Série

Les Français par eux-mêmes

Épisode 52/64

Des piles d’assiettes qui s’entrechoquent, le bruit sourd d’une machine à café où coule un expresso et des rires aux éclats, une ambiance de fin de service s’échappe de l’arrière-salle du restaurant Pouliche, rue d’Enghien, dans le 10e arrondissement de Paris. « Ah en cuisine, ça vanne, sourit la cheffe Amandine Chaignot. De l’énergie et l’envie de travailler ensemble, voilà comment j’imagine mes restaurants ! ».

Avec sa veste de cuisine sur mesure sur les épaules, sa queue-de-cheval blonde et son sérieux dans les yeux, la cheffe de 44 ans dirige aujourd’hui trois restaurants dans la capitale : Pouliche, Café de Luce et Rosy Maria. La recette de son succès ? Saisir les occasions. Pour cette native de l’Essonne, tout commence par un job dans une pizzeria, une alternative à l’ennui de ses études de pharmacie. L’ambiance lui plaît, tout s’accélère. CAP en cuisine à l’école Ferrandi, victoire du Bocuse d’Or en 2000 avec le chef François Adamski et cerise sur le gâteau, accolade du médiatique chef Joël Robuchon pour la féliciter. De quoi lui donner confiance en sa bonne étoile et façonner une cuisinière friande de bons produits et de projets. Le dernier à s’être présenté ? Devenir cheffe du village Olympique de Paris 2024.. « Pas une seconde je me suis imaginée refuser ! »

La Croix L’Hebdo : Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ?

Amandine Chaignot : L’énergie qui se dégage d’un restaurant, l’envie de retrouver mes équipes, de revoir un client habitué, de sentir les produits frais et d’imaginer ce que je vais pouvoir cuisiner avec tous ces aliments de qualité. La cuisine est un milieu où l’esprit de corps est très présent, mais cette culture collective se construit pas à pas. Une cheffe doit savoir valoriser les compétences, manager les sensibilités, canaliser ou libérer les énergies : le quotidien est un challenge constant.

Justement, au quotidien, ça se passe comment ?

A. C. : C’est bien simple, la routine n’existe pas. Voilà pourquoi j’adore ce travail. Au-delà d’être une activité vitale, l’alimentation est fondamentalement sociale et en tant que cheffe cuisinière et femme friande de projet, mes journées varient du tout au tout. Outre le fait de me rendre quotidiennement dans mes restaurants parisiens, j’ai également eu l’occasion d’animer des séances d’éducation au goût dans des écoles, de dessiner sur mesure une veste de cuisine qui me convienne, de penser des menus qui puissent être servis à 10 000 mètres d’altitude par des compagnies de restauration aérienne comme Servair, d’imaginer des buffets pour la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de Rugby 2023 ou encore de devenir marraine de la semaine de la dénutrition. Difficile de s’ennuyer avec tout ça.

À vrai dire, je n’aurais jamais pensé que de telles opportunités puissent se présenter à moi. Même si cela peut paraître candide, je trouve mon quotidien tout bonnement extraordinaire ! C’est pourquoi je demeure plus que jamais avide de projets, de rencontres et d’expériences. Je pense que ce message peut-être galvanisant pour les jeunes : la restauration peut ouvrir des portes formidables et la cuisine peut devenir un véritable ascenseur social. Pour cela, il suffit de s’armer de son tablier, de son couteau, de son sérieux et de sa curiosité.

En qui avez-vous confiance ?

A. C. : J’ai confiance en l’humain. Je sais que cette réponse peut paraître « cliché » mais c’est bien sur les gens qui m’entourent que repose le succès de mes activités. Je ne pourrais pas réaliser tout cela si je n’étais pas accompagnée de superbes équipes et de gens passionnés, comme cette tête de pioche derrière le comptoir ! (Elle rit et pointe du doigt Lionel, le directeur adjoint du restaurant Pouliche, dans le Xe arrondissement de Paris.) Prenons l’exemple d’Hatouma, l’actuelle chef du restaurant Pouliche : elle est là depuis l’ouverture il y a près de cinq ans et a débuté en contrat d’apprentissage. Son parcours est l’une de mes plus grandes fiertés, car transmettre des savoir-faire puis constater que les gens se sentent bien dans leur travail, évoluent, et décident de rester dans l’aventure, a quelque chose de très gratifiant.

Qu’est-ce qui vous changerait la vie ?

A. C. : Des journées de 36 heures ! Les jours sont bien trop courts pour que je puisse m’adonner à tout ce que j’aimerais faire : travailler dans mes restaurants, voir les gens que j’aime, pratiquer un sport, lire, me trouver de nouvelles passions. Cela dit, impossible pour moi de raccourcir mes nuits, car la restauration est trop exigeante sur le plan mental et physique. Je suis une grosse dormeuse, mon sommeil est un sanctuaire que je protège beaucoup. Je sais à quel point en manquer influe sur mon humeur.

Lors des Jeux olympiques de Paris 2024, vous ferez partie du trio de chefs en charge de nourrir les athlètes au village olympique. Que ressentez-vous, à quelques mois du début de l’événement ?

A. C. : Le Jour J me paraît encore loin, mais j’ai évidemment hâte de prendre part à cet événement planétaire. Il faut se rendre compte : durant quinze jours, dans le cadre splendide de la nef de la Cité du cinéma, 15 000 athlètes venus du monde entier vont manger ce que nous allons préparer tous les trois, avec Alexandre Mazzia et Akrame Benallal. Le défi est de taille et les exigences de nutrition sont nombreuses, car il est évident qu’un sprinteur, un coureur de fond et un lanceur de marteau n’ont pas les mêmes dépenses énergétiques et s’astreignent à des régimes alimentaires différents. Toutefois, avec toutes ces restrictions, les athlètes peuvent parfois s’ennuyer sur le plan gustatif… Les Jeux vont être une expérience humaine incroyable dans leur vie et nous, nous allons tenter d’en faire aussi une aventure culinaire, tant pour qu’ils découvrent de nouvelles saveurs, que pour porter haut le savoir-faire français. Je ne suis pas une grande fan de sport et de compétition en général, en revanche, l’olympisme est porteur d’universalité et de fraternité, deux valeurs très présentes dans la cuisine. Autour d’une table, nous sommes tous égaux et réunis dans un moment de partage par excellence.