Elle a découpé ses gants de boxe pour les transformer en mitaines de choc. Pantalon de sport et brassière, elle semble rivée à sa roue Cyr, un immense cerceau de métal de près de 2 mètres de diamètre et pesant 15 kg qu’elle active dans tous les sens avec une telle évidence qu’on dirait qu’il fait partie d’elle-même. Sur le plateau du Triangle, à Rennes, Marica Marinoni se jette en vol plané dans le solo Lontano, cosigné avec Juan Ignacio Tula, et dompte sa roue comme une bête sauvage. « C’est une relation très crue, conflictuelle même que j’ai avec elle, s’exclame-t-elle. A mes débuts, il y a une dizaine d’années, j’avais peur de me balancer dedans, de chuter avec elle. Cette violence est le point de départ de mon travail, ainsi que l’urgence de montrer une féminité brute et engagée telle que je la vis chaque jour. »
Marica Marinoni, 28 ans, est l’une des rares femmes artistes de cirque experte en roue Cyr, cet agrès imaginé au début des années 1990 par l’acrobate canadien Daniel Cyr. « C’est une discipline majoritairement masculine lorsqu’on atteint un haut niveau professionnel, explique-t-elle. Lorsque, en 2014, je l’ai choisie, un mois seulement après mon entrée à l’école de cirque FLIC, à Turin, j’ai su immédiatement que c’était pour moi. J’ai senti un truc dans le ventre et j’ai suivi mon instinct. Sans compter que je ne voulais pas être dépendante d’un partenaire. » Quel pas de deux palpitant avec ce cercle si encombrant, si vivant aussi, qui occupe l’espace sans qu’on ait besoin de lui demander quoi que ce soit, en faisant un boucan incroyable. « Il faut trouver l’équilibre avec lui, entre osmose et détachement », résume-t-elle.
Voix claire, mélodie italienne en fond de gorge, Marica Marinoni, née à Milan, parle sur un ton ferme et tranquille de sa pratique et de sa recherche. Deux ans seulement après avoir été repérée en 2022, dans le cadre de Spring, manifestation à la pointe des arts de la piste, elle a été sélectionnée pour la prestigieuse compétition du Festival mondial du cirque de demain, les 26 et 27 janvier, au Cirque Phénix, à Paris (12e), et sera à l’affiche du 27 février au 3 mars au Théâtre du Rond-Point, à Paris (8e). « Au-delà de sa technique, son rapport à cet agrès incroyable qu’est la roue Cyr est celui d’un combat, où je retrouve l’engagement physique de la lutte politique et féministe des années 1970, qu’elle réincarne aujourd’hui et qu’il faut continuer à mener, s’enthousiasme Yveline Rapeau, directrice de Spring. Au centre de sa roue, elle rappelle que les femmes ne veulent pas être assignées, confinées dans un périmètre et son solo raconte métaphoriquement cette émancipation. »
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