Les enseignants perplexes après les annonces d'Emmanuel Macron
Le chef de l'Etat a promis des cours de théâtre obligatoires au collège dès septembre, un renforcement en histoire de l'art mais aussi plus de sport, d'« instruction civique » ou de temps pour l'orientation. Enseignants et chefs d'établissement s'interrogent sur la faisabilité.
Va-t-on vers « une semaine de 35 heures » de cours pour les collégiens ? s'interroge, un brin agacée, Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT. Emmanuel Macron a annoncé, mardi soir, des cours de théâtre pour les collégiens. Ce sera « un passage obligé » dès la rentrée prochaine, a-t-il précisé. S'y ajouteront un renforcement en histoire de l'art (au collège et au lycée), plus de sport, plus de temps pour l'orientation et un doublement horaire de « l'instruction civique ».
Les annonces interrogent enseignants et chefs d'établissement, d'abord parce qu'elles sont assez paradoxales avec les propos de Gabriel Attal. Début décembre, alors qu'il était ministre de l'Education nationale, il avait appelé, non pas à faire plus, mais à recentrer les apprentissages des collégiens autour du français et des mathématiques, avec des groupes de niveau qui devaient se faire « à la place d'une partie des autres matières ».
« Sur quoi faut-il empiéter ? »
Les propos d'Emmanuel Macron soulèvent aussi la question de la faisabilité. Ces jours-ci, collèges et lycées sont en train de recevoir leurs dotations pour la rentrée prochaine, et par définition elles n'ont pas pris en compte les annonces du chef de l'Etat faites mardi soir. A la tête du principal syndicat de chefs d'établissement (SNPDEN), Bruno Bobkiewicz « ne sait pas comment » tout cela sera financé. « C'est assez hallucinant ! » grince-t-il.
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« Mettre à l'honneur le théâtre ou l'histoire des arts, on n'est pas contre, confie Arnaud Fabre, membre de l'Association des professeurs de lettres. Mais comment ? A quel rythme ? Pour quel volume horaire et sur quoi faut-il empiéter pour le faire ? Ce sont les questions qu'il faut se poser avant de faire des annonces. »
D'autant que, dans son collège de l'académie de Créteil, l'enseignant a vu arriver mardi des dotations qui « sont les mêmes que l'an dernier ». La question du financement va donc d'abord se poser pour la mise en place des groupes de niveau promis en décembre par Gabriel Attal. L'Association des professeurs de lettres - l'une des rares à être favorable à cette idée - redoute, faute de moyens, que des options de langues vivantes ou anciennes n'en pâtissent.
« Un décalage » avec les attentes des parents
« Ces groupes de niveau ne vont pas fonctionner aussi bien que ce que les parents d'élèves ont entendu, prédit Catherine Nave-Bekhti, et c'est ça le problème. Ce décalage entre la parole politique et la réalité est délétère. » Dans les couloirs du ministère de l'Education nationale, on entend déjà que le nombre de 15 élèves prévu dans les groupes de niveau ne serait pas impératif…
A moins d'une enveloppe supplémentaire pour financer ces annonces ? Dans l'entourage de la ministre Amélie Oudéa-Castéra, personne n'était en mesure de répondre à cette question. De quoi laisser planer le doute sur l'entrée en vigueur des mesures dévoilées par Emmanuel Macron. Quand on l'interroge sur la mise en place des cours de théâtre à la rentrée prochaine, Bruno Bobkiewicz glisse que les groupes de niveau risquent de « prendre toutes les heures » disponibles.
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Pour « l'instruction civique », la tentation pourrait être celle d'une réorganisation des contenus d'enseignement. « Faudra-t-il, au sein d'une même enveloppe, faire moins d'histoire-géographie et davantage d'instruction civique ? » se demande Anne Panvier, principale de collège dans l'académie de Versailles, affiliée au Sgen-CFDT. Pour cette cheffe d'établissement, « les moyens qui se profilent ne permettront pas d'intégrer les évolutions souhaitées par le président de la République. »
« Le doublement du volume horaire [d'instruction civique] doit faire l'objet d'une ligne budgétaire dédiée, insiste Christine Guimonnet, présidente de l'Association des professeurs d'histoire-géographie. Il est hors de question de prendre sur l'horaire d'histoire-géographie. » Mais l'association n'a « aucune information » sur cette promesse faite par l'ex-ministre Pap Ndiaye , en juin dernier. Un engagement qu'a rappelé Emmanuel Macron, mardi soir.
Marie-Christine Corbier