A la tête du ministère de l’éducation nationale, on a coutume d’évoquer la scolarisation des enfants en situation de handicap en saluant un « saut quantitatif ». Les courbes d’effectifs attestent en effet de progrès considérables depuis la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, d’où est né le principe de l’« école inclusive ». Un peu moins de 134 000 enfants handicapés étaient accueillis en milieu dit « ordinaire » en 2004 ; ils étaient plus de 436 000 en 2022. Depuis 2017, et la première élection d’Emmanuel Macron, leur nombre a crû de 35 %.
Avant son départ de la Rue de Grenelle pour rejoindre Matignon, début janvier, Gabriel Attal a néanmoins plusieurs fois concédé qu’il était désormais nécessaire « d’avancer vers du qualitatif ». Une expression qui relève presque de l’euphémisme aux yeux du personnel éducatif et des associations de familles, dont les alertes se font de plus en plus pressantes sur un système « qui atteint ses limites ».
D’un côté, les familles rappellent que de nombreux enfants handicapés recensés comme scolarisés ne le sont pas à temps plein, et que certains n’ont pas accès du tout à l’éducation – le ministère dit en ignorer l’effectif ; la jeune association Ambition école inclusive les estime à 200 000. De l’autre, « un véritable cri s’élève de la part des personnels » de l’éducation nationale au sujet de l’inclusion, prévenaient, en octobre 2023, Benjamin Moignard et Eric Debarbieux, auteurs de l’enquête sur le climat scolaire dans le premier degré. Près des trois quarts du personnel s’y disaient confrontés à des difficultés « fréquentes », voire « très fréquentes », avec des enfants « gravement perturbés » ou « présentant des troubles du comportement », soit deux fois plus qu’en 2011.
« Enseignants démunis »
A tel point que le Snudi-FO, syndicat minoritaire du premier degré, a appelé à la grève, le 25 janvier, contre l’« inclusion systématique et forcée » des élèves en situation de handicap en « milieu ordinaire ». Ce mot d’ordre, inédit, a indigné de nombreuses associations et n’a pas été repris par les autres organisations syndicales. Il est toutefois révélateur d’un désarroi dont tous les représentants des enseignants se font l’écho : la dénonciation de l’« école inclusive sans moyens » faisait partie des motifs de la grève intersyndicale du 1er février.
« Les enseignants sont démunis face à certains troubles, notamment du neurodéveloppement, qui ne relèvent pas de nos compétences pédagogiques. C’est devenu l’une des principales causes de souffrance au travail », s’alarme Guislaine David, à la tête du premier syndicat du primaire, le SNUipp-FSU, soulignant la hausse des situations signalées dans les registres santé et sécurité au travail. Elle s’inquiète désormais que les « tensions résultant du manque de moyens » n’alimentent un rejet du principe même de l’inclusion – il a été attaqué, en 2022, par le candidat Reconquête ! à l’élection présidentielle Eric Zemmour.
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