Lorsque Etienne Riot, le directeur de la recherche appliquée et de l’innovation de l’agence d’architecture PCA-Stream, a demandé à Midjourney de remplacer la façade en verre du bâtiment du Monde à Paris par un revêtement en briques, l’intelligence artificielle (IA) a « halluciné » . A chaque nouvelle itération, elle recrachait une forme différente : conique, trapézoïdale, torsadée… Tout sauf le volume parabolique étiré comme du chewing-gum que les Norvégiens de Snohetta (en association avec l’agence française SRA) ont conçu pour le groupe de presse français. « Elle n’en avait pas compris la géométrie », en a déduit l’ingénieur.
L’exercice qu’il proposait visait à illustrer les capacités et les limites des modèles d’apprentissage automatique (machine learning), générateurs d’images appliqués à l’architecture. Etienne Riot a aussi demandé à Midjourney de placer des balcons sur le bâtiment. « On s’attendait à ce qu’il les mette par terre ou dans le ciel… Il ne sait pas placer les éléments d’architecture, il n’a pas été entraîné pour. Mais on n’avait pas imaginé qu’il ne pourrait pas en intégrer un seul à l’image. S’il a échoué, c’est parce qu’il n’a pas identifié le bâtiment comme bâtiment. »
L’intelligence artificielle générative produit des photos, des romans. Elle a conduit les acteurs et scénaristes d’Hollywood à se mettre en grève pour sécuriser leurs emplois. Mais elle est ne peut pas concevoir un bâtiment. De la représentation en deux dimensions à l’objet physique intégré à son contexte, conforme à l’inextricable écheveau de normes qui régissent le secteur du bâtiment autant qu’aux règles de l’urbanisme, respectant le bien-être des usagers autant que le budget du client, il y a un gouffre qui nécessiterait au minimum pour le combler de concevoir un modèle ad hoc. Les investissements requis par un tel projet, au moins aussi colossaux que ceux qui ont permis la création de ChatGPT, Midjourney ou Dall-E, seraient impossibles à amortir sur le seul secteur de l’architecture. En imaginant qu’un tel modèle finisse par exister un jour, il lui manquerait toujours la sensibilité – à l’espace, à la lumière, à l’esprit des lieux… – sans laquelle l’architecture n’est qu’un triste assemblage de matériaux sans qualité.
Les architectes ne sont pourtant pas les derniers à s’être jetés sur ces générateurs d’images qui affolent Internet depuis un peu plus d’un an. Si Midjourney ne reconnaît pas le bâtiment du Monde, il sait croiser un temple hindou avec une chaumière normande, produire des images de villa « dans le style de Frank Lloyd Wright », intégrer l’Opéra de Sydney (Jorn Utzon, 1973) à un décor illustré au crayon… Si frustes, approximatifs ou fantaisistes soient-ils, ces blendings ont le charme de l’inopiné, ce qui n’est pas rien dans une profession dont l’imaginaire est plus cadenassé que jamais.
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