Un drapeau de l’Organisation des Nations unies (ONU) flotte au-dessus de Londres, juste au bord de la Tamise. Le bâtiment austère sur lequel il est posé, à deux pas du palais de Westminster, abrite l’une des plus discrètes agences de l’institution mondiale. Longtemps, l’Organisation maritime internationale (OMI) s’est contentée d’harmoniser les normes et les règles en matière de sécurité maritime, jusqu’à ce que son rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique l’oblige à sortir de l’ombre. Elle est la seule à réguler un secteur qui est à l’origine de 3 % des émissions mondiales de CO2, soit presque autant que l’aérien ou que l’ensemble du continent africain.
Une tâche difficile, tant les navires – et les compagnies maritimes – règnent en maîtres des océans, y compris à l’OMI, où les maquettes de porte-conteneurs, vraquiers ou encore chimiquiers, toujours plus grands et plus puissants, encombrent le hall d’entrée.
Les navires suivent plus volontiers les lois de la mer que celles des nations. Les compagnies maritimes les plus mondialisées de la planète échappent à l’impôt minimum mondial et ne paient aucun impôt sur leurs profits, seulement sur le tonnage de leurs navires, ce qui leur permet de réaliser de belles économies. Et, surtout, le secteur ne figure nulle part dans l’accord de Paris de 2015 sur le changement climatique, et ses émissions n’apparaissent donc dans aucune des comptabilités nationales.
Ainsi, 98,9 % des géants des mers polluent, loin des regards et de l’attention médiatique, en utilisant un fioul qui est l’un des carburants les plus sales au monde, le résidu le plus lourd et le plus visqueux du pétrole raffiné, à peine plus épais que l’asphalte utilisé pour les routes. Si rien n’est entrepris, le transport maritime pourrait produire 17 % des émissions de carbone dans le monde d’ici à 2050. Mais toute nouvelle régulation pourrait freiner le développement de nations entières, car le transport maritime est aussi un rouage essentiel de la mondialisation, avec ses 100 000 navires de fret qui transportent 90 % des marchandises de la planète.
Incitations économiques
Si l’OMI est experte dans un domaine, c’est bien celui de se fixer des objectifs. Après s’être engagés en 2018 à réduire les émissions du secteur de moitié, d’ici à 2050, les 175 Etats membres de l’organisation ont relevé leurs ambitions en juillet 2023. Ils ont promis d’atteindre la neutralité carbone vers 2050 tout en précisant que ce but dépendrait des « différentes circonstances nationales ». Ils se sont surtout donné pour tâche… de remplir leurs objectifs, en détaillant, d’ici à 2025, un plan d’action pour réduire les émissions, le pari le plus délicat. « Il y a d’abord les solutions techniques, détaille le Panaméen Arsenio Dominguez, secrétaire général de l’OMI. Nous voulons, par exemple, de nouvelles normes sur les combustibles pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. »
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