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Chronique

Désindustrialisation : l'enseignement supérieur au secours de l'emploi

La part de diplômés d'études supérieures est devenue un facteur essentiel de la croissance de l'emploi lors de la phase de désindustrialisation de nombreuses villes à travers le monde, souligne Pierre Cahuc.

« Dans la phase de désindustrialisation, la part de diplômés d'études supérieures est devenue un facteur essentiel de la croissance de l'emploi. »
« Dans la phase de désindustrialisation, la part de diplômés d'études supérieures est devenue un facteur essentiel de la croissance de l'emploi. » (Franck Crusiaux/REA)

Par Pierre Cahuc (professeur d'économie à Science Po)

Publié le 5 févr. 2024 à 18:30

Depuis 2017, la France déploie une impressionnante panoplie de programmes pour se réindustrialiser : investissement dans les « territoires d'industrie » pour revitaliser des zones industrielles ; « France 2030 » pour soutenir l'innovation et le développement industriel dans des secteurs clés comme les technologies vertes, la santé et l'énergie ; accompagnement à l'export pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire ; accompagnement des transitions pour favoriser une réindustrialisation durable...

En mai dernier, le président de la République a réuni les acteurs de l'industrie française à l'Elysée pour discuter de la stratégie d'accélération de la réindustrialisation.

Déclin du secteur manufacturier

Au cours des dernières décennies, le déclin du secteur manufacturier a touché tous les pays industrialisés. Comme la production manufacturière est spatialement concentrée, les régions les plus industrialisées au début du déclin, dans les années 1970-1980, comme la Lorraine, les Hauts-de-France ou l'Alsace ont particulièrement souffert. Elles en subissent encore des séquelles.

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La Rust Belt aux Etats-Unis, le nord de l'Angleterre et la vallée de la Ruhr en Allemagne, déclinent depuis des décennies. D'anciens centres industriels comme Detroit aux Etats-Unis, Liverpool au Royaume-Uni et Duisbourg en Allemagne sont devenus le symbole de la désindustrialisation. Ce n'est pas faute d'avoir déversé des sommes colossales pour soutenir ces régions.

Mécanisme de désindustrialisation

Le travail récent de Luisa Gagliardi, Enrico Moretti et Michel Serafinelli* apporte un éclairage intéressant sur le mécanisme de désindustrialisation et sur les moyens d'en sortir. Leur examen de l'évolution de l'emploi dans 1993 villes situées en France, en Allemagne, en Italie, au Japon, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis montre que certaines régions industrialisées dans les années 1970-1980 s'en tirent beaucoup mieux que d'autres.

Certes, l'emploi baisse plus en moyenne dans les villes les plus industrialisées dans les années 1970-1980, et ce, malgré les efforts des pouvoirs publics. Mais l'emploi y a crû à un rythme supérieur à celui de leur pays dans un tiers d'entre elles depuis le début de la désindustrialisation.

Pourtant, les villes les plus créatrices d'emploi n'en créaient pas plus que les autres pendant l'âge d'or de l'industrie. Leur meilleure performance durant la désindustrialisation provient de leur plus forte proportion de diplômés de l'enseignement supérieur. Un supplément de 1 % de travailleurs diplômés du supérieur au début de la désindustrialisation se traduit ensuite par un supplément de croissance de l'emploi de près de 3 % par décennie.

Nature de l'emploi

Cette divergence provient d'un changement dans la nature de l'emploi. Pendant la période d'expansion de l'emploi manufacturier, la part de diplômés d'études supérieures n'était pas un moteur important de la croissance de l'emploi, car les usines de l'époque n'utilisaient pas intensivement une main-d'oeuvre très qualifiée.

En revanche, dans la phase de désindustrialisation, la part de diplômés d'études supérieures est devenue un facteur essentiel de la croissance de l'emploi. Dans les villes avec une forte proportion initiale de diplômés du supérieur, la perte d'emplois manufacturiers a été plus que compensée par des gains dans d'autres secteurs, parce que les compétences des diplômés du supérieur sont devenues particulièrement attrayantes pour les employeurs de tous les secteurs.

En fin de compte, aujourd'hui, il semble que le meilleur moyen de créer des emplois bien rémunérés, pas nécessairement dans l'industrie, est de développer l'enseignement supérieur. Un résultat à méditer.

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Pierre Cahucest professeur d'économie à Sciences Po.

* « The World's Rust Belts: The Heterogeneous Effects of Deindustrialization on 1,993 Cities in Six Countries », de Luisa Gagliardi, Enrico Moretti, and Michel Serafinelli. IZA discussion paper no 16.648.

Pierre Cahuc

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