Série

Les Français par eux-mêmes

Épisode 55/64

La Croix L’Hebdo : Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?

Rachel Le Dirach : Je me lève pour mes vaches. Je ne peux pas les laisser sans présence humaine : ce sont des êtres vivants. Je me lève aussi par passion pour ce métier, même si parfois cela se retourne contre moi : certaines personnes ne comprennent pas que je puisse autant aimer mon métier. Et à mon tour, je peux être déçue par ceux qui ne comprennent pas le monde dans lequel j’évolue, alors que je m’efforce de faire les choses bien. Cette passion, je la retrouve chez mes confrères. Beaucoup d’entre eux disent souvent : « Heureusement que je suis passionné, qui se lèverait tous les jours pour bosser et ne rien gagner ? » Heureusement, notre métier nous apporte beaucoup. Je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre : j’aime ce que je fais.

Au travail ça se passe comment ?

R. L. D. : Depuis peu, nous ne sommes plus que deux associés, mon fils et moi. Mon mari vient de partir à la retraite, mais il continue d’être présent pour nous aider, et mon père donne aussi un petit coup de main. Nous avons aussi un apprenti pour me remplacer lorsque je suis aux réunions du bureau de notre coopérative, Innoval, dont je suis administratrice. Je la représente aussi au comité d’élus du territoire Est-Morbihan. Tout cela s’est fait un peu naturellement : j’ai d’abord participé au comité de territoire avant de remplacer un administrateur de la coopérative parti à la retraite. J’ai toujours aimé apporter mon point de vue, échanger des arguments. Le collectif, pour moi, c’est important.

En qui avez-vous confiance ?

R. L. D. : Au premier abord en tout le monde. Je suis plutôt de nature à faire confiance. Avec l’expérience, j’ai aussi plus confiance en moi qu’à mes débuts. Je suis plus sûre, plus sereine, ce qui permet d’avancer. J’ai aussi confiance dans mes pairs, au sein de la coopérative. J’aime l’idée de cheminer ensemble. Forcément, on y trouve des idées et des personnalités différentes, il faut composer avec tout le monde, puisque les autres doivent aussi composer avec moi.

À la ferme, je sais que je peux m’appuyer sur mon mari et mon fils. Il y a parfois des journées qui sont plus compliquées que d’autres. Depuis le début de cette semaine, j’ai perdu trois vaches, une de maladie, une à la suite d’un vêlage et la troisième à la suite d’une chute. C’est vraiment exceptionnel, alors qu’il y a des années sans aucune mortalité. À côté de ça, trois petits veaux sont nés. On essaie donc d’effacer les mauvais moments, et de ne pas ruminer tout ça. Cela ne sert à rien. Mais parfois, la charge mentale est telle que je peux comprendre que certains agriculteurs solitaires, dans certaines situations, puissent envisager le suicide.

Une scène vous a-t-elle marquée récemment ? Racontez-nous.

R. L. D. : J’ai participé aux barrages organisés par ma profession en début d’année, à la Trinité-Surzur et Nivillac (56). Nous étions très nombreux, c’est l’une des rares fois où j’ai vu autant d’agriculteurs manifester partout en France en même temps. Tout le monde était remonté. Je suis syndiquée à la FNSEA, mais j’ai vu beaucoup de confrères non syndiqués. Ils attendaient quelque chose de l’État, une reconnaissance.

Les normes, notamment environnementales, pèsent au quotidien. Il faut sans cesse remplir des dossiers. Tout est devenu un peu plus compliqué. En plus, on a l’impression d’être tout le temps fliqués. Nous sommes par exemple contrôlés deux fois par jour par satellite. Il y a un ras-le-bol des prix trop bas, des normes imposées, d’une société qui ne sait pas ce qu’elle veut réellement. Elle demande du bio, du bien manger, mais ce n’est pas toujours possible. Dans notre ferme, passer au bio est impossible économiquement. À la suite de nos manifestations, il semble y avoir eu des avancées. Pour l’instant, ce sont des paroles, pas des actes.

Là, tout de suite, qu’est-ce qui vous changerait la vie ?

R. L. D. : Avoir des prix rémunérateurs. C’est ce que tout le monde demande. Que l’on ne soit plus redevable des subventions de la PAC et qu’on vive de la vente des produits. On serait plus serein pour faire des investissements. Dans notre élevage, par exemple, nous avons le projet d’installer des robots de traite. C’est un investissement. Mais comment l’envisager alors qu’on nous achète 42 centimes le litre de lait ?

Et pour demain, une idée pour changer le monde ?

R. L. D. : Ouh là ! Peut-être une meilleure communication ? J’ai l’impression qu’on arrive de moins en moins à se comprendre malgré les nombreux outils numériques. On est moins tolérant. On a du mal à se mettre autour d’une table pour confronter nos idées et arriver à un consensus. Moi, je préfère ouvrir ma porte à n’importe qui plutôt que de témoigner sur Facebook. D’ailleurs, chaque année, lors de la « rando-ferme » organisée par la commune, je fais visiter ma ferme aux participants. Ce sont souvent des personnes sensibles au monde agricole. Les détracteurs, eux, on ne les voit pas.