« J’écris sur une feuille de papier tous les nombres de 1 à 444. Combien de fois le chiffre 4 apparaît-il sur la feuille ? » Ou encore : « Quel est le nombre d’anagrammes du mot assiette ? » Voilà le type de questions auxquelles doivent répondre en quelques secondes ceux qui veulent intégrer une école de commerce par la voie des admissions parallèles. Les fameux tests Tage 2 ou Tage Mage, qui ont fait souffrir des générations d’élèves, se présentent sous la forme de QCM chronométrés, à barème négatif, couvrant les champs du calcul rapide, de la logique spatiale et de la compréhension de texte. A cela s’ajoute le Toeic, test particulièrement exigeant en anglais.
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S’ils sont admissibles, les candidats auront ensuite le bonheur de faire le tour de France des écoles pour passer les épreuves orales. C’est donc une année bien chargée que s’apprêtent à vivre ces milliers de postulants. « Ils doivent mener de front leurs études, car leur dossier compte aussi dans le processus de sélection, et se préparer à des tests très spécifiques qui demandent de l’entraînement, souligne Mathilde Andrade, présidente de la prépa privée Admissions parallèles. Sans négliger leur CV, qui doit comporter des stages pour leur permettre de nourrir leur entretien devant les jurys. »
Des profils atypiques
Les recrutements par admissions parallèles ont le vent en poupe. Ces cinq dernières années, ils ont augmenté de 22 % pour les 26 grandes écoles de commerce accessibles par le Sigem, selon l’agence AEF info, dans un contexte où les effectifs des classes prépas ont tendance à baisser. Même si « pour intégrer le Top-3 du classement, la voie royale reste la classe préparatoire », rappelle Antoine Lamy, d’Ipesup. En effet, HEC, l’ESCP, l’Essec, l’emlyon et l’Edhec n’ouvrent des places aux autres voies qu’à partir du master. Et ce sont surtout les élèves venus de l’international.
Les secrets de fabrication du test Tage Mage
C’est une réunion de savants fous. Régulièrement, ils se donnent rendez-vous au siège de la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (Fnege), propriétaire des tests Tage Mage et Tage 2 qui servent de base à la sélection des étudiants pour intégrer les grandes écoles de commerce. Matheux, linguistes, spécialistes en psychométrie, ils élaborent dans le plus grand secret leurs batteries de QCM. Puis les testent auprès d’un panel d’adultes et d’étudiants.
Créés en 1997, ces tests ont très peu évolué. Ils vérifient les compétences calculatoires, le raisonnement logique et la maîtrise verbale. Aucune question de culture générale n’est posée « même si un débat interne porte actuellement sur la création de questions d’actualité économique », reconnaît Emmanuel Margerie de la Fnege.
En 26 ans, le meilleur score obtenu a été de 507 points sur 600. La Fnege ne publie pas d’annales mais propose des tests en ligne pour s’entraîner. Les étudiants s’arrachent aussi la « Bible du Tage », un manuel remis à jour chaque année par Franck Attelan, le fondateur d’Aurlom, un institut privé de préparation aux concours qui, contrairement aux apparences, n’est pas labellisé par la fondation.
A l’EM Strasbourg, par exemple, un étudiant sur trois n’est pas français. « A l’ESCP, les étudiants étrangers sont passés de 350 en 2017 à 800 en 2023, tandis que les admissions parallèles classiques sont restées stables, à 80 étudiants par an », souligne Cécile Kharoubi, directrice du programme grande école.
A Neoma, on apprécie également les profils internationaux. « Ces recrutements vont dépasser les admissions parallèles classiques d’ici cinq ans », indique Julien Manteau, directeur général adjoint chargé du développement. Car l’offre destinée aux Français pour entrer en L3 (bac + 3) ou en M1 (bac + 4) reste relativement stable, avec 6 800 places en 2023. C’était 6 500 en 2010.
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Contrairement aux idées reçues, le nombre des admis sur titre (hors voie internationale) n’a donc pas explosé et la sélection reste forte pour rejoindre un programme grande école. Les bons établissements – ceux qui délivrent le grade de master en management – sont très soucieux du profil des nouvelles recrues. « Les business schools se méfient de ceux qui attendent seulement un tampon prestigieux, avance Hélène Roger, directrice commerciale de la prépa Admissions parallèles. Elles recherchent avant tout la diversité. »
Sont ainsi appréciés les profils atypiques pour former de futurs managers, comme les pharmaciens, les biologistes, les sportifs de haut niveau ou les très bons littéraires. « Les entreprises raffolent de ces doubles cursus qui savent lire une formule scientifique et sont très à l’aise aussi en marketing », confirme Cécile Kharoubi, qui recrute chaque année trois à quatre pharmaciens et une poignée de médecins.
Des oraux exigeants
L’analyse détaillée du CV et les oraux permettent de faire un tri important. Cohérence du parcours et sincérité du candidat sont les deux clés pour réussir cette course de haies. « Il faut que nous comprenions très vite quel est son moteur et en quoi l’école pourra donner un coup d’accélérateur à son projet », insiste Julien Manteau, de Neoma.
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Pour intégrer une grande école de commerce après un parcours universitaire, un BTS ou un BUT, il est donc nécessaire de se préparer sérieusement. « La disparition il y a quelques années des épreuves écrites de synthèse ou de dissertation a pu être interprétée à tort comme une facilité, pointe Antoine Lamy, d’Ipesup. Réussir le Tage Mage ou les épreuves d’anglais n’a rien d’évident. »
Le cadre du recrutement est globalement le même pour toutes les écoles : QCM, anglais, dossier et oral. Mais ensuite, chacune fixe ses propres coefficients, barres d’admissibilité, modalités de compensation d’une épreuve à l’autre. La spécificité de l’exercice du QCM réclame de l’entraînement, et le niveau d’anglais demandé est très élevé. « Commencer à se préparer deux ans avant mais négliger, par exemple, la qualité de ses stages ou de son dossier scolaire constitue une erreur », prévient Antoine Lamy.
Les écoles insistent également sur l’entretien avec le jury. « Cela ne s’improvise pas, souligne Julien Manteau, de Neoma. Etre à l’aise à l’oral ne suffit pas. » Plus qu’à l’écrit, c’est lors de cette épreuve que chaque établissement met sa patte. A Grenoble EM, l’épreuve est « inversée » : c’est à l’étudiant de poser les questions au jury et non l’inverse. D’autres écoles sont friandes d’oraux à plusieurs. Skema, pour sa part, demande aux admissibles d’être capables de se projeter à dix ans. Autant d’exercices qui demandent un minimum de préparation.
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Une fois tous ces obstacles passés, les étudiants diplômés de BTS ou de licence s’intègrent-ils facilement ? « Ils apprennent très vite les codes, constate Cécile Kharoubi, de l’ESCP, et forment des profils parfaitement complémentaires avec les étudiants de prépa. » Quant aux employeurs, « ils se concentrent pour l’essentiel sur le diplôme », insiste Hélène Roger, même si certaines entreprises françaises, notamment dans la finance ou dans le conseil, ont encore tendance à privilégier les jeunes managers passés par une classe préparatoire.