Début de remise en ordre dans la téléconsultation médicale
Les entreprises permettant à des patients de consulter un médecin à distance vont devoir obtenir un agrément à partir de cette année prouvant qu'elles fournissent un service de qualité. De quoi leur conférer de la légitimité mais aussi bousculer des acteurs au modèle économique parfois fragile.
Les entreprises de téléconsultations s'apprêtent à entrer dans une nouvelle ère. D'ici à la fin de l'année, elles devront avoir décroché un agrément pour que leurs patients soient remboursés par la Sécurité sociale. Une étape importante pour ce tout jeune secteur qui se cherche encore une place dans le monde de la santé.
« On se donne toutes les garanties pour éviter des dérives », explique Jean-Pascal Piermé, président du LET, l'organisation représentant des entreprises de télémédecine. Par exemple, « il ne sera pas possible d'imposer aux médecins un nombre d'actes par heure, les sociétés ne pourront pas appartenir à des laboratoires pharmaceutiques ou fournisseurs de dispositifs médicaux ». Elles devront aussi être dotées d'un comité médical indépendant.
Comité médical indépendant
« Je pense que [cette réglementation] va donner une légitimité au secteur », estime Nathaniel Bern, cofondateur de l'entreprise de téléconsultation Medadom.
Permettant à des patients de consulter un médecin via une application ou en se rendant dans une cabine équipée d'appareils connectés, des sociétés de téléconsultation, comme Qare, Medadom, Livi, Tessan, se sont multipliées ces dernières années sur fond de pandémie et de déserts médicaux.
Critiques des syndicats de médecins libéraux
Faute d'encadrement spécifique, elles ont souvent opéré jusqu'à aujourd'hui en s'appuyant sur des centres de santé salariant des médecins. Une solution bancale puisque ces centres de santé sont censés proposer un accueil physique, ne peuvent pas être lucratifs et doivent réaliser maximum 20 % de leur activité à distance.
Même si les téléconsultations restent très marginales, les sociétés qui en proposent sont régulièrement critiquées par les responsables politiques et les syndicats de médecins libéraux. Ces derniers y voient une source potentielle de désorganisation du système de santé. Le secteur s'est aussi retrouvé dans le viseur du gouvernement soucieux d'éviter les arrêts de travail abusifs.
Un « far west » pour l'Assurance Maladie
Pour remettre de l'ordre dans ce que le directeur de l'Assurance Maladie, Thomas Fatôme, avait qualifié de « far west », le budget de la Sécurité sociale voté en 2022 a donc prévu de « clarifier les exigences » incombant aux sociétés de téléconsultation en leur demandant de se doter d'un statut ad hoc au début de 2024.
La mise en oeuvre de la réglementation a pris plus de temps que prévu. En ce début de janvier, les professionnels attendaient encore la publication d'un décret pour être fixés sur leurs nouvelles obligations, même s'ils en connaissent les grandes lignes. « Aujourd'hui la plupart des sociétés couvrent 80 à 85 % des obligations mais auront l'année pour respecter le cahier des charges », assure Jean-Pascal Piermé du LET.
Développements informatiques
Décrocher l'agrément a toutefois un coût pour les entreprises concernées. Notamment pour sécuriser les échanges entre les médecins et les patients. « On a dû revoir une grosse partie de notre feuille de route de développement informatique. Cela s'est traduit par une réorganisation et des recrutements », explique Maxime Leneylé, dirigeant de Tessan.
Le modèle de certaines entreprises devrait aussi être bousculé et les professionnels du secteur préviennent que certains acteurs pourraient disparaître. La nouvelle régulation suppose des investissements importants alors que les sociétés n'auront plus les aides obtenues par les centres de santé avec lesquels elles fonctionnaient jusque-là.
Par ailleurs, le secteur s'attend à ce qu'il soit plus difficile qu'auparavant de facturer des frais de service au client, en plus du prix de la consultation. « Si on veut faire de la qualité, cela a un coût et la seule manière d'équilibrer nos comptes, c'est de pouvoir percevoir ces frais de services », affirme Olivier Thierry, le patron de la société Qare. « C'est encore un modèle qui est tout juste à l'équilibre. Il ne faut pas qu'on nous mette trop de bâtons dans les roues », alerte Felix Motosso, directeur de Livi en France.
Solenn Poullennec