«C’est un mâle. Vas-y, pèse le maintenant», lance Alex à Théo, en lui tendant un agneau né le matin même. Reste à désinfecter son cordon ombilical et «clic», le boucler, c’est-à-dire lui accrocher une étiquette d’identification sur l’oreille, et le tour est joué. Alex et Théo ne sont pas encore tout à fait des professionnels. À seulement 16 ans, en première pro polyculture-élevage, les deux garçons se préparent à devenir de futurs responsables d’élevages bovins, ovins ou équins ou responsables de culture. Depuis la seconde, ils suivent leur formation au lycée agricole et viticole de Crézancy, au sud de l’Aisne.

Dans ce village picard de 1200 habitants situé à seulement 10 km de Château-Thierry, les tracteurs circulent entre les champs, les vignes et les granges. Depuis 1892, le lycée agricole et viticole s’étend sur 130 hectares. Les 183 lycéens et étudiants en BTS, ainsi que les 150 apprentis, souvent originaires de l’Aisne voire de Seine-et-Marne, évoluent sur une véritable exploitation agricole. Idéal pour apprendre la pratique, en plus de la théorie dispensée en salle de classe. Tous les élèves s’entraînent à conduire des engins agricoles dans la cour de la ferme, auprès de leur enseignant Mathieu Daullé, qui aime se présenter comme «prof de tracteurs». Trois chevaux, 40 vaches et 350 moutons accompagnent au quotidien les élèves et étudiants. «Ici, ils sont chouchoutés !», partage Yoan, un élève de première pro, qui a développé son propre potager bio au lycée.

Cassy a appris à conduire et manœuvrer un tracteur au lycée agricole.Emma Ferrand / Le Figaro

Transmission et fierté

Depuis 44 ans, Serge Moroy, forme les éleveurs de demain à Crézancy. Professeur de zootechnie, il prépare ses élèves à travailler auprès des bovins. À traire les vaches, dont le lait est ensuite récupéré par une coopérative, mais pas seulement. Dans un box, l’enseignant revoit avec Yoan les bons gestes pour attraper un veau. «Là je fais un nœud autour de son cou, et je veille à l’attacher loin de moi pour éviter les coups de tête ou de pattes», explique l’élève. Serge Moroy surveille attentivement chaque geste. «Il est essentiel d’apprendre à manipuler des bovins, pour leur prodiguer des soins par exemple. Bien savoir le faire, c’est éviter les accidents du travail. On commence à le faire avec des veaux avant les vaches, c’est moins dangereux», indique-t-il.

Serge Moroy et Yoan, en plein exercice avec un veau.Emma Ferrand / Le Figaro

Surtout, avec cet exercice, Serge Moroy compte faire de ses élèves les meilleurs agriculteurs de France. Et pour le prouver, chaque année, l’enseignant participe avec sa petite équipe au trophée international de l’enseignement agricole (TIEA), au Salon de l’agriculture, à Paris. L’an dernier, c’est d’ailleurs le lycée de Crézancy qui a remporté la coupe. «Travailler avec ces jeunes est un tel bonheur. Je pourrais être à la retraite depuis 3 ans, mais je continue. Je ne vois ici que des gens motivés et passionnés. Ils sont volontaires pour faire des centaines d’heures de bénévolat pour divers projets», confie avec fierté leur prof.

«Les dettes et les suicides ne me découragent pas»

Pour autant, les enseignants ne cachent pas leur inquiétude quant à la difficulté du métier d’agriculteur, qui mobilise la profession sur les autoroutes depuis plusieurs jours. «Nous parlons du sujet sans ambiguïté avec les élèves. Nous réfléchissons avec eux aux filières qui sont le plus viables financièrement et l’importance d’avoir du temps pour une vie familiale ou sociale», affirme Morgane Ianna, professeure de zootechnie auprès des équidés depuis 8 ans. Le directeur de l’établissement, Ridha Djerbi, lui, se veut plus optimiste : «Les enseignants les encouragent. Je ne suis pas inquiet pour la filière, malgré la situation actuelle.»

Cassy, 19 ans, étudie au lycée agricole depuis 4 ans.Emma Ferrand / Le Figaro

Les jeunes, eux, ne fléchissent pas face aux discours alarmants. «Bien sûr que les agriculteurs font bien de manifester face aux normes injustes mises en place. Les banques ne veulent même plus prêter d’argent aux fils d’exploitants. Être agriculteur aujourd’hui c’est être comptable, ingénieur... Mais ça ne me fait pas peur. Je suis motivé», avance Clément, 17 ans, en terminale technologique, dont les parents sont d’anciens élèves de Crézancy. Yoan se souvient aussi : «Mon grand-père ne voulait pas que je fasse le même métier que lui. Mais je n’y peux rien, c’est devenu une passion. Les dettes et les suicides sont certes inquiétants, mais cela ne me découragera pas.» Cassy, étudiante en 1ère année de BTS Analyse, conduite et stratégie de l'entreprise agricole (ACSE), confie quant à elle avoir «dû batailler» avec sa mère. «Elle ne comprenait pas que je veuille en faire mon métier. Elle avait peur», précise la jeune femme blonde, qui suit son apprentissage dans une ferme voisine. «Les journées commencent tôt et finissent tard. Mais j’aime ce que je fais», ajoute-t-elle en laissant un veau lui lécher la main.

Une ambiance «familiale»

Au lycée Crézancy, qui dispose d’un internat logeant environ deux tiers des élèves, le sourire est sur toutes les lèvres. Tous se connaissent, qu’ils soient en filière agriculture ou viticulture (le lycée produit chaque année plus de 20.000 bouteilles de champagne). «L’ambiance est vraiment familiale, parce qu’on est peu nombreux et parce qu’on est passionné par ce qu’on étudie», note Jérémy, 18 ans, en 1ère année de BTS ACSE. Pour autant, certains ne se voient pas poursuivre l’aventure dans le secteur. «J’aime vraiment ce lycée agricole et m’occuper des chevaux. Mais je préfère que cela reste un loisir. Je voudrais entrer en licence d’anglais», indique Mathéa, 18 ans, en terminale pro.

Si de nombreux jeunes ont été bercés par les tracteurs, les meuglements et l’odeur du blé auprès de leurs parents exploitants, certains ont attrapé le virus de l’agriculture seuls. Pour les accompagner au mieux, différents cursus à l’image de la richesse des activités du secteur sont à leur disposition au lycée public de Crézancy, sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et largement subventionné par la région Hauts-de-France. «Cet établissement est une vitrine de l’agriculture de demain. Il y a une méconnaissance des filières du secteur chez les collégiens et lycéens Nous devons les faire connaître davantage», conclut le directeur, Ridha Djerbi.