En Centre-Val de Loire, un écosystème du biomédicament se dessine
Dans la région Centre-Val de Loire, entreprises et collectivités territoriales se mettent en ordre de bataille pour accueillir une industrie de la biopharmacie prometteuse.
Coup d’accélérateur dans l’industrie du biomédicament en Centre-Val de Loire. La reprise d’un projet d’incubateur public – le Biolab – par des investisseurs privés va permettre à la filière de poursuivre sa mue. Rebaptisé Health Tech Station, le projet va notamment mobiliser le fonds d’investissement français Brainsventure à hauteur de 16 millions d’euros, avant de s’élargir à d’autres acteurs, comme le fonds Go Capital. Sa construction devrait démarrer dans quelques mois à Tours (Indre-et-Loire), dans le secteur des Casernes, pour une mise en service en 2022.
"Nous avons imaginé cet incubateur pour y développer les innovations des chercheurs de Tours et Orléans, ou d’ailleurs, sur les biothérapies, et pour accueillir des start-up sur ces thématiques", insiste François Bonneau, le président (PS) du conseil régional et de son agence de développement économique Dev’Up.
La Région – l’un des initiateurs de l’incubateur – continuera de contribuer à son financement. "Cette prise en main par le secteur privé va nous libérer d’une somme invraisemblable de procédures liées à la construction du bâtiment et aux recherches de financements publics. On gagne beaucoup de temps", ajoute Philippe Briand, le président (LR) de Tours Métropole. Le cluster Polepharma, qui regroupe 300 entreprises de la filière dans les régions Centre-Val de Loire, Normandie et Ile-de-France, reste dans la gouvernance.
L’incubateur Health Tech Station, qui sera installé à côté du plateau technique du Bio3 Institute – l’usine-école de production de biomédicaments de l’Institut des métiers et des technologies et des produits de santé de Tours –, consolide et diversifie l’écosystème local de la pharmacie. Un écosystème déjà riche de ses industriels, des universités de Tours et Orléans (Loiret) et de leurs laboratoires de recherche Inserm et CNRS, de l’Inra et du Labex MabImprove Tours-Montpellier, l’un des deux laboratoires d’excellence français consacrés au biomédicament.
L’enjeu est vital pour le Centre-Val de Loire, qui, comme sa voisine la Normandie, dépend fortement de la pharmacie, véritable poumon économique pour la région devant le luxe et la cosmétique, l’agriculture et l’aéronautique. La filière, qui compte une soixantaine d’entreprises et près de 10 300 salariés, représente 18 % de ses exportations et a créé 1 100 emplois en cinq ans. Mais il y a un hic : la France ne produit que 7 % des biomédicaments prescrits dans le pays. Leur part dans la production de médicaments en Centre-Val de Loire est encore plus faible. Encore chers, très ciblés sur des maladies rares, les biomédicaments gagnent inexorablement du terrain sur les médicaments chimiques.
Pionnier, le français Servier termine les travaux de sa première unité de bioproduction à Gidy (Loiret), dans laquelle il a investi 50 millions d’euros. "La production de biomolécules destinées à des études cliniques sera prête en 2022", indique Patrice Martin, le directeur technique et HSE du groupe. Baptise e Bio-S, l’usine fabriquera et conditionnera des anticorps monoclonaux, dans un premier temps sous forme de lots pre cliniques, puis cliniques, pour des traitements en oncologie. Servier s’appuie sur une trentaine de salariés, qu’il a pu former aux standards de la production de médicaments vivants grâce au Bio3 Institute de l’IMT. Dès 2022, une soixantaine de salariés sont prévus.
Garder ses pépites
Health Tech Station permettra aux jeunes pousses de développer leurs produits sur place, dans des salles blanches aménagées dans l’incubateur, plutôt que d’être obligées de se vendre pour financer leur croissance. Deux d’entre elles sont déjà partantes : MabSilico et McSaf. À terme, cinq entreprises seront accueillies simultanément. La première est une émanation de l’Inra Centre-Val de Loire, et intervient dans le soutien à la production. Elle vient de remporter le prix Bpifrance i-Nov, doté de 1 million d’euros, grâce à son logiciel associé à l’IA, qui aide à l’élaboration d’anticorps monoclonaux. "La difficulté majeure d’une bioproduction est d’atteindre des niveaux industriels, alors qu’il faut franchir de multiples étapes. Grâce à notre outil, un candidat médicament peut être proposé en quelques semaines, contre deux à trois ans avec les procédés traditionnels", assure Anne Poupon, la cofondatrice de MabSilico.
Quant à McSaf, qui travaille sur la bioconjugaison entre les actifs chimiques et les molécules vivantes, il vient de lever 1,5 million d’euros auprès de business angels et de Bpifrance pour accélérer dans l’oncologie. Grâce à une meilleure combinaison entre l’actif et le patient, cette société créée en 2015 entend notamment diminuer les effets secondaires des chimiothérapies pour les patients.
Depuis quelques années déjà, la région Centre-Val de Loire donne un coup de fouet à la R & D dans ce secteur des biomédicaments grâce à son programme Ambition recherche et développement (ARD 2020), pour lequel elle a versé plus de 9 millions d’euros depuis 2016. "Sans cela, nous n’existerions pas", admet Anne Poupon. Cet investissement a aussi permis de fixer en France ces sociétés innovantes et contribue à l’attractivité de la région. "Nourrir cet écosystème est précieux, argumente Jean-Louis Garcia, le directeur de l’agence Dev’Up. Des entreprises frappent à la porte, car elles savent qu’elles vont pouvoir trouver des compétences."
« Nous misons sur les échanges entre start-up et industriels »
Fabien Riolet, Directeur général du cluster Polepharma
Qu’est-ce qui a motivé la création de l’accélérateur Health Tech Station ?
Il existe un terreau fertile autour de la R & D dans les biotechnologies sur le territoire de Polepharma, notamment autour des anticorps monoclonaux, avec le laboratoire d’excellence MabImprove Tours-Montpellier. À Tours, la mini-usine de bioproduction du Bio3 Institute permet aux entreprises de tester sur place leurs travaux. Ce terreau génère des créations de start-up, mais jusqu’à présent, nous ne disposions pas de l’instrument pour les accompagner.
À qui s’adressera cet incubateur ?
Celui-ci cible les sociétés innovantes dans les biomolécules, les services dédiés aux biotechnologies et à la bioproduction. En accueillant plus de jeunes pousses, nous misons sur des échanges croisés entre ces entreprises et le tissu industriel et enrichissons l’écosystème de la bioproduction.
Quel est l’enjeu pour la production classique ?
À l’échelle du pays, la situation reste favorable puisque l’industrie pharmaceutique a stabilisé ses effectifs, et qu’environ 600 millions d’euros sont investis chaque année dans l’outil industriel. Pourtant, on ne peut pas passer à côté des biomédicaments. Le Leem, le syndicat des entreprises du médicament, rappelait récemment que seuls 7 % des biotraitements prescrits en France y sont fabriqués.