Les journalistes qui couvrent les guerres sont exposés à de multiples risques pour leur sécurité. Et ceux qui suivent les manifestations doivent aussi faire face à un niveau d’hostilité grandissant. Sans parler des risques en matière de cybersécurité. Comment les rédactions gèrent-elles ces situations complexes ?

Plus de 90 journalistes ont été tués dans le monde en 2023 dont 56 rien que dans la bande de Gaza, selon la Fédération internationale des journalistes, alors que Reporters sans frontières estime pour sa part que 45 ont perdu la vie dans le cadre de leurs fonctions. Parmi eux, en mai 2023, Arman Soldin, coordinateur vidéo de l’AFP, sur le front ukrainien, quelques mois après Frédéric Leclerc-Imhoff, de BFMTV, tués d’un éclat d’obus dans le Donbass. Dès le mois de février 2023, un poste de chargé de la sécurité, rattaché à la rédaction en chef centrale, était créé au sein de l’Agence en raison de la dégradation de la situation sécuritaire des journalistes. L’AFP a fait le choix de confier ce poste à un reporter, Jean-Marc Mojon, qui a une grande expérience des terrains « complexes ». « Le conflit en Ukraine a été un déclencheur », admet celui-ci. Depuis, le conflit au Moyen-Orient a déjà blessé deux journalistes de l’AFP à la suite d’un tir israélien au Liban Sud. L’une a eu une jambe amputée.

La sécurité des reporters envoyés sur les zones de guerre est l’une des principales préoccupations des rédactions chargées de couvrir l’actualité internationale. Pour cela, la plupart ont nommé un responsable de la sécurité. À France Médias Monde (RFI, France 24, MCD), un poste de directeur de la sûreté a été créé en 2013 après l’assassinat au Mali de deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Ce poste est occupé depuis cette date par Jean-Christophe Gérard, ancien officier supérieur de l’armée. À France Télévisions, c’est Muriel Sobry, ancienne commissaire de police, qui est la directrice de la sécurité et de la sûreté.

Leurs missions ? Conseiller la direction, préparer les reporters aux conditions de travail en zones dangereuses, assurer leur sécurité physique et veiller à leur santé mentale, gérer les équipements de protection, mais aussi définir et piloter les besoins de formation. France Médias Monde forme en interne depuis dix ans aussi bien à la gestion du stress, à la cybersécurité en mode nomade, qu’aux gestes de premiers secours ou au repérage de pièges explosifs… Plus de 560 des 1 000 journalistes et techniciens ont suivi cette formation. Celle-ci, inscrite au catalogue de l’INA, est ouverte à tous les journalistes. L’AFP, de son côté, organise régulièrement des formations sur le reportage en zone de conflit avec le Centre national d’entraînement commando de l’armée ou avec le GIGN, mais aussi une session sur la couverture des manifestations en situation de « maintien de l’ordre dégradé » avec la gendarmerie ou une autre concernant les catastrophes naturelles avec les pompiers. « Ces formations permettent à des journalistes qui n’ont jamais couvert des zones de conflit de savoir s’ils sont prêts à y aller. C’est très précieux pour nous, cela nous évite des erreurs de casting », se félicite Jean-Marc Mojon.

Préparation minutieuse

Le pilotage des missions en zone dangereuse nécessite une préparation minutieuse en amont et un suivi quotidien par les responsables de la sécurité. À France Télévisions, les journalistes rencontrent systématiquement le médecin du travail avant et après tout reportage en zone de conflit pour prévenir les risques de stress traumatique.

Les reporters de guerre ne sont plus les seuls concernés. « Aujourd’hui, en matière de sécurité, nous ne pouvons plus nous contenter de ne considérer que les zones de conflit. Cela concerne aussi les manifestations qui peuvent dégénérer de façon violente ou les tournages dans les quartiers difficiles », constate Muriel Pleynet, directrice de la rédaction nationale de France Télévisions. « Le niveau d’hostilité et de violence envers les médias augmente », constate pour sa part Jean-Marc Mojon. Par conséquent, l’AFP et France Télévisions, comme la plupart des chaînes de télévision, font appel à des APR [agents de protection rapprochée] lors de manifestations qui risquent de se dégrader.

Risques psychosociaux

Les journalistes doivent aussi visionner des images sur les réseaux sociaux, parfois extrêmement violentes. « Les risques psychosociaux constituent aussi un risque majeur, estime Jean-Marc Mojon. On ne peut pas s’occuper de la sécurité physique des journalistes sans s’intéresser à leur santé mentale ». « Après les massacres du 7 octobre, les journalistes du desk vidéo de Nicosie [Chypre qui couvre le Moyen-Orient] ont dû regarder des dizaines d’heures de vidéo extrêmement violentes. Cela peut parfois être plus traumatique que ce que l’on voit sur le terrain », estime-t-il. À l’issue de l’attaque du Hamas, France Télévisions a aussi mis en place une cellule d’assistance psychologique pour les équipes qui ont « visionné une quantité importante d’images très violentes », explique Muriel Pleynet. BFMTV et TF1 ont aussi leur cellule psychologique.

La sécurité des journalistes n’est pas menacée que sur le terrain, elle l’est aussi dans le cyberespace. « Il y a un vrai travail à faire sur la cybersécurité, estime Jean-Marc Mojon. Ce n’est pas qu’une question de matériel et de réseau, mais c’est aussi et avant tout une question de comportements et de pratiques parfois risquées. »

Trois questions à Antoine Bernard, directeur Plaidoyer & Assistance de Reporters sans frontières

De quelle manière l'ONG agit-elle pour la sécurité des journalistes dans les pays en guerre ?

RSF intervient d’abord pour la prévention des risques inhérents à l’action en zone de conflit : formation à la sécurité physique et numérique, fourniture d’équipement, accompagnement psychologique. En 2023, nous avons ainsi formé 2000 journalistes dans 37 pays. Notre action de prévention va jusqu’à la fourniture de matériel de connexion satellitaire à des médias en cas de coupure du réseau internet. RSF agit aussi pour la protection des journalistes menacés ou réprimés en zone de conflit. En 2023, 460 journalistes ont bénéficié de bourses d’urgence dans 62 pays pour leur permettre de continuer à travailler, se mettre à l’abri ou fuir. Nous fournissons aussi un soutien multiforme pour sortir de prison les journalistes détenus. Et nous traquons les crimes contre les journalistes et saisissons la justice pour que leurs auteurs aient des comptes à rendre.

Qu’en est-il de la cybersécurité ?

La cybersécurité est une priorité majeure au quotidien pour se protéger des cyberattaques et de la cybersurveillance. Il en va de la sécurité des journalistes et de leurs sources. Le contournement de la cybercensure appelle aussi un effort permanent d’imagination comme avec notre solution Collateral Freedom de sites miroirs, qui permet de débloquer les sites web des médias censurés.

Quel est l’enjeu ?

C’est aussi celui de la lutte contre la désinformation et la propagande qui prospèrent dans un espace informationnel globalisé, désintermédié et chaotique. En 2024, avec des élections majeures dans 70 pays, et l’IA générative en plein essor, les risques pour l’intégrité de l’information sont maximaux.

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