Etudes de santé : comment les réformes ont favorisé l'essor des prépas privées

Pauline Bluteau Publié le
Etudes de santé : comment les réformes ont favorisé l'essor des prépas privées
Des petits effectifs, un accompagnement personnalisé : les prépas privées aux études de santé offrent des conditions idéales à leurs étudiants inscrits. // ©  Pauline Bluteau/EducPros
Depuis plusieurs années, les prépas privées aux études de santé se sont multipliées et ont diversifié leur offre, jusqu'à devenir des référentes en matière d'orientation. Plus que de représenter un nouveau "business", ces prépas mettent en cause les lacunes du système universitaire.

Pour de nombreux doyens, la suppression de la PACES (Première année commune aux études de santé) au profit du PASS (Parcours spécifique "accès santé") et de la L.AS (Licence avec option "accès santé") aurait dû sonner le glas des prépas privées. Mais le KO technique n'aura pas duré.

Les prépas privées aux études de santé reviennent en force. De plus en plus présentes dans les villes universitaires, elles proposent même de nouveaux services, déstabilisant d'autant plus les universités.

Une inquiétude grandissante depuis la fin de redoublement en première année d'études de santé

Lucie est aujourd'hui en deuxième année de L.AS psychologie à l'université d'Amiens. L'an dernier, elle a intégré un PASS et suivi en parallèle une prépa. "On sait tous qu'il y a très peu de places en médecine et pas de redoublement permis. Donc sans prépa, c'est impossible", estime-t-elle.

Comme Lucie, nombreux sont les étudiants - environ la moitié des effectifs de PASS et L.AS, selon nos calculs -, à opter pour une prépa privée, afin d'être sûr d'entrer en médecine, maïeutique, odontologie ou pharmacie (MMOP) au bout d'un an.

De 2010 à 2020, seule la PACES permettait d'intégrer les filières de santé. Aujourd'hui, plus de redoublement possible en PASS ou en L.AS mais les candidats continuent d'avoir deux chances pour accéder aux études de santé. Or, trois ans après la réforme, le message a toujours du mal à passer auprès des familles.

Jean Dellamonica, doyen à l'université Côte d'Azur, insiste : "les familles se disent qu'elles ne peuvent pas se tromper. En augmentant la pression en première année, on joue sur la peur. Les réformes aggravent ce système. C'est un état de fait qu'on ne peut pas accepter".

À Lyon 1, le constat est partagé. "Le message des prépas est clair : elles sont un facteur de réussite. Quoi que les universités fassent, elles ne sont pas à la hauteur et les prépas répondent aux inquiétudes des familles", tranche le doyen Gilles Rode.

Avec les réformes successives, les prépas développent une nouvelle offre

La réforme du premier cycle des études de santé n'a donc rien arrangé, d'autant que d'autres réformes ont eu lieu au même moment : l'arrivée de Parcoursup qui a modifié la sélection pour l'accès au supérieur et en parallèle, la réforme du bac et du lycée impliquant un choix de spécialités, et non plus de filière S, ES ou L, en première et terminale.

Si les universités, avec leurs tutorats, tentent de s'impliquer dans les choix d'orientation des lycéens, ce sont les enseignants du secondaire qui restent en première ligne pour accompagner leurs élèves sur Parcoursup. Et là encore, ça coince.

Marie-Thérèse Lehoucq, présidente de l'UDPCC (union des professeurs de physique-chimie) évoque le "tsunami" des réformes. "C'est le système D pour les enseignants. En matière d'orientation, nous n'avons pas de cadre précis. Il faudrait que nous soyons plus accompagnés."

Le président de l'APBG (association des professeurs de biologie et géologie), David Boudeau se dit lui aussi "désarçonné" par des réformes qui se sont chevauchées, notamment avec celle des études de santé.

De quoi permettre aux prépas privées de développer de nouvelles offres. "Maintenant qu'il n'y a plus de redoublement, on les aide au lycée à se préparer avant l'entrée à l'université", explique Thibaut Santolaria, directeur général des Cours Avicenne à Lyon.

Les prépas proposent des remises à niveau ou des approfondissements dans des matières qui ont pu être délaissées au lycée, comme les mathématiques.

"Les prépas privées ont prospéré parce qu'elles ont les moyens de s'adapter. Elles cherchent à anticiper et cela s'est accentué, puisqu'elles aident dans le choix des spécialités", souligne l'ANEMF (association nationale des étudiants en médecine de France).

Qu'est-ce qu'une prépa aux études de santé ?

Il existe une centaine de prépas aux études de santé. Si on les appelle "prépa", elles n'ont pas de lien avec les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Les prépas aux études de santé sont majoritairement des établissements d'enseignement supérieur privés non reconnus par le ministère de l'Enseignement supérieur.

Plusieurs programmes sont proposés : dès le lycée aux élèves de 1re et terminale ; entre le lycée et l'université, une année blanche souvent appelée "prépa zéro" ("P0") et en PASS ou en L.AS, en première année d'études de santé à l'université (la plus répandue). Payantes, ces prépas durent une année scolaire.

Les prépas aux études de santé misent sur l'accompagnement

Néanmoins, selon le directeur du Cours Avicenne à Lyon, son job "ne devrait pas exister". "Je veux la réussite des étudiants et je le fais, car la fac n'est pas capable de le faire. Je ne leur jette pas la pierre. Le tutorat fait ce qu'il peut, mais il ne peut pas fournir la même quantité et qualité de travail pour autant d'étudiants. C'est normal d'être débordé."

Le fondateur et directeur de Médisup Sciences, Arnaud Dreyfus, est, lui aussi, formel : "On leur apporte un accompagnement qu'ils n'ont pas à l'université."

À l'UVSQ (université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), le doyen Loïc Josseran énonce une évidence : "C'est le principe de l'université : on ne peut pas suivre tous nos étudiants en première année. On n'en a pas les moyens parce qu'on n'est pas une école." Jean Dellamonica constate également que "les prépas font des choses qu'on ne peut pas faire. On enseigne en masse, ils ont des classes de 20-30 élèves".

Les prépas se basent sur les lacunes pédagogiques des universités. (ANEMF)

C'est ce qu'a remarqué l'ANEMF : les prépas tirent leur épingle du jeu sur l'accompagnement, là où le bât blesse à l'université. "Les prépas se basent sur les lacunes pédagogiques des universités", concède l'association, soulignant l'attractivité des prépas qui proposent des polycopiés parfaitement résumés, des entrainements aux QCM et des cours en petits groupes.

Et l'écart semble se creuser. "Ce n'est pas compatible : on voudrait avoir moins d'étudiants, pour mieux les accompagner mais on nous demande d'en former plus [pour limiter les déserts médicaux, ndlr]", appuie Benoît Veber, président de la Conférence des doyens de médecine.

L'attractivité des prépas, révélatrice d'un système universitaire "mis en difficulté"

Pour les doyens, l'attractivité des prépas privées est révélatrice d'un système universitaire qui s'essouffle. "C'est une faillite de l'université. On s'est mis en difficulté et on va le payer encore longtemps", commente Pierre Dubus, ancien doyen de l'université de Bordeaux. Selon lui, on assiste à une privatisation de l'enseignement supérieur.

Olivier Palombi, doyen à l'université Grenoble-Alpes est amer. "La crise sanitaire et ces réformes ont mis à nu un système à bout de souffle. L'université a du mal à déployer des moyens publics pour s'en emparer. C'est rude, quand même."

Impliquer les présidents d'université pour concurrencer les prépas

Ancien président de la conférence des doyens de médecine, Patrice Diot le concède : c'est aussi un sujet qui a largement été délaissé ces dernières années. "Il n'a pas été abordé à la Conférence parce qu'on était pris avec les réformes. Mais c'est un sujet auquel on doit s'intéresser."

Selon lui, l'erreur a été de considérer que ces réformes ne concernaient que les facultés de santé et non l'université. "On n'a pas intégré les présidents d'université. Donc, aujourd'hui, ils suivent nos problématiques plus distraitement."

Ce soutien paraît pourtant essentiel, notamment pour encourager le tutorat, un dispositif gratuit et interne aux universités, seul capable de concurrencer les prépas privées.

Selon les prépas interrogées, ce sont sûrement les études de santé, elles-mêmes, qui sont à encore à redessiner. "Même si les prépas ont professionnalisé une offre, cela ne remet pas en cause la formation complète. On ne peut pas se substituer à l'université mais nous sommes devenus un outil important. Ce n'est pas le système universitaire qui est responsable, c'est le concours", avance Arnaud Dreyfus.

"Tant que le système restera sélectif, les prépas vont perdurer", complète Thibaut Santolaria.

Repenser la formation, quitte à fragiliser une nouvelle fois les universités ? "La bataille n'est pas perdue, mais elle est politique, uniquement politique", réagit Pierre Wolkenstein, président de l'université Paris-Est Créteil.

La Cour des comptes doit publier prochainement son avis sur la réforme du premier cycle des études de santé, signe sans doute de changements encore à venir… Reste à savoir à qui cela profitera.

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