Métiers des coulisses

Encadreur, un métier d’art au service des œuvres

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Après s’être invité chez des transporteurs d’œuvres d’art, chez une scénographe d’exposition ou encore chez une conservatrice-restauratrice, Beaux Arts poursuit son exploration des métiers de l’art et de la création. Aujourd’hui, Cédric Desrez nous reçoit dans son atelier du 11e arrondissement de Paris, où il encadre les œuvres de galeries et de musées, mais aussi de particuliers et d’artistes.
Installé depuis six ans dans une impasse verdoyante proche du cimetière du Père-Lachaise, Cédric Desrez travaille seul, accompagné un à deux jours par semaine d’une intervenante.
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Installé depuis six ans dans une impasse verdoyante proche du cimetière du Père-Lachaise, Cédric Desrez travaille seul, accompagné un à deux jours par semaine d’une intervenante.

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Photo Timothée Chambovet

Léa Mazet, intervenante dans l’atelier de Cédric Desrez
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Léa Mazet, intervenante dans l’atelier de Cédric Desrez

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Photo Timothée Chambovet

Il y a, dans un coin, un dessin d’enfant. Un sympathique chat au pastel, réalisé par Cédric Desrez (né en 1966) alors qu’il n’avait que six ans. Si le cadre n’est pas de lui – il est d’époque –, le petit animal qui nous couve du regard pendant toute l’interview signe son entrée précoce dans l’art. Car c’est bien un artiste, formé aux Beaux-Arts de Paris, que nous rencontrons aujourd’hui. Un artiste reconverti en encadreur, et qui poursuit en parallèle de son activité d’artisan une pratique plasticienne et éditoriale, discrètement affichée sur ses murs. Installé depuis six ans dans une impasse verdoyante proche du cimetière du Père-Lachaise – grâce à un coup de pouce d’Élogie-Siemp, prend-t-il soin de raconter, un bailleur social soucieux de louer les locaux du quartier à des artisans –, il travaille seul, accompagné un à deux jours par semaine d’une intervenante, et parfois d’un stagiaire venu de la Bonne Graine, une école d’ameublement située non loin.

Cédric Desrez peut confectionner jusqu’à 150 cadres par mois.
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Cédric Desrez peut confectionner jusqu’à 150 cadres par mois.

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Photo Timothée Chambovet

Nous voici, un jour pluvieux de novembre, dans son atelier bien connu des artistes tels que le peintre Gérard Garouste, l’architecte Jean-Michel Wilmotte…

Il raconte : après les Beaux-Arts et une myriade de petits boulots, Cédric Desrez a ouvert au début des années 1990 une galerie-atelier dans le 20e arrondissement avec son ex-femme. « Je faisais plutôt des objets, des tables, des luminaires. » L’encadreur qui occupe les lieux avec eux les quitte rapidement, soufflant à Cédric l’idée de reprendre son activité, d’autant qu’il travaille alors déjà avec des baguettes de bois. L’exercice lui plaît, tant et si bien qu’il passe ensuite dix ans dans l’échoppe de son aîné et confrère Jean-Pierre Gapihan. Il le quitte au début des années 2000, se lance à son compte… Et nous voici, un jour pluvieux de novembre, dans son atelier bien connu des artistes tels que le peintre Gérard Garouste, l’architecte Jean-Michel Wilmotte… Occupé, très occupé même, Cédric recevra durant notre échange plusieurs coups de fils – dont un pour une commande aux États-Unis – et deux visites – l’une d’une galeriste, pressée et précise, l’autre d’une particulière, bavarde et hésitante.

Les baguettes de bois sont en chêne, en noyer, en koto, en érable ou en hêtre, et peuvent être « suivant les essences » teintes en noir ou en brun, à la main.
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Les baguettes de bois sont en chêne, en noyer, en koto, en érable ou en hêtre, et peuvent être « suivant les essences » teintes en noir ou en brun, à la main.

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Photo Timothée Chambovet

Les périodes les plus chargées de l’année ? « Septembre-octobre-novembre, pour les foires et les ouvertures d’exposition, et puis mars-avril-mai pour les festivals d’été. » Étant donné que la confection d’un cadre peut lui prendre entre vingt minutes et une journée entière (en comptant le temps de collage et de séchage), et qu’il peut confectionner jusqu’à 150 cadres par mois, Cédric Desrez carbure donc pas mal. Sa petite entreprise – une EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) – a pour clients réguliers 40 % d’artistes, 40 % de galeristes et musées, et 20 % de collectionneurs, sachant que Cédric ne travaille que pour le secteur de l’art contemporain. Ici, pas de volutes ni de dorures donc, mais tout un vocabulaire, que l’encadreur résume en trois grands types de cadres, dont les subtilités peuvent se décliner.

Baguettes de bois et machine à découper dans l’atelier de Cédric Desrez
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Baguettes de bois et machine à découper dans l’atelier de Cédric Desrez

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Photo Timothée Chambovet

La fonction première d’un cadre est de protéger l’œuvre, de respecter sa « chimie », avant même de la mettre en valeur.

Le premier, et le plus onéreux, c’est le cadre-boîte : l’œuvre est placée en « montage flottant », c’est-à-dire posée sur un support invisible qui fait en sorte qu’elle ne touche pas le fond et semble « flotter » dans la boîte (formée par le cadre en bois, le verre, la marge qui entoure l’œuvre, et la rehausse – soit la baguette entre le fond et le verre). C’est le plus complexe à réaliser. Deuxième type : le cadre simple avec ou sans passe-partout (également appelé « marie-louise »). Ce passe-partout est fabriqué en carton teinté, noir, gris ou blanc, cette dernière couleur pouvant se décliner en différentes nuances : « blanc ancien », « ivoire », « antique »… Une machine lui permet de couper le carton à 45 degrés pour que la tranche qui entoure l’œuvre s’incline doucement vers elle. Dernier type : la caisse américaine, sans verre mais avec effet flottant. L’avantage ? Aucun obstacle entre l’œil et l’œuvre. L’inconvénient ? Le moindre coup de chiffon peut rayer le précieux trésor.

L’essentiel, quel que soit le cadre, est que l’œuvre ne touche surtout pas le verre. « Il peut y avoir une migration pigmentaire. »
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L’essentiel, quel que soit le cadre, est que l’œuvre ne touche surtout pas le verre. « Il peut y avoir une migration pigmentaire. »

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Photo Timothée Chambovet

L’essentiel, quel que soit le cadre, est que l’œuvre ne touche surtout pas le verre. « Il peut y avoir une migration pigmentaire ; la gélatine d’une photographie peut coller, même une encre peut migrer », nous explique l’artisan. « Le rôle du passe-partout est donc d’isoler du verre. » Les verres sont coupés grâce à une machine dotée d’une roulette diamantée ; parfois, pour les cadres de très grandes tailles ou ceux amenés à voyager, Desrez peut utiliser du plexiglas, solide et très léger – « ça se raye, mais ça ne casse pas ». Quant aux baguettes de bois, elles sont en chêne, en noyer, en koto, en érable ou en hêtre, et peuvent être « suivant les essences » teintes en noir ou en brun, à la main. L’encadreur parle encore volontiers de « produits à l’eau », de « matériaux neutres qui ne rentrent pas en conflit avec l’œuvre », de « carton pur coton », de « colles sans acide » et de « verre anti-UV », rappelant que la fonction première d’un cadre est de protéger l’œuvre, de respecter sa « chimie », avant même de la mettre en valeur. Quant aux choix esthétiques, ils sont faits en discussion avec les clients – parmi eux, la galerie des Filles du Calvaire, le Pavillon de l’Arsenal, le Frac Normandie, le Centquatre…

 

Cédric Desrez, encadreur/restaurateur dans son atelier Impasse Daunay
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Cédric Desrez, encadreur/restaurateur dans son atelier Impasse Daunay

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Photo Timothée Chambovet

Et les délais ? Aux professionnels, Cédric Desrez suggère de venir un mois au moins avant une exposition – un conseil rarement respecté. « Il arrive qu’une galerie me demande quatre cadres au dernier moment, quelques jours avant un vernissage. » Aux particuliers, il explique que les professionnels passent en priorité et leur demande un à trois mois d’attente. Et pour les assurances ? Parfois, pour les œuvres coûteuses, il peut faire « monter [sa] police d’assurance » pour deux à trois jours, mais, globalement, « c’est au client d’assurer son œuvre ». Quant au transport, il est assuré par des professionnels, comme des coursiers ou des transporteurs. On l’aura compris, cette petite machine bien rodée est indispensable au bon déroulement d’une exposition : elle assure la protection et la mise en valeur des œuvres, leur offre de la place, de l’envergure. En somme, Desrez taille des costards sur mesure pour des images extraordinaires. Le tout, sur un joli fond de rythme jazz, diffusé par un petit poste de radio.

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Atelier Cédric Desrez Encadreur

9 impasse Daunay. 75011 Paris

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