents doit passer de 20 % à 30 % en cinq ans et le doublement du nombre d’élèves boursiers est conditionné aux versements par les collectivités locales d’aides pour la cantine scolaire équivalentes à celles du public.
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"Aucun chef d’établissement du privé ne refuse des enfants des milieux pauvres, défend Philippe Delorme, le secrétaire général de l’Enseignement catholique. Mais il faut reconnaître que les familles les plus modestes ne se tournent pas spontanément vers nos établissements, soit parce qu’elles en surestiment le prix, soit parce qu’elles n’en trouvent pas dans leurs quartiers." Tout en promettant de suivre les effets du protocole, l'ex-ministre Gabriel Attal misait, lui, sur l’élévation du niveau des établissements publics pour éviter les fuites vers le privé. Un pari sur le long terme.
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