Crampes, fatigues, troubles digestifs, maux de tête… En France, près d’une femme sur deux est atteinte de symptômes au moment de ses règles (1). « Des douleurs parfois incapacitantes, difficiles à concilier avec le travail et pourtant toujours taboues », regrette Hélène Conway-Mouret. C’est pour briser ce silence que la sénatrice PS dépose ce jeudi 15 février une proposition de loi pour la mise en place d’un arrêt menstruel financé par la Sécurité sociale. La mesure : accorder un à deux jours d’arrêt par mois aux femmes dans le besoin, sans délai de carence et sur la base d’un certificat médical valable un an.

En 2023, trois propositions de loi similaires ont été déposées, toutes rejetées. Le texte porté par Hélène Conway-Mouret a déjà été retoqué en commission des affaires sociales le 9 février par les élus de droite et du centre, qui redoutent des conséquences négatives en matière d’organisation pour les entreprises.

Face à cela, un collectif de plusieurs maires (y compris de droite et centristes) a publié le 6 février une tribune dans Libération dans laquelle ils déclarent soutenir la mesure. Il s’appuie sur des exemples de pays étrangers l’ayant déjà mis en place, mais aussi sur des expérimentations menées en France qui, jusqu’à preuve du contraire, sont une réussite.

Améliorer les conditions de vie au travail et la performance des salariées

En la matière, Media Monks Paris fait partie des précurseurs. L’agence de communication, 120 salariés dont 70 femmes, a mis en place l’arrêt menstruel dès 2021. L’idée est partie du terrain : « Une de nos collaboratrices souffrait de dysménorrhée (douleurs pendant les règles, NDLR) l’empêchant de venir travailler, se souvient Philippe Rousseau, le secrétaire général. Nous avons d’abord expérimenté le dispositif à l’échelle de son équipe, et comme cela fonctionnait bien nous l’avons soumis par sondage à l’ensemble des salariés. Tous y étaient favorables. »

Même son de cloche chez Louis Design, fabricant de mobilier écoresponsable, qui l’a instauré début 2022. « 45 % de l’équipe de production, des ébénistes qui sont debout toute la journée, sont des femmes, explique Thomas Devineaux, PDG de la start-up de 18 salariés. Pour la qualité de vie au travail comme pour la performance, il est préférable d’avoir des travailleuses reposées et efficaces plutôt qu’en souffrance, sous médicament, forcées de faire acte de présence… »

Le dispositif d’une PME à l’autre est sensiblement le même : les salariées souffrant de règles incapacitantes ont droit à un (voire deux) jour par mois, selon leurs besoins. Tout se base sur du déclaratif : elles n’ont qu’à avertir leur manager ou les ressources humaines de leur absence, ce qui n’entraîne en tout état de cause aucun financement de la Sécurité sociale.

« En moyenne, 10 % des salariées y ont recours, ce qui correspond à la proportion de femmes qui seraient atteintes de règles très douloureuses, témoigne Xavier Molinié, DRH à Goodays, spécialisé dans la relation client et comptant une centaine de salariés. Et il n’y a pas d’usage automatique et aucun abus : elles adaptent l’arrêt menstruel selon leurs besoins – tantôt une demi-journée, tantôt une journée, parfois du télétravail… »

Des entreprises plus attractives

Bien qu’encore peu nombreuses à l’avoir mis en place, les sociétés ayant franchi le pas se disent toutes satisfaites : aucune baisse de productivité n’a été observée. Mieux : elles témoignent d’une hausse significative d’attractivité. « En mettant en place cet arrêt, les entreprises donnent un signal fort aux jeunes femmes, en proposant un environnement de travail où leur bien-être est assuré », soutient Hélène Conway-Mouret.

Dans le public aussi, l’arrêt menstruel séduit : les villes de Saint-Ouen (PS), Abbeville (UDI), Strasbourg (Les Verts) l’ont récemment intronisé. Et à une autre échelle : la métropole de Lyon le propose à ses 9 600 agents, dont 50 % de femmes, depuis octobre 2023 sur la base d’un certificat médical valable un an. « Il y a eu quelques craintes au début de la part de certains salariés managers, mais pour le moment, les retours sont positifs. Quatre-vingts femmes l’ont déjà utilisé », témoigne Zémorda Khelifi, vice-présidente déléguée aux ressources humaines.

Interrogés sur la mise en place d’un dispositif national, nos interlocuteurs s’y disent tous favorables, prenant pour beaucoup l’exemple de l’Espagne qui l’a inscrit dans la loi en février 2023. « En matière de santé des femmes, qu’il s’agisse de règles, d’endométriose ou de fausses couches, conclut Xavier Molinié, le code du travail français est un véritable vide législatif. »

(1) Enquête auprès des femmes sur l’impact des règles dans leur vie, Ifop pour Intimina, 2021.

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10 % des Françaises concernées par l’endométriose

La dysménorrhée, terme médical donné aux douleurs abdomino-pelviennes qui précèdent ou accompagnent les règles, toucherait près d’une femme sur deux. Elle peut être le syndrome d’une maladie gynécologique comme l’endométriose, pathologie qui touche environ une femme sur dix en France.

Dans un sondage Ipsos Endovie de 2020, 65 % des femmes touchées indiquaient ressentir un impact négatif sur leur quotidien professionnel en raison des douleurs, du manque de concentration en résultant et des difficultés à se rendre au travail.

En 2012, une étude de la Fondation mondiale de recherche sur l’endométriose menée dans dix pays estimait à 9 579 € par femme et par an le coût moyen de l’endométriose : 3 113 € liés aux soins (répercutés sur le système de santé) et 6 298 € liés à la perte de productivité (répercutés sur l’employeur). Quant au coût sociétal de la maladie, il est estimé à 10,6 milliards d’euros en France.