Education

Financement de l’école privée : opacité, laxisme et dérives

8 min

L’enseignement privé sous contrat tire la majeure partie de ses financements de l’Etat et des collectivités, via un système peu transparent et peu contrôlé.

Certes, on le savait : l’enseignement privé est aux trois quarts financé par de l’argent public. L’affaire Oudéa-Castéra aura toutefois rappelé les problèmes de justice sociale que cela pose, mais aussi soulevé le fait que ce financement est entouré de vastes zones d’ombre.

Le fonctionnement de l’enseignement privé sous contrat, catholique pour l’essentiel (96 % des établissements), repose sur trois financeurs : l’Etat, les collectivités locales et les familles. Pour autant, il n’existe aucune donnée permettant d’identifier le montant exact d’argent public que touche le privé. Après avoir réalisé une quarantaine d’auditions, le député le député Paul Vannier (LFI), corapporteur d’une mission parlementaire en cours sur le financement de l’école privée, estime que celui-ci « varie entre 12 et 13 milliards d’euros »… 

Certes, on le savait : l’enseignement privé est aux trois quarts financé par de l’argent public. L’affaire Oudéa-Castéra aura toutefois rappelé les problèmes de justice sociale que cela pose, mais aussi soulevé le fait que ce financement est entouré de vastes zones d’ombre.

Le fonctionnement de l’enseignement privé sous contrat, catholique pour l’essentiel (96 % des établissements), repose sur trois financeurs : l’Etat, les collectivités locales et les familles. Pour autant, il n’existe aucune donnée permettant d’identifier le montant exact d’argent public que touche le privé. Après avoir réalisé une quarantaine d’auditions, le député le député Paul Vannier (LFI), corapporteur d’une mission parlementaire en cours sur le financement de l’école privée, estime que celui-ci « varie entre 12 et 13 milliards d’euros ».

Les financements de l’Etat, eux, sont précisément connus : ils s’élevaient à 8,42 milliards d’euros en 2023, et 8,98 milliards pour 2024 (selon le projet de loi de finances), soit presque autant que le budget total du ministère de la Justice. L’enveloppe sert dans sa quasi-totalité aux rémunérations des 142 000 enseignants de l’école dite libre.

S’y ajoutent les sommes versées par les collectivités territoriales. Ces dernières doivent, selon les principes posés par la Loi Debré (1959), financer à parité établissements privés et publics. Deux forfaits obligatoires existent : le fonds communal pour le premier degré, et le forfait d’externat pour le second degré versé par les départements (collèges) et les régions (lycées). Ces deux forfaits financent l’entretien des locaux ou le chauffage, ainsi que les rémunérations des personnels non-enseignants.

Facture alourdie pour les communes

Pour les communes, la facture s’est alourdie avec l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans, contre 6 auparavant. Une nouvelle dépense d’autant plus lourde qu’elles n’ont pas nécessairement la visibilité sur l’usage que les écoles privées font de ce forfait.

Supposons qu’une municipalité ait choisi de faire un effort spécifique sur les écoles maternelles en rémunérant par un forfait plus élevé une Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles, qui secondent les enseignants dans l’accueil et l’encadrement des enfants) par classe, au-delà de ce qu’impose la législation : elle doit verser le même forfait revalorisé aux écoles maternelles privées, mais sans savoir si ces écoles s’en serviront bien pour mettre eux aussi une Atsem dans chaque classe… ou faire toute autre chose de cette manne !

Malgré un financement public à hauteur de 73 % de leur budget, le contrôle du bon usage de cet argent par les établissements sous contrat ne fonctionne pas, martelait l’an dernier la Cour des comptes dans un rapport cinglant

Autre boîte noire : le coût réel par élève, qui sert de base au calcul du montant des forfaits. A Paris, en 2021, celui-ci s’élevait à environ 1 109 euros pour un élève de maternelle, et 954 pour l’élémentaire. A Marseille, c’était respectivement 1 507 euros et 721 euros. Dans la cité phocéenne, le collectif des écoles de Marseille, qui réunit des parents en lutte contre « l’abandon des écoles publiques au profit des écoles privées », dénonce de longue date l’opacité du financement de l’enseignement privé, et la manière dont est calculé ce forfait municipal.

A la suite d’une victoire au tribunal administratif, en 2022, la mairie de Marseille a été contrainte de revoir son calcul et de le détailler. Résultat : les parents ont fait économiser un million d’euros par an à la ville. Selon eux, la municipalité pourrait aller plus loin, en calculant au plus près les dépenses exclusivement dédiées au temps pédagogique, et ainsi économiser quatre autres millions.

« Il est extrêmement compliqué de déterminer quelle part du salaire des agents doit être incluse dans ce fonds communal, souligne Cécile, membre du collectif. A Marseille, les Atsem, par exemple, ne sont pas 100 % du temps en classe : une partie de leur temps de travail est consacrée au ménage. Tout ça rend très difficile de déterminer ce que coûte réellement l’école publique à la municipalité. Cette difficulté ouvre des brèches pour surévaluer ce qui est versé au public, et ainsi avantager le privé dans un but électoral. »

Des régions et des parents très généreux

A ces forfaits obligatoires s’ajoutent les subventions facultatives que les régions peuvent verser aux lycées. Encadrées par la loi Falloux de 1850, elles ne peuvent dépasser 10 % du budget de l’établissement hors financements publics. « On voit qu’en fonction des couleurs politiques des exécutifs locaux, certains financent beaucoup, et même de plus en plus », détaille Paul Vannier, qui indique par exemple « une hausse de 450 % en Ile-de-France » depuis 2016.

Et d’interpeller : « Qu’adviendrait-il si ce patrimoine subventionné était valorisé à l’occasion d’une vente ? Cet argent public atterrira dans les poches d’une entreprise privée ou d’une association, et donc d’intérêts privés ! »

Enfin, la contribution des parents s’élève à 22 %, pour des montants moyens autour de plusieurs centaines d’euros (entre 300 et 600 euros annuels dans le primaire à Paris), avec toutefois des variations considérables. Comptez 2 500 euros l’année au lycée Stanislas, et jusqu’à 8 500 euros à Jeannine-Manuel, l’école qui affiche l’indice de position sociale (IPS) le plus élevé de Paris (voir aussi la cartographie des 6 973 collèges français).

Une somme rondelette, d’autant que viennent s’y greffer des frais annexes, telles que les certifications en langues, les sorties ou la contribution obligatoire à l’association des parents d’élèves. En parallèle, les établissements peuvent bénéficier de dons déductibles d’impôts.

Des contrôles notoirement insuffisants

Malgré un financement public à hauteur de 73 % de leur budget, le contrôle du bon usage de cet argent (ainsi que des contributions demandées aux familles) par les établissements sous contrat ne fonctionne pas, martelait l’an dernier la Cour des comptes dans un rapport cinglant. Qu’il s’agisse de la transmission des comptes ou de leur vérification, les règles en vigueur « ne sont ni connues, ni a fortiori appliquées par les différentes parties prenantes », constataient les inspecteurs.

Sur le plan pédagogique, ces derniers relevaient que « dans les collèges ou les lycées, personne n’est chargé de vérifier globalement le projet éducatif de l’établissement en lien avec les priorités éducatives nationales », même si quelques rares inspections individuelles sont menées.

« Dans mon collège, une journée pédagogique a été utilisée pour un temps de réflexion autour de l’éducation et de la religion » – Laëtitia, enseignante en Bretagne

Les autorités compétentes se donnent par ailleurs rarement la peine de « vérifier qu’un professeur rémunéré par l’Etat n’enseigne pas sur son temps de service à des élèves qui sont scolarisés dans une classe hors contrat, que les emplois du temps des élèves respectent les termes du contrat, ou bien que les heures d’enseignement payées aux chefs d’établissement soient bien réalisées ».

Dans ces conditions, « rien ne permet de conclure que les fonds publics sont correctement dépensés dans les établissements », juge la Cour des comptes. Comment, alors, ne pas imaginer que des fraudes échappent à la vigilance des autorités ?

Combien d’heures détournées ?

Les cas de détournement d’heures dans l’enseignement privé, Laëtitia, enseignante en Bretagne, les connaît bien : « Dans mon collège, des heures consacrées à des activités de jardinage ont été prises sur les heures d’enseignement, et une journée pédagogique a été utilisée pour un temps de réflexion autour de l’éducation et de la religion. » Elle a récemment rejoint le collectif Stop souffrances établissements catholiques, créé par des parents d’élèves de l’institution Jeanne d’Arc, à Montrouge (Hauts de Seine) pour dénoncer les dérives qui se déroulent en leur sein. Même son de cloche du côté de Lucie, enseignante dans un lycée privé francilien :

« Il y a une vraie question sur la façon dont les chefs d’établissement utilisent la dotation horaire du rectorat. Les profs de théâtre, latin, cinéma, arts plastiques n’ont pas leur nombre d’heures : pour une option au lycée, ils devraient dispenser trois heures par semaine. Or ils n’en dispensent que deux. Qui récupère les dotations de ces heures attribuées par le rectorat ? »

Au lycée Jeanne-d’Arc, sur la base du volontariat, les élèves de première partent en pèlerinage à Lourdes durant une semaine. « Au total, ce sont cinq jours de cours qui sautent, y compris pour le tiers d’élèves qui n’y participe pas », témoigne une enseignante.

Face à ce constat, des voix s’élèvent pour limiter cette dépense, ou a minima la conditionner au respect de critères contenus dans le contrat liant l’Etat à ces établissements. En avril 2023, le sénateur PCF Pierre Ouzoulias a déposé une proposition de loi pour « autoriser la puissance publique à conditionner les subventions accordées aux établissements privés sous contrat à des critères de mixité sociale et scolaire ». Elle devrait être présentée en mars.

À la une

Commentaires (15)
David Erlich 01/02/2024
on oublie de demander clairement pourquoi les parents mettent les enfants dans le privé. Alors que j ai fait toutes mes études dans le public, j ai été désespéré par les absences répétées au collège public de certains enseignants, et le manque d engagement d autres. et c est la mort dans l âme que j ai mis mes enfants dans des lycées privés catholiques dans lequel je ne me reconnais absolument pas.
René 31/01/2024
Extrait du rapport de la CC : Les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 40,2 % en 2021 et les élèves de milieux favorisés ou très favorisés sont désormais majoritaires dans ce secteur (55,4 % en 2021) pour 32,3 % des élèves du public. La part des élèves boursiers s’élevait à 11,8 % des effectifs en 2021 dans le privé sous contrat, contre 29,1 % dans le public. Cf graphique publié par AE
David Erlich 01/02/2024
la question à laquelle il faut répondre c est pourquoi cette tendance ? pourquoi cette ruée vers l enseignement privé (dont la plupart sont accessibles même aux classes moyennes supérieures-1000 euros de frais de scolarité annuels)
René 03/02/2024
La réponse est connue. Laissez se dégrader l'enseignement public, l'attrait pour la fonction d'enseignant dans ces établissements, ne rien faire pour organiser la mixité sociale et en particulier dans le privé (alors qu'il est avéré que ce pédagogiquement favorable pour tous). Et d'une façon plus générale, impulser une approche de l'éducation comme celle d'un service marchand en plaçant les citoyens comme des consommateurs. Au final, laisser s'accroitre les inégalités...
ALAIN 31/01/2024
A Marseille à le réaménagement des quartiers Nord par Euromed au lieu de créer un collège public on va construire un collège privé comme cela pas de mélange avec la population locale Un problème c'est la mixité sociale, l'ancien ministre avait soulevé le problème mais rien ne sera fait avec ce gouvernement
MARC M. 31/01/2024
La dimension la plus importante de la question scolaire n'apparaît pas dans l'article : la géographie. Comparer le Morbihan, le 93 et la Haute Vienne n'a aucun sens. Naguère, dans de nombreuses communes (en Bretagne notamment), la règle locale (strictement respectée par les conseils municipaux) était un équilibre (50/50) entre privé et public dans l'enseignement général. Et la prédominance du privé dans les filières techniques était reconnue par tous. Qu"en est-il en 2024 ?
NICOLAS REGAL 30/01/2024
enfin la grande majorité des ecoles privees sous contrat sont des associations, gérées par des bénévoles (OGEC). Aucun bénéfice n’est réalisé ou versé à des actionnaires, tout va aux enfants et au personnel. Et les comptes sont déposés en préfecture.
NICOLAS REGAL 30/01/2024
rappelons aussi que si les parents scolarisant leurs enfants dans le public financent par leurs impôts aussi en partie le privé, l’inverse est vrai et dans une plus large proportion. Les parents des enfants du privé financent l’enseignement privé en direct et pour une large part l’enseignement public par leurs impots.
René 31/01/2024
L’OGEC fait de la publicité (texte d’ailleurs ambigu car incitant en même temps que mettant en garde en cas de contrôle fiscal) autour des dons défiscalisables que peuvent faire à son profit particuliers comme entreprises. Elle spécifie aussi que les dépenses des membres des associations peuvent être déduites dans ce cadre.Un bénévolat financé là aussi par le budget de l’État mais qui n’est pas quantifié et qui s’ajoute comme dépenses fiscales au profit de l’enseignement privé.
NICOLAS REGAL 30/01/2024
le gueguerre entre enseignement public et privé manque sa cible. La vraie question defond est pourquoi l’enseignement public a une performance publique aussi mediocre, rapporté à son budget. Si le public récupérait le budget consacré aujourd’hui au privé…il devrait aussi prendre en charge tous les élèves correspondants, donc les moyens par élève changeraient peu. Il faut améliorer l’efficience et l’efficacité du public, avant de vouloir condamner le privé par dogmatisme
Elegehesse 04/02/2024
Bonne réponse ! Le privé coûte moins cher à l'état que le public ! L'état en faillite et emprunteur endémique est incapable de supprimer le privé et d'accueillir les élèves du privé. Mais comme le privé n'est pas significativement meilleur (à populations similaires) que le public, le problème de fond, c'est l'inefficacité de l'Éducation Nationale Jacobine. La solution républicaine est d'Associativer les établissements et de donner le bon chèque éducation aux parents, libres de choisir.
jean 30/01/2024
aucune transparence sur les compensations dues par l'Etat aux communes, suite à l'obligation de scolarité des 3 ans
ALICE 30/01/2024
Et voilà le marronnier est relancé! Toujours la même suspicion au sujet des supposés fonds détournés par l’enseignement privé. C’est exaspérant quand les associations qui gèrent le privé galèrent à maintenir l’équilibre et assurer les investissements… Oui il y a très certainement des pb, mais est-ce la cause du marasme de l’école publique ? Non. Le marasme c’est le manque de prof expérimentés et bien rémunérés partout et surtout en zone prioritaire. Oui je suis prof dans le privé (pro&techno)
Xavier Molénat 30/01/2024

La source principale des critiques, c’est la Cour des Comptes ! Lisez le rapport, c’est édifiant.

Jean-Patrice Hérault 30/01/2024
Si le fond est vrai sur un manque de contrôle de l'Etat (qui se constate dans tous les domaines et pas seulement dans l'application des contrats de participation au service public de l'enseignement), les sources apparaissent assez partiales (LFI et PC). Quel est le point de vue des autres courants politiques ?
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