Par Laura Makary
Autrefois considéré comme une voie de garage, l’apprentissage a le vent en poupe. Porté par la réforme du dispositif en 2018 et les primes à l’embauche pour les entreprises, le nombre de contrats en alternance signés s’envole dans l’enseignement supérieur. La grande majorité des business schools, y compris les plus prestigieuses, proposent désormais cette possibilité à leurs élèves, parfois dès la première année. « L’apprentissage a enfin ses lettres de noblesse, se réjouit Denis Poulain, directeur du CFA de l’Essec, établissement pionnier dans ce domaine. La vision qu’en a la société a totalement changé. »
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Selon une étude de l’Ifop réalisée au printemps pour cette école, « plus de neuf étudiants sur dix estiment que les études en apprentissage ont autant, voire plus de valeur qu’un parcours académique classique ». Et ils le prouvent : près d’un jeune manager sur deux ayant répondu à la dernière enquête insertion de la Conférence des grandes écoles (CGE) a effectué une partie de ses études en alternance.
Une scolarité financée
Il faut dire que ce dispositif, conçu pour faciliter l’entrée dans le monde du travail, présente des avantages certains. Le premier concerne le financement des études : il revient aux opérateurs de compétences (Opco) de prendre en charge les frais de scolarité de l’apprenti. Or, selon une enquête publiée en septembre par Challenges, depuis 2010, ces droits ont augmenté de plus de 100 % dans certaines écoles comme l’emlyon et l’Edhec. Et une année coûte désormais plus de 20 000 euros en master à HEC. Face à cette flambée, l’alternance peut contribuer à l’ouverture sociale.
« C’est une voie qui permet à des étudiants parfois moins favorisés d’accéder aux grandes écoles, indique Laurence Flinois, directrice du centre des carrières de Montpellier Business School. Nous voyons régulièrement des jeunes qui n’auraient peut-être pas poursuivi leurs études ni choisi une école de commerce sans cela. »
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Dans cet établissement, tous les élèves en master suivent en alternance leur formation au management. « Cela allège clairement la facture pour les familles ou pour ceux qui n’ont pas d’autre choix que de faire un emprunt pour financer leurs études », confirme Killyan Sacadura, qui a réalisé ses deux dernières années à Paris School of Business en apprentissage. De 2021 à 2023, le jeune homme a ainsi réparti son temps entre les bancs de l’école et un poste de contrôleur de gestion au sein de l’entreprise d’avionique civile et militaire Safran Electronics & Defense.
Outre l’avantage financier, avec des frais de scolarité et un salaire mensuel payés par l’employeur, la formule sert aussi d’accélérateur pour entrer dans le monde du travail. Depuis la rentrée 2023, Killyan Sacadura a pu transformer son contrat d’apprentissage en CDI, toujours dans le groupe Safran. « Evidemment, il faut faire ses preuves, et je me suis beaucoup investi pendant ces deux années, souligne le jeune homme. Mais cela a payé puisque j’ai été recruté. »
« Etre tout de suite dans le concret »
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Une rampe de lancement assurément efficace : selon la CGE, plus d’un quart des apprentis des écoles de management sont embauchés par leur entreprise d’accueil après leur diplôme. Généralement, leur entrée dans la vie professionnelle se fait plus vite et avec des salaires plus élevés puisqu’ils peuvent faire valoir plusieurs années d’expérience, ce que les recruteurs apprécient.
Le choix de l’alternance signifie également la création d’un réseau professionnel plus riche, et ce avant même la fin des études. Evoluant déjà dans l’entreprise, l’apprenti peut y découvrir divers métiers, fréquenter les managers de différents services, nouant ainsi des relations utiles à sa carrière future. Le tout en étant encadré par un maître d’apprentissage, qui le guide régulièrement dans ses premiers pas au sein de la société pour l’aider à mettre en pratique sa formation académique.
Il s’agit d’ailleurs d’un autre point fort de ces cursus mixtes : la possibilité d’exercer sur le terrain ses compétences théoriques. Voilà précisément ce que cherchait Clothilde Fourdain, déjà diplômée d’un DUT Techniques de commercialisation et d’une licence pro en Management des activités commerciales. Elle a choisi le master Négociation et management des affaires de l’EMLV, à la Défense. « Le métier de commercial nécessite de la pratique et de l’expérience. J’avais envie de gagner du temps et d’être tout de suite dans le concret », se souvient-elle.
Au rythme de trois semaines par mois comme gestionnaire de compte dans une société de logiciels de service client, et d’une semaine à l’école. « C’était parfait, j’ai pu m’immerger dans l’entreprise tout en profitant de cours opérationnels et spécialisés », raconte la jeune femme. Après avoir obtenu son diplôme, elle a décroché un CDI dans son entreprise. Puis, au bout d’un an et demi, elle s’est orientée vers d’autres aventures, évoluant désormais dans le secteur de la cybersécurité. « J’ai été recrutée sur un poste plutôt senior, mon expérience en alternance a été largement valorisée. »
Un engagement exigeant
Pour autant, ce parcours s’avère-t-il forcément la solution idoine ? Pas toujours, car pour certains jeunes, l’investissement personnel est trop important. « Il s’agit d’un engagement qui n’est pas à prendre à la légère, met en garde Léa Fauvel, qui a effectué trois ans de programme en alternance à l’EM Normandie. En tant qu’étudiant, il faut être prêt à assurer sur le plan scolaire mais aussi dans sa vie professionnelle. L’entreprise n’est pas juste là pour payer les frais de scolarité. »
En effet, l’alternance implique un rythme plus soutenu, avec des journées de cours plus longues et moins de temps libre. Cela nécessite de la maturité de la part de l’élève. « Tout dépend de l’expérience que l’on veut vivre pendant ses années en école de commerce, juge Denis Poulain, de l’Essec. Si l’on souhaite en profiter pour faire la fête, partir longuement à l’étranger, s’investir dans une association – ce qui est tout à fait louable –, il ne faut pas choisir l’apprentissage. On aura moins de vacances et de temps libre que les autres étudiants. C’est une voie formidable, mais il faut avoir conscience de ces contraintes. »
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Aussi, avant de faire ce choix, il peut être utile d’échanger avec des apprentis de l’école visée afin de prendre la mesure du quotidien qui vous attend. Killyan Sacadura, par exemple, était vice-président du bureau des élèves de Paris School of Business. Il a dû mettre de côté cette implication dans la vie associative de son cursus. « Il ne faut pas vouloir trop en faire, car on a en effet moins de temps. Et il faut apprendre à bien s’organiser pour conserver un équilibre, aussi avec des moments pour soi et pour sa vie personnelle. » Même constat pour Clothide Fourdain : « Le rythme est soutenu. Mais c’est un bon indicateur de ce que l’on va vivre ensuite, une fois pleinement dans la vie professionnelle. » Et généralement, la transition se fait naturellement.