Métier des coulisses

Avec ces artisans d’art passionnés qui prennent soin de Versailles

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Ils sont doreurs, ébénistes, tapissiers. Leur quotidien ? Restaurer le mobilier du château de Versailles, et transmettre leur savoir-faire à de jeunes apprentis. Car nous voulions comprendre comment un domaine aussi prestigieux, immense et touristique prend soin de son patrimoine ancien, ils nous ont ouvert les portes de leurs ateliers, et nous ont raconté leur travail, leur passion. Bienvenue à Versailles !
Céline Blondel, responsable de l’atelier de dorure du château de Versailles
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Céline Blondel, responsable de l’atelier de dorure du château de Versailles

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Photo Timothée Chambovet

Elle ne peut pas s’en empêcher. Céline Blondel, doreuse au château de Versailles, visite toujours les expositions deux fois : d’abord pour regarder de près les cadres, sa grande spécialité… Puis elle rebrousse chemin et – enfin – s’attarde sur les œuvres exposées. Comme elle, les artisans que nous rencontrons en ce vendredi ensoleillé d’avril ont leur métier dans le sang. Souvent, ils emploient des mots et des expressions jamais entendus jusqu’ici : une indispensable pâte à base de « colle de peau de lapin » et de blanc de Meudon chez notre doreuse pour réparer les petites brisures des cadres, une « cardeuse » chez le tapissier (un instrument ancien qui permet de démêler le crin de cheval, utilisé pour le rembourrage des fauteuils) ou encore le processus d’« anoxie » auquel les ébénistes soumettent les meubles, les enfermant dans des poches hermétiques sans oxygène pour dissuader d’éventuelles bestioles.

Dans l’atelier tapisserie d’ameublement de Jérôme Lebouc, au sein même du château de Versailles
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Dans l’atelier tapisserie d’ameublement de Jérôme Lebouc, au sein même du château de Versailles

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Photo Timothée Chambovet

La formation, la transmission, l’apprentissage sont au cœur du quotidien des artisans.

Leurs ateliers sont répartis dans le château (pour les tapissiers) et dans la Petite Écurie (pour les doreuses et les ébénistes). Les grandes fenêtres de l’atelier dorure donnent d’ailleurs directement sur son entrée, et sur les flots ininterrompus de touristes qui s’avancent en grappes. On s’étonne du contraste entre ce domaine si sollicité (8 millions de visiteurs en 2019 !) et le calme qui règne dans ces grandes pièces anciennes, où ont vécu jadis des personnalités de la cour – comme le marquis de Beringhen, premier écuyer du roi. Et si Céline préfère le silence, d’autres aiment à travailler en musique : chez Jérôme Lebouc le tapissier, ce sont les harmonies douces de Radio Classique qui nimbent l’atmosphère.

Le crin de cheval démêlé sur une cardeuse, utilisé pour le rembourrage des fauteuils, dans l’atelier tapisserie d’ameublement du château de Versailles
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Le crin de cheval démêlé sur une cardeuse, utilisé pour le rembourrage des fauteuils, dans l’atelier tapisserie d’ameublement du château de Versailles

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Photo Timothée Chambovet

Tous collaborent avec des apprentis et des stagiaires, collègues indispensables qui resteront jusqu’à deux ans au domaine. Très jeunes, déjà précis et concentrés, ceux-ci témoignent d’un savoir-faire en mouvement, pourtant plusieurs fois centenaire, mais qui s’enrichit toujours. « On est à l’école », ira jusqu’à dire l’ébéniste Éric de Meyer, 45 ans de métier, et toujours habité par « la dynamique de se perfectionner ». La formation, la transmission, l’apprentissage sont donc au cœur du quotidien des artisans – y compris auprès des gardiens de salle, à qui ils dédient un stage pour, par exemple, les « sensibiliser aux fragilités de la dorure ».

Dans l’atelier tapisserie d’ameublement de Jérôme Lebouc, au sein même du château de Versailles
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Dans l’atelier tapisserie d’ameublement de Jérôme Lebouc, au sein même du château de Versailles

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Photos Timothée Chambovet

Toute intervention doit être réversible, compatible avec le matériau, lisible et traçable, grâce à un « rapport de restauration ».

Le fonctionnement est simple : tout commence avec les conservateurs du musée, qui identifient régulièrement des défauts sur des objets des collections. Cela peut concerner « un textile encrassé, une dorure égratignée », nous explique Benoît Delcourte, conservateur chargé de l’encadrement des ateliers d’art et de restauration. Parfois, il y a des projets plus globaux, comme récemment la restauration de l’appartement du Dauphin, ou actuellement celle de fauteuils destinés à rejoindre à l’automne l’appartement de Madame du Barry. C’est le conservateur qui priorise les choix de restauration, décide de ce qui est urgent ou peut attendre l’année prochaine. Puis, il en discute avec l’artisan, qui fait un « constat d’état », propose différents traitements. Ceux-ci doivent respecter des règles déontologiques : toute intervention doit être réversible, compatible avec le matériau, lisible et traçable, grâce à un « rapport de restauration ».

Un face-à-face avec la matière

Posée sur une petite palette de velours, la feuille d’or sera ensuite appliquée sur un des cadres qui ornent les peintures du château de Versailles
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Posée sur une petite palette de velours, la feuille d’or sera ensuite appliquée sur un des cadres qui ornent les peintures du château de Versailles

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Photo Timothée Chambovet

Il arrive que les artisans aillent directement dans le château. Dans ce cas, ils s’arment d’un « sac d’intervention » et travaillent sur place, par exemple sur un cadre trop lourd pour être transporté. Les horlogers – que nous ne rencontrerons pas – arpentent même chaque semaine ses couloirs et ses immenses pièces pour remonter toutes les horloges ! Chaque journée offre à chacun un face-à-face avec une matière et des outils qu’il connaît par cœur, mais tous diront qu’aucune ne se ressemble, tant il est nécessaire de s’adapter aux spécificités des objets. Loin d’être monotone, leur quotidien est donc source de renouvellements…. Cela dit, il y a aussi les gestes habituels, où se niche toute leur expertise et qu’on observe fasciné : la doreuse qui passe son pinceau sur sa joue, comme si elle se maquillait, pour en prendre le léger gras et venir attraper la feuille d’or, posée sur une petite palette de velours ; les doigts fins du tapissier Jérôme Lebouc, qui s’emparent de l’aiguille courbe pour faire passer le fil dans le rembourrage d’un fauteuil ; l’absolue précision d’Éric de Meyer, à califourchon sur son chevalet de marqueterie pour découper de minuscules motifs de bois.

Jérôme Lebouc a découvert son métier lors d’un stage de 3e à Montfort-l’Amaury : « Tout m’a plu, le parfum du crin dans l’atelier, la lumière… ».

Côté parcours, tous varient. On s’attendait à ce qu’ils aient passé le très difficile concours de l’Institut national du patrimoine, mais non. Petit-fils d’une couturière, Jérôme Lebouc a découvert son métier lors d’un stage de 3e à Montfort-l’Amaury : « Tout m’a plu, le parfum du crin dans l’atelier, la lumière… » Il y est revenu les week-ends et pendant les vacances, a passé un BAC Pro artisanat et métiers d’art, avec un CAP tapissier-ameublement en trois ans puis un deuxième, et est arrivé au château après avoir travaillé dix ans au Mobilier national, à l’entretien des meubles de la Présidence, côtoyant Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Céline Blondel est elle aussi passée par la case CAP, et a travaillé 18 ans au musée du Louvre. Les artisans se sont également pliés au fil de leurs parcours à l’exercice épineux de différents concours, gravissant à petits pas les échelons de la fonction publique.

Eric de Meyer, responsable de l’atelier d’ébénisterie du château de Versailles, et son collègue Sylvain Molfessi
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Eric de Meyer, responsable de l’atelier d’ébénisterie du château de Versailles, et son collègue Sylvain Molfessi

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Photo Timothée Chambovet

On note enfin que, souvent, ils collaborent. Et s’entraident. Jérôme Lebouc cite : « J’ai demandé aux ébénistes de me faire un métier à tisser pour fabriquer des sangles en chanvre ; on a fait les plans ensemble. » L’atelier bois est d’ailleurs souvent sollicité pour fabriquer des meubles usuels, comme « des outils pour les jardiniers » nous dira Éric : « On est menuisier à la base, et ébéniste ensuite. » Un détail amusant : il arrive que son atelier travaille avec le bois des arbres du domaine ! Une production ultra-locale, qui rappelle au passage que ces artisans utilisent volontiers des produits naturels, d’origine végétale ou animale, qu’ils fabriquent leurs propres pâtes, avec des recettes ancestrales. Petites mains du château, ils en conservent également l’esprit, connaissant sur le bout des doigts chaque période, chaque style. Leur sérieux fait plaisir à voir : c’est désormais sûr, le château est assuré de traverser les siècles sans perdre de sa superbe.

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Château de Versailles

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Parc : ouvert tous les jours, sauf météo exceptionnelle, de 7h à 20h30

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