Métiers des coulisses

À la rencontre de trois restauratrices d’objets d’art qui dépoussièrent le métier sur Instagram

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Inès, Viviane et Esther, respectivement restauratrices d’objets en métal, de céramiques et d’instruments de musique, ont créé ensemble le compte Instagram EVI Art Care. Le but ? Faire mieux connaître leur métier, au quotidien. Comme chaque mois et après s’être invité chez un encadreur, chez une art-thérapeute ou encore chez un transporteur d’œuvres d’art, Beaux Arts poursuit son exploration des métiers de l’art et de la création. Rencontre avec un trio dont l’énergie décoiffe.
Viviane Miceski (née en 1998) restaure des objets en céramique, verre et émail.
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Viviane Miceski (née en 1998) restaure des objets en céramique, verre et émail.

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© Timothée Chambovet pour BeauxArts.com

Viviane Miceski, Inès Biscarel et Esther Jorel se sont rencontrées sur les bancs de l’école DEP’Art, à Avignon, avant de se séparer pour poursuivre un cursus de cinq années d’études entre Paris et Neuchâtel.
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Viviane Miceski, Inès Biscarel et Esther Jorel se sont rencontrées sur les bancs de l’école DEP’Art, à Avignon, avant de se séparer pour poursuivre un cursus de cinq années d’études entre Paris et Neuchâtel.

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© Timothée Chambovet pour BeauxArts.com

Une belle après-midi de mai, au bord du canal de l’Ourcq. Rendez-vous nous est donné au café Odilon, « notre repaire », soufflent les trois jeunes restauratrices. Installées tout au fond, elles discutent autour d’une belle table familiale, et s’apprêtent à nous ouvrir les portes du laboratoire du musée de la Musique, installé dans l’enceinte de la Philharmonie de Paris à dix minutes à pieds de là, avant de nous conduire dans un atelier collectif, partagé entre plusieurs restauratrices et que les jeunes femmes louent de temps à autre, une journée par-ci, par-là.

Leur quotidien est morcelé, entre les missions courtes et les CDD, les voyages et les recherches en bibliothèque. Esther, Viviane et Inès ne travaillent pas (encore) ensemble. Elles se sont rencontrées durant leurs études, ont voyagé, poursuivi leur route mais sont restées amies. Et ont créé, en 2021, un compte Instagram (@evi.art.care) pour documenter leur travail respectif. En espérant, un jour, constituer ensemble une petite entreprise et travailler côte à côte, dans un atelier qui serait le leur.

Trois amies, trois carrières

En attendant, ce n’est pas la galère – du moins elles ne le disent pas –, mais le début de trois carrières qui doivent se faire connaître, à la fois des institutions et des collectionneurs privés, pour pouvoir vivre de leur art. Présentations : Viviane Miceski (née en 1998) a quitté la Bretagne pour Avignon, où elle a rencontré ses deux amies lors d’une année de prépa dans l’école privée DEP’Art (fermée depuis). Dans la foulée, elle a passé cinq ans à l’Institut national du patrimoine à Paris, avant de présenter un mémoire sur un vase Art nouveau de Sarreguemines ; depuis, elle restaure les objets en céramique, verre et émail.

Inès Biscarel (née en 1998), spécialiste des objets en métal, restaure ici un pot à lait indien en argent.
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Inès Biscarel (née en 1998), spécialiste des objets en métal, restaure ici un pot à lait indien en argent.

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© Timothée Chambovet pour BeauxArts.com

Les trois jeunes femmes ont eu l’idée d’un compte Instagram commun pour répondre à la solitude des restaurateurs.

Inès Biscarel (née en 1998) s’est rendue, après l’année de prépa commune à Avignon, à Neuchâtel, en Suisse, étudier au sein de la Haute-École Arc, spécialisée en objets techniques et horlogerie, où elle est tombée amoureuse des objets en métal, et particulièrement des bijoux (son sujet de mémoire portait sur des bijoux indonésiens en argent). Esther Jorel (née en 1995) s’est quant à elle formée à la Sorbonne, où elle s’est « découvert une passion pour les instruments de musique extra-européens » ; elle est plus largement spécialisée dans le traitement de patrimoine en matériaux organiques, comme le bois, les peaux ou les fibres végétales.

Mettre en lumière un métier méconnu

Les trois jeunes femmes ont eu l’idée, en 2021, d’un compte Instagram commun pour répondre à la solitude des restaurateurs. « Au sortir des études, tout le monde se crée son propre compte. C’est très concurrentiel. Nous avons préféré proposer plus de choses, trois visions différentes, trois écoles différentes. » Parmi leurs abonnés (882 à ce jour), la moitié vient de l’international, et c’est pourquoi elles prennent soin de traduire tous leurs textes en anglais. Les photographies postées parlent des expositions qu’elles découvrent, de leurs missions, des objets qui passent entre leurs doigts délicats (« Restauration d’une magnifique coupe en faïence d’Iznik à décor de tulipes. »)…

Les jeunes restauratrices louent un espace dans un atelier collectif du 19e arrondissement de Paris.
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Les jeunes restauratrices louent un espace dans un atelier collectif du 19e arrondissement de Paris.

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© Timothée Chambovet pour BeauxArts.com

Les avant-après sont saisissants, et laissent découvrir des céramiques brisées puis recomposées, une fibule romaine ramenée à la vie, un « test de nettoyage de la corrosion du cuivre par gel de complexant » ou encore le coup de neuf du « modèle réduit de sous-marin constitué de boîtes de conserve en alliage ferreux peint ».

Les novices, comme nous, y trouvent tout autant de plaisir que les restaurateurs, le trio prenant soin d’expliquer avec précision mais lisibilité leur processus de travail et leurs recherches. « On souhaite parler au plus grand nombre de gens possible, avec l’idée de montrer de belles choses, de belles expositions. » Les antiquaires et collectionneurs peuvent aussi les découvrir et les contacter par ce biais… Et leurs confrères et consœurs, leur « demander des astuces de restauration », la profession étant toujours avide d’échanges de savoirs entre disciplines ultra-spécialisées.

En contrat à la Philharmonie de Paris, Esther Jorel (née en 1995) travaille dans le laboratoire du musée de la Musique à la restauration d’instruments de musique extra-européens.
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En contrat à la Philharmonie de Paris, Esther Jorel (née en 1995) travaille dans le laboratoire du musée de la Musique à la restauration d’instruments de musique extra-européens.

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© Timothée Chambovet pour BeauxArts.com

La journée-type ? Difficile à dire. « Il y a plein de façons de faire de la restauration. » En ce moment, Esther est en contrat de trois mois dans le laboratoire du musée de la Musique, où elle restaure des instruments anciens extra-européens (le réaménagement des salles qui leur sont dédiées est en cours). Dans le labo, elle nous montre avec un plaisir manifeste un valiha malgache et un angklung indonésien (« on ne croise pas un angklung tous les quatre matins ! ») sur lesquels elle travaille, non pour qu’ils soient « en état de jeu », d’autant que le premier « a été fabriqué pour les touristes et jamais joué », mais pour que tous leurs éléments soient en place, et rendent lisible leur usage.

Inès n’a pas de mission en ce moment, mais elle sort d’une restauration de robes en métal de Paco Rabanne et de plusieurs semaines en Ouzbékistan, où elle a restauré des bijoux et parures de chevaux qui ont été, depuis, présentés à l’Institut du monde arabe au sein de l’exposition « Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d’or ». Viviane passe, quant à elle, ses journées au musée du Louvre, sur le chantier des collections de faïences Renaissance espagnoles et allemandes : elle y fait des constats d’état, du nettoyage et de la consolidation, avec quelques interventions d’urgence.

Un travail d’enquête

Viviane nous montre un pied de lampe en porcelaine chinoise dont elle va retoucher les brisures et le décor manquant.
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Viviane nous montre un pied de lampe en porcelaine chinoise dont elle va retoucher les brisures et le décor manquant.

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© Timothée Chambovet pour BeauxArts.com

De temps à autre, lorsqu’elles ne travaillent pas in situ, elles louent l’atelier dont elles nous ouvrent les portes dans le 19e arrondissement, un espace partagé situé dans un grand immeuble de bureau sécurisé, gardé 24 heures sur 24 (sécurité des œuvres oblige). Là, Viviane nous montre un pied de lampe en porcelaine chinoise dont elle va retoucher les brisures et le décor manquant. Inès a apporté avec elle un pot à lait indien du XIXe siècle en argent [ill. plus haut], qu’elle va nettoyer avec « une poudre abrasive et un solvant ».

Il leur arrive de travailler depuis chez elles, notamment sur les objets que leur confient les particuliers. Elles passent également du temps à faire des recherches en bibliothèques, où elles peuvent mener « de véritables enquêtes » sur la provenance des objets. Et déménagent volontiers leur atelier tout entier, lorsqu’il faut aller sur place, dans un monument par exemple. Enfin, 30 % du temps est consacré à l’administratif ; elles énumèrent : « prospection, réponse à des appels d’offre, devis, factures, comptabilité, communication… ».

La rencontre touche à sa fin. Les trois restauratrices, jeunes pousses adorables et souriantes, auront réussi leur mission : attirer notre attention, mettre en lumière leurs métiers méconnus, nous inviter dans les coulisses d’objets patrimoniaux. Chapeau !

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Pour suivre Esther, Viviane et Inès :

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