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Étienne Ghys : «Les professeurs des écoles ne sont pas à l'aise en mathématiques»

Étienne Ghys est connu pour sa recherche en géométrie et sur les systèmes dynamiques, ainsi que ses travaux de vulgarisation.
Étienne Ghys est connu pour sa recherche en géométrie et sur les systèmes dynamiques, ainsi que ses travaux de vulgarisation. LUDOVIC MARIN / AFP

Le mathématicien, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, reconnaît que les résultats de Pisa sont «loin d'être réjouissant» mais juge «un peu triste de réduire une question qui mérite de la subtilité à un classement».

Mathématicien, Étienne Ghys, 68 ans, est secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. Normalien, il est connu pour sa recherche en géométrie et sur les systèmes dynamiques, ainsi que ses travaux de vulgarisation. Si le résultat en mathématiques des élèves français au test Pisa 2022, publié ce 5 décembre, est «loin d'être réjouissant», il rappelle que la comparaison de pays dont les systèmes scolaires et culturels sont si différents, n'est pas toujours opportune. Il invite à se pencher sérieusement sur la formation des enseignants du primaire.

LE FIGARO.- En mathématiques, le classement Pisa 2022 place la France dans la moyenne des pays de l'OCDE, et au 26e rang, loin derrière Singapour, Hong Kong, la Corée, l'Estonie, le Japon et la Suisse. Que pensez-vous de ce résultat ?

ÉTIENNE GHYS.- Il est loin d'être réjouissant. Pisa est sans aucun doute un test incontestable. Mais je trouve toujours un peu triste de réduire une question qui mérite de la subtilité à un classement. Je veux bien que l'on compare un petit Français d'aujourd'hui à un petit Français d'il y a 30 ans. Mais le comparer à un Finlandais ou un Singapourien n'a pas de sens. Ils ne parlent pas la même langue, n'ont pas la même culture, ne suivent pas les mêmes programmes scolaires. Pour autant, je ne suis pas en train de minimiser le fait que l'école primaire ne va pas bien.

Comment expliquer que la France ne soit pas dans le haut du classement, alors qu'elle produit des médaillés Fields ?

Ce n'est pas un paradoxe. Pisa mesure les performances des élèves à 15 ans. Ce n'est pas à 15 ans qu'on décroche une médaille Fields, mais à 40 ans. Il faut donc avoir eu un bon professeur 30 ans plus tôt. Notre système scolaire, dans son école primaire, est en difficulté. Il ne l'est pas dans son système d'élite. Les écoles normales supérieures, les classes prépa de Louis Le Grand et Henri IV sont excellentes. Mais elles recrutent de plus en plus dans une même partie de la société. Ce qui n'était pas le cas il y a 30 ans. Au fil de ma carrière à l'école normale de Lyon, j'ai vu arriver de plus en plus d'enfants de mes collègues mathématiciens. Les écoles normales supérieures ne sont plus l'ascenseur social qu'elles étaient à mon époque. Je suis issu d'une famille modeste.

Il faut donc agir à l'école primaire. Comment ?

Par la formation des enseignants. Le ministre envisage de les recruter plus tôt, avec un concours à bac+3. Voilà une bonne nouvelle. Aujourd'hui, les futurs professeurs des écoles font des licences de n'importe quoi, qui ne sont pas tournées vers leur futur métier. Ils n'ont ensuite que deux ans pour se former, en master. Je n'ai pas forcément envie de revenir à la IIIe république, à l'instituteur et au curé, mais du temps des écoles normales, les maîtres étaient respectés. Leurs études étaient financées. Ils avaient un rôle fondamental. Aujourd’hui, leur formation et leur salaire sont insuffisants.

En mathématiques, la difficulté tient au fait que 85% des professeurs des écoles n'ont pas eu de formation scientifique depuis leur licence. Face aux élèves, ils ne sont pas à l'aise. Ils font d'ailleurs plus de français que de maths. L'Éducation nationale a par ailleurs tendance à considérer que les maths sont un bloc indépendant des autres disciplines, notamment les sciences. Présenter les mathématiques comme une discipline autonome, qui forme à l'abstraction, sans rien de concret, ce n'est pas très drôle pour les élèves. Il y a aussi un problème avec les manuels scolaires, qui proposent souvent des exercices qui n'ont ni queue ni tête et des énoncés incompréhensibles.

Reste-t-il selon vous en France des traces des « mathématiques modernes»?

Oui, même si elles sont infimes. Certains profs ont été formés dans cette vague de l'abstraction pure, de la théorie des ensembles, dans les années 60-70. C'est l'esprit français. Depuis les années 70, l'enseignement des mathématiques a été simplifié. De la seconde à la licence, beaucoup de choses ont été supprimées. Je ne le regrette pas. Lorsque j'étais élève, j'étais souvent le seul de ma classe à comprendre.

Que dire de la « méthode de Singapour », qui met en place un apprentissage explicite des mathématiques ?

Je ne la connais pas dans le détail, mais j'ai l'impression que l'on me décrit les mathématiques de mon enfance, avec les bûchettes pour additionner et les parts de gâteau pour diviser…

Cette méthode aborde peu la géométrie. Quelle place accorde-t-on à cette discipline en France ?

Il n'y a presque plus de géométrie en France. Quand on étudie le théorème de Pythagore en 4e, aucun prof ne juge utile de le démontrer. C'est pourtant assez simple, avec un puzzle par exemple. En ce qui me concerne, ce fut un éblouissement. J'avais le sentiment de maîtriser une vérité, en dehors du savoir transmis par mon enseignant. Cette force des mathématiques, c'est un antidote contre le complotisme ! La géométrie est une forme de raisonnement utile dans la vie quotidienne. Elle a presque disparu au lycée et en classes prépas. Dans le même temps, d'autres disciplines, comme les probabilités et l’informatique sont arrivées depuis 30 ans, et il est bien sûr nécessaire de leur laisser une place. Cette évolution est valable dans tous les pays.

De quelle manière l'Académie des Sciences agit-elle ?

Par le biais de La main à la Pâte, qu'elle a créée en 1996 . Cette fondation, lancée à l'initiative de Georges Charpak, prix Nobel de physique, développe un enseignement des sciences fondé sur l'investigation, à l'école primaire et au collège. Elle a développé en France 12 maisons pour les sciences, où les professeurs peuvent venir se former. Mais c'est insuffisant. C'est une belle action qu'il faut préserver, un véritable catalyseur. L’Académie des sciences publie aussi des rapports, en toute indépendance par rapport au Ministère.


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53 commentaires
  • Guy Sauzet

    le

    Beaucoup d’approximations : les maths modernes à la place de l’arithmérique dès le CP, c’était vers 1981-85, ma fille ainée les a subi dés son entrée à l’école primaire en 1985.
    Les enseignants du primaire n’ont plus de contact avec les mathématiques dès la sortie du lycée s’ils ont choisi des études supérieures littéraires, et non à la fin de la licence.
    Comme souvent, il n’ont jamais été bons en maths, nombreux sont ceux qui ne savent pas raisonner une règle de 3… quand à la preuve par 9, pour vérifier le résultat d’une multiplication, elle est inconnue des jeunes enseignants.
    Enseigner au primaire est un métier qui nécessite une formation professionnelle, pour avoir une maitrise complète des matières au programme : de l’arithmétique au français, de l’histoire aux SVT, de la musique au sport. On en est très loin !

  • sequanix

    le

    Il faudrait une sérieuse épreuve de math avec note éliminatoire pour être admis en INSPE. Les diplômes qui y donnent actuellement accès sont sans valeur.

  • Anti pastèque

    le

    Les profs des écoles sont majoritairement nuls en maths et en sciences en règle générale car recrutés dans les filières littéraires ou socio ou psy sans issue pro. Malheureusement ils sont aussi souvent mauvais en français ce qui en dit long sur les fac de lettres et socio ou psy.

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