Quand il raconte son parcours, Frédérick Mathis dit souvent : « Et en parallèle de tout cela… » Oui, en parallèle de sa route principale, il en a emprunté, des chemins de traverse, des sentiers bucoliques mais aussi des impasses, et toujours fenêtres grandes ouvertes, histoire d’aérer un cerveau bouillonnant de mille et une idées.

Ses explorations l’ont amené là, à une quarantaine de kilomètres de Toulouse, en pleine campagne, à Lahage (Haute-Garonne), au tiers-lieu rural Bordanova où se sont installées depuis six ans son association 3PA et son école de la transition écologique (Etre). La première, sorte de laboratoire pour inventer un avenir adapté aux bouleversements écologiques, est née en 2004 et compte 30 salariés. La deuxième, réalisation majeure de 3PA, fondée en 2017 pour former des jeunes décrocheurs aux métiers verts et verdissants, emploie une dizaine de personnes et est la tête de pont d’un réseau national réunissant aujourd’hui 20 établissements.

Une école du « faire » pour redonner confiance

« Une dizaine d’autres sont actuellement en incubation, et nous tablons sur un objectif de 60 écoles d’ici à quatre ans », se félicite Frédérick Mathis, qui s’applique « à gérer l’impatience d’aller plus vite et plus loin ». Car le bonhomme est ainsi, toujours un peu dans le coup d’après, inspiré depuis toujours par l’« envie de faire », qu’il s’attache à partager. « J’ai appris au fil du temps auprès des jeunes que le sujet essentiel était sans doute la confiance en soi, que beaucoup ont perdu », précise-t-il. « Notre objectif est de la rétablir, pas en le décrétant, mais en leur permettant de la retrouver. Et pour cela on teste et on voit. L’écologie est au cœur du processus, mais c’est le faire qui est essentiel. »

Ces connexions, Frédérick Mathis les esquisse tout jeune, dès ses premières années d’école alternative, à Toulouse dans une structure pratiquant la pédagogie Decroly, moins connue que les méthodes Montessori ou Freinet et « basée sur la proximité avec la nature et cette approche concrète du faire », explique-t-il. Cette période est vraiment marquante pour lui : « Je me souviens qu’à l’heure de rejoindre l’école publique après le primaire, avec un camarade de classe, on s’était promis de fonder plus tard une école selon des principes similaires. »

En attendant, il faut grandir et composer avec un système plus traditionnel. Ce n’est pas le plus facile, car le collégien et le lycéen jouent les activistes rebelles, fondant notamment un parti politique : le PPA pour « penser, parler, agir ». Quasiment le programme de 3PA – il manque alors « partager » – bien des années plus tard. Oui, le garçon a aussi de la suite dans les idées. Qui seront chamboulées à la fin des années 1990 par un déménagement de Toulouse à Poucharramet, petit village de moins de 800 âmes alors. « La découverte du milieu rural fut fondamentale pour la vraie fraternité et les amitiés que j’ai nouées là-bas », appuie Frédérick Mathis.

Un taux d’emploi de 76 %

Les études supérieures le ramènent ensuite à Toulouse, dans une école d’informatique où le passionne surtout la gestion de projet. Il double sa maîtrise par une licence en sciences de l’éducation. La suite est un cumul d’expériences, allant de deux ans d’instruction de dossiers au Parlement européen à Bruxelles à la création de diverses associations, dont 3PA. La découverte de la construction en terre crue – « une révélation » – amène Frédérick Mathis à travailler sur des chantiers avec des jeunes des quartiers populaires.

« Je constate alors la difficulté de les initier aux problèmes environnementaux, souligne-t-il. Ça leur parle, mais c’est très loin de leur quotidien. » 3PA se professionnalise, s’installe à la campagne, ce qui permet d’amener ces jeunes loin de leurs quartiers : « Ils passaient par chez nous pour de courtes formations, mais butaient pour trouver un emploi. Il fallait aller plus loin. »

Etre est ainsi née chemin faisant, en séduisant de plus en plus de partenaires (région Occitanie, Fondation Groupe EDF, La France s’engage, Fondation de France, etc.). À Lahage, l’école accueille chaque année une soixantaine de jeunes. Sur l’ensemble du réseau, ils sont plus d’un millier et la formation débouche sur un emploi pour 76 % d’entre eux. « Nous essayons de diversifier de plus en plus notre public qui ne vient plus exclusivement des quartiers, et nous travaillons aussi la mixité en mettant l’accent sur les métiers manuels pour les filles, souligne Frédérick Mathis. Sur ce registre, il faut encore beaucoup faire savoir et bagarrer. »

Proposer un récit, c’est une des préoccupations majeures de Frédérick Mathis, qui sortira un livre sur le sujet à la rentrée prochaine, chez Calmann-Lévy. « Pour montrer que bien des choses sont possibles », martèle celui qui aime se voir surtout comme un « déclencheur ». Ses futurs projets sont déjà quelque part dans un coin de sa tête. « En parallèle de tout cela. »

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« Les jeunes font preuve d’une énergie formidable »

« Nous travaillons ici avec des jeunes de catégories sociales souvent très défavorisées, mais qui, malgré toutes les difficultés qu’ils rencontrent et même une misère que l’on imagine mal, font deux heures de trajet pour venir tous les jours, et font preuve d’une énergie et d’une envie formidable. Ils pourraient être amorphes, désespérés. D’autant qu’ils entendent beaucoup de jugements qui les déconsidèrent, sur leur soi-disant manque d’appétit pour le travail, leur violence, etc. Oui ils ne votent pas, oui ils sont souvent en colère, mais quand ils parviennent à exprimer leur énergie dans le faire, ils s’engagent avec une force incroyable. Nos sociétés ont beaucoup trop dévalorisé les métiers manuels. C’est absurde, et il faut impérativement retrouver un récit permettant de les réhabiliter. Les métiers de demain seront aussi des métiers de main. »

Frédérick Mathis était l’un des intervenants du Forum « changer d’Ere » de décembre 2023 dont La Croix est partenaire. Ce forum a réuni des chercheurs, innovateurs sociaux et personnalités engagées autour de la thématique « l’avenir comme promesse ».