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Comment la modification du génome bouscule l’industrie
Ce vendredi 30 avril, la Commission Européenne doit se prononcer sur l'utilisation des nouvelles techniques d'édition du génome dans le végétal. Considérée comme OGM dans l'agriculture, l'"édition de précision" est pourtant déjà utilisée dans la santé, construction, chimie…
À l’évocation du sujet, les regards se détournent. Que ce soit dans le domaine de la santé, du végétal ou de la chimie, l’allusion aux nouvelles techniques d’édition du génome laisse l’ensemble des acteurs, industriels et institutionnels, mal à l’aise. Contrairement à une idée reçue, tous les secteurs industriels sont concernés par cette évolution technologique. L’agriculture, la santé, mais aussi la construction, la plasturgie, l’automobile...
« Ces outils, intéressants et puissants, ont une très large palette d’utilisation », confirme Jean-Christophe Pagès le président du comité scientifique du Haut conseil des biotechnologies (HCB). Mais hantés par le spectre des discussions autour des organismes génétiquement modifiés, tous ont peur de voir leur nom associé au sujet. « Il y a une vraie difficulté à aborder l’édition de précision, car le débat sociétal et politique demeure très tendu », observe Jean-Denis Faure, chercheur à l’Inrae.
Les nouvelles techniques d’édition du génome, regroupées sous l’acronyme NBT (New breeding techniques) désignent l’ensemble des technologies qui visent la modification du matériel génétique d’un être vivant. Elles peuvent être appliquées aux plantes, aux animaux, aux champignons, aux organismes unicellulaires, ainsi qu’au génome humain. La plus connue d’entre elles, Crispr-Cas9, a été découverte en 2012 par les généticiennes et biochimistes française Emmanuelle Charpentier et américaine Jennifer Doudna, lauréates du Nobel de chimie en 2020.
Jusqu’où est-il possible d’aller et pour quoi faire ?
Depuis le milieu des années 2010, la généralisation de l’usage de ces techniques a pourtant relancé le débat sur la manipulation du vivant : « Jusqu’où est-il possible d’aller et pour quoi faire ? », résume le généticien Axel Kahn. Le sujet est si épineux « qu’il a fait exploser le HCB en 2016 », rappelle Cédric Villani, député (EDS) et président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), interpellée par les associations environnementales, a donné une première réponse en décidant de classer les plantes issues de ces techniques comme des OGM. Un arrêt auquel la France s’est conformée suite à une décision du Conseil d’État de février 2020.
Bien que relative au seul domaine du végétal, l’avis de la CJUE a pourtant eu des conséquences pour l’ensemble des secteurs dans lesquels ces techniques sont utilisées. Pour preuve, les vaccins contre le Covid-19 utilisant des virus vivants, mais génétiquement modifiés, comme vecteurs ont rapidement été qualifiés de « vaccins OGM ». La polémique agite également le secteur des biotechnologies blanches, qui regroupent les biotechs du secteur industriel.
La guerre des lobbys
Au Toulouse White Biotechnology (TWB), consortium public-privé, un comité éthique et de développement durable a d’ailleurs été mis en place. Le but : « Réfléchir à l’utilisation et aux manipulations du vivant », explique Olivier Rolland, le directeur exécutif du TWB. Les tensions sont principalement de deux ordres. D’une part, la question des brevets. À l’heure actuelle, pour commercialiser et utiliser les techniques d’édition du génome, quel que soit le secteur, il faut souscrire une certification auprès de l’institut détenteur. Dans le cas du Crispr-Cas9 par exemple, le brevet est détenu par le Broad institute (émanation de Harvard et du MIT). Résultat : « Il y a un vrai risque de privatisation du vivant », alerte Loïc Prud’homme, député (LFI) et rapporteur de l’Opecst sur les NBT. D’autre part, les opposants aux NBT s’inquiètent du risque de transmission systématique des gènes modifiés à la descendance. « Le forçage génétique, comme nous l’appelons, triche sur les lois de l’hérédité », reconnaît Éric Marois, chargé de recherches à l’Inserm. Ce dernier a notamment travaillé sur les moustiques modifiés pour inhiber les vecteurs des maladies comme la malaria et le virus Zika. « Cela implique une réduction de la biodiversité mondiale », commente Loïc Prud’homme. Par ailleurs, une fois répandues, les disséminations échappent à tout contrôle. « Cela pourrait aboutir à des mutations indésirables », avertit Éric Marois.
Fervent défenseur des NBT, Georges Freyssinet, le président de l’Association française des biotechnologies du végétal, conteste : « Les OGM sont obtenus par la transgénèse, c’est-à-dire l’introduction d’un gène complet. Dans le cas du recours aux NBT, il n’y a pas d’introduction de gènes extérieurs, mais un travail sur le génome existant. Les mutations qui apparaissent pourraient également émerger dans la nature ». Pour les défenseurs des NBT, il serait donc impossible de différencier un être vivant modifié d’un être vivant dont les gènes se seraient croisés au fil du temps. « Les NBT ont pour principal objectif d’accélérer le processus de sélection de variants naturels qui sont actuellement introduits par de longs croisements », ajoute Jean-Christophe Pagès. Ce qui amène les partisans des NBT à dénoncer la position de leurs opposants qui serait fondée sur une technique plutôt que sur un résultat. « On condamne le recours à une technologie sans même prêter attention à ce qu’elle apporte », déplore Agnès Ricroch, maître de conférences à AgroParisTech.
Des inquiétudes dépassées dans la santé
Ces arguments, les défenseurs des NBT comptent bien les faire peser sur les membres de la Commission européenne comme l’a démontré l’ONG Corporate Europe Observatory. Dans son dossier baptisé Crispr files, elle dévoile les opérations de lobbying des partisans des NBT auprès des gouvernements pour obtenir la déréglementation de ces techniques. Il faut dire que l’enjeu est de taille pour les industriels : le 30 avril, la Commission européenne devait se prononcer sur une évolution de la réglementation OGM. « Un avis très attendu, car il pourrait ouvrir la voie à une nouvelle réglementation des NBT sur le Vieux Continent », estime Claude Tabel, le président de l’Union française des semenciers. La décision de la Commission aura probablement été influencée par l’avancée du débat sociétal dans le domaine de la santé au cours des derniers mois. Face à l’intensification de la pandémie du Covid-19, la polémique autour des « vaccins OGM » n’a gagné que peu d’ampleur.
La santé est un domaine qui nous concerne tous. Lorsque les thérapies géniques apportent les solutions, la perception de la question est différente et change en partie la nature du débat.
Ce secteur est, aujourd’hui, celui qui bénéficie le plus des techniques d’édition du génome. « En matière de santé, les inquiétudes ont été dépassées car les effets cliniques ont été rassurants », explique la sénatrice (LR) Catherine Procaccia, co-rapporteur de l’Opecst sur les NBT avec Loïc Prud’homme. « La santé est un domaine qui nous concerne tous. Chacun d’entre nous a déjà été confronté à la maladie de proches et lorsque les thérapies géniques apportent les solutions, la perception de la question est différente et change en partie la nature du débat », argue Jean-Christophe Pagès. À l’heure actuelle, la quasi-totalité des dossiers reçus par le HCB pour une évaluation concernerait le secteur de la santé. « La France est leader dans ce domaine », confirme le président de son comité scientifique.
Une position que l’Hexagone peine à préserver lorsque l’on regarde l’ensemble des brevets Crispr-Cas9 déposés dans le monde. Selon les données publiées par Catherine Regnault-Roger, professeure à l’université de Pau (Pyrénées-Atlantiques) et membre du HCB, la Chine et les États-Unis ont, à eux deux, déposé plus de 40 % des certifications Crispr-Cas9 sur la période 2012-2018… contre 9 % pour l’Europe. « La Chine prend des brevets surtout pour les applications agricoles et industrielles et les États-Unis pour les améliorations des techniques et les applications médicales », décrit-elle. Et de déplorer que l’Europe, très en avance dans les années 1980-1990 avant de refuser les plantes OGM, soit en passe d’être marginalisée.
Les sirènes de l’étranger
Le principal obstacle pour les chercheurs et industriels hexagonaux ? L’impossibilité de tester et d’appliquer leurs recherches en dehors de leurs laboratoires. « Aujourd’hui, notre difficulté est de ne pas pouvoir réaliser les essais en champs », regrette Jean-Denis Faure, qui a travaillé sur des camélines modifiées, dont les plants ont dû être semés en Angleterre. « Il y a une frilosité pour tester les applications en France. Et il y a la crainte de voir les tests détruits par les faucheurs volontaires », lâche le chercheur. Face à ce problème, le groupe allemand BASF a, dès 2014, décidé de déménager sa R & D dédiée aux États-Unis. Quelques années plus tard, le numéro un français de la semence Limagrain déclarait haut et fort envisager de faire de même. Une menace qu’il n’a pas encore mise à exécution.
Dans les autres secteurs, où l’application des techniques d’édition du génome est autorisée, on confirme également l’attrait exercé par l’étranger. « Nous évitons ainsi les polémiques et un débat qui échappe totalement à la science », assure le porte-parole d’une greentech française. Une fuite que déplore Cédric Villani. « Les NBT soulèvent un débat passionnant avec de nombreuses facettes : économique, scientifique, sociétale, écologique… Il faut pouvoir en aborder tous les aspects pour arriver à un consensus. »
Les principales NBT et leurs applications
La mutagénèse dirigée par oligonucléotides. Développée dans les années 1970, cette technique repose sur les oligonucléotides, des petits morceaux d’ADN qui peuvent être utilisés pour générer des modifications du génome. En effet, lorsqu’un oligonucléotide est introduit dans la cellule, un mécanisme endogène de réparation de l’ADN se déclenche. Cela a notamment pour but de cibler des gènes d’intérêt dans le but de les modifier ou de les inactiver. Problème, l’oligonucléotide peut s’apparier avec des segments d’ADN autres que ceux ciblés et ainsi provoquer des mutations indésirables. Ce qui vaut à cette méthode d’être, à l’heure actuelle, considérée comme inefficace.
La méthylation de l’ADN ARN-dépendante. Technique découverte par l’université de Cornell (États-Unis), la méthylation permet de moduler l’expression d’un ou plusieurs gènes de manière ciblée via l’addition d’un groupement méthyle, et ce, quel que soit le type d’organisme. La méthylation de l’ADN ARN-dépendante est utilisée dans la lutte antivirale, antibactérienne, antiparasitaire mais également pour l’inactivation de certains gènes.
La cisgénèse et l’intragénèse. Il s’agit de techniques qui reposent sur l’utilisation de transgène, c’est-à-dire de gène ajouté au patrimoine génétique d’un être vivant. Dans les deux cas, ce transgène provient de la même espèce ou d’une espèce sexuellement compatible. Dans le cas de l’intragenèse, le transgène est assemblé hors de la plante. Ces techniques sont utilisées pour introduire, dans un gène, des allèles donnant une résistance aux maladies, pour sur-exprimer ou sous-exprimer un gène. Ainsi, des gènes de résistance au mildiou repérés dans des variétés sauvages de pommes de terre ont pu être introduits dans des variétés cultivées.
L’agro-infiltration. Il s’agit d’opérer la mise en contact d’un vecteur génétiquement modifié dans le génome d’une plante. L’exemple le plus souvent utilisé est celui de l’introduction mécanique d’une bactérie modifiée dans l’ADN d’une plante pour permettre à cette dernière de renforcer sa résistance et sa tolérance à un pathogène. Cette technique est également utilisée à des fins de production de protéines et de molécules d’intérêt. L’expression du gène muté n’est que transitoire. Cette technique est réputée plus facile à mettre en place que l’intragenèse.
Le greffage. Cette méthode est avant tout utilisée en arboriculture et en horticulture pour renforcer la résistance aux maladies et la tolérance à des stress biotiques. Le greffage repose sur un greffon qui se développe sur un porte-greffe génétiquement modifié. Les deux éléments communiquent via des tissus vasculaires et aboutissent à l’obtention d’une plante greffée. Utilisée pour améliorer la vigueur de la plante, sa productivité, son adaptation à des conditions climatiques, le greffage permet d’obtenir un greffon, non OGM, qui ne contient pas de transgène. Il peut toutefois contenir des ARN ou des protéines issus de l’expression du ou des transgènes du porte-greffe.
La sélection inverse. Il s’agit d’une étape de transition dans la création de nouvelles variétés, qui part des « enfants » pour reconstituer le patrimoine génétique des « parents ». À partir d’une plante hybride, il est ainsi possible, via l’introduction des gènes qui modifient les processus normaux de la reproduction, de recréer deux lignées pures de plantes complémentaires qui, par croisement, reconstitueront cet hybride.
Les ciseaux moléculaires de type Talen et Crispr. Il s’agit de la dernière génération d’outils d’édition du génome. Ces technologies de nucléases à action dirigée, de type Talen et Crispr, sont, de l’aveu général, la véritable révolution dans cet univers. Leur précision et leur coût sont leurs principaux atouts. Les ciseaux moléculaires permettent de couper de la molécule d’ADN au niveau du site d’interaction pour y insérer la séquence souhaitée. Dans le cas de Crispr-Cas9, le ciseau est composé d’un côté d’un brin d’ARN et, de l’autre, de l’enzyme Cas9 qui se charge de couper la chaîne ADN complémentaire du brin ARN. En pratique, ce système permet notamment l’inactivation de gènes, la conversion génique, pour provoquer des échanges d’allèles ou encore l’insertion ciblée dans une région génomique précise de fragments d’ADN. Qualifiés de révolution, les ciseaux génétiques étendent à l’infini le champ des modifications du génome, et ce, dans quasiment tous les domaines.
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