En juin 2023, le jeune chef lillois Lucas Tricot a eu une désagréable surprise. La facture mensuelle d’électricité de son restaurant Suzanne, en augmentation stable depuis plusieurs mois, est soudain passée de 1 500 à 3 500 euros. « Entre ça et la hausse du prix des produits, mes bénéfices ont fondu à 2 000 euros mensuels. Et le moindre imprévu devient dramatique. » Lucas Tricot n’est pas le seul cuisinier à se retrouver dans cette situation délicate. « Entre l’énergie et les matières premières, les coûts ont augmenté de 30 % environ entre la fin du Covid [la réouverture des restaurants post-confinement en juin 2021] et maintenant », estime Alexandre Mazzia, chef trois étoiles du restaurant AM à Marseille, qui s’est vu proposer des haricots verts à 44 euros le kilo. « Tout a augmenté, sauf mes bénéfices », résume-t-il avec un sourire.
A Paris ou en province, étoilés ou non, tous les restaurants doivent gérer un budget plus serré. Mais certains trouvent le moyen de ne pas faire flamber l’addition, sans pour autant renoncer à leurs ambitions gastronomiques. Chez eux, le prix du menu ou de la carte a un peu augmenté, mais ne reflète pas la hausse des coûts côté restaurateur : par exemple, Lucas Tricot a fait passer son menu de 45 à 54 euros et l’a étoffé avec des amuse-bouches ; chez Alexandre Mazzia, les prix sont restés stables pour tous les menus à l’exception du plus fourni qui a pris 15 % (435 euros).
La première des solutions consiste à se passer de certains produits dont les prix ont trop flambé. Ont disparu des cartes ceux qui ne sont pas essentiels au goût ou auxquels d’autres peuvent se substituer. Ainsi, Bruno Aubin, chef du restaurant Cléo de l’hôtel Le Narcisse Blanc, près de la tour Eiffel, à Paris, a renoncé aux jeunes pousses « vendues 5 euros la barquette, et qui fanent très vite » ; tandis que Ecaterina Paraschiv, qui tient le restaurant balkanique Ibrik Kitchen, à Paris, a fait une croix sur la truffe fraîche (elle ne l’utilise plus qu’en huile infusée) et les agrumes, qu’elle remplace par de l’oseille dans ses gâteaux (« on retrouve la même acidité », assure-t-elle).
Contrairement à ce qu’on pourrait supposer, le caviar n’est pas forcément écarté car son prix est resté stable, et il présente l’avantage qu’il n’y a pas de pertes ni de ratés à la cuisson. En revanche, tous les cuisiniers interrogés évoquent l’inflation délirante qui a touché les poissons les plus délicats, comme le turbot ou le saint-pierre. « Ils sont devenus inaccessibles pour nous, même dans nos rêves les plus fous », se désole Lucas Tricot, qui s’est tourné vers le cabillaud et le lieu jaune.
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