Un jeune apprenti lors d'une atelier de plomberie à l'Université Régionale des Métiers de l'Artisanat, le 26 septembre 2014 à Arras

Pour que ces métiers perdurent, la transmission des savoir-faire est fondamentale.

afp.com/PHILIPPE HUGUEN

Les tracteurs redémarrent, les campements éphémères disparaissent et le trafic reprend. Après les annonces gouvernementales sur l’agriculture du jeudi 1er février, les manifestants ont reçu l’ordre, de la part la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs - les syndicats majoritaires -, de libérer les routes occupées depuis plusieurs jours en France. Le mouvement aurait pu s’étendre au-delà de la famille des exploitants. Il a d’ailleurs été question que les artisans du bâtiment rejoignent la cause pour protester, eux aussi, contre l’excès de normes et de tâches administratives. Comme le secteur agricole, l’artisanat se retrouve aujourd’hui à la croisée des chemins. "Malgré l’attrait pour nos métiers, nous souffrons d’une pénurie de main-d’œuvre. Elle est même un sujet de société pour assurer la transmission des 300 000 entreprises artisanales à reprendre d’ici 10 ans", souligne Joël Fourny, président de la Chambre de métiers et de l’artisanat en France (CMA France).

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On parle ici de quelque 250 métiers divers, du plombier au tapissier d’ameublement, en passant par le tailleur ou le carreleur. A partir des années 1970, le secteur a connu un regain d’énergie, alors qu’on annonçait sa mort. "Portée par les élites administratives, cette idée selon laquelle l’artisanat allait disparaître au profit de l’industrie s’est répandue. On s’est finalement rendu compte que la grande entreprise n’était pas forcément la panacée pour créer des emplois. De manière plus récente, dans le contexte de la mondialisation, les professionnels ont pu jouer sur le fait qu’ils offraient des emplois non délocalisables", rappelle l’historien Cédric Perrin. "L’artisanat est très fort dans des secteurs peu industrialisables, cela répond à des besoins. En outre, depuis la fin du XXe siècle, les pouvoirs publics mettent en avant la notion d’entrepreneur", poursuit l’auteur de Entre glorification et abandon. L’Etat et les artisans en France (1938-1970). Le nombre d’entreprises artisanales est désormais en croissance et dépasse 1,5 million, contre 800 000 dans les années 2000. Un boom "en grande partie lié à la loi sur les microentrepreneurs qui fait gonfler les statistiques", précise-t-il.

Pénible et utile

L’artisanat affiche aujourd’hui deux visages. Côté pile, celui d’un métier pénible, solitaire et souvent mal rémunéré, avec un déficit de notoriété. "On ne fait pas assez découvrir notre palette de métiers, malgré tout le travail que l’on fait sur l’orientation et la communication. On reste sur des bases de professions que tout le monde connaît comme boucher, boulanger ou fromager", regrette Laurent Munerot, président de la Confédération nationale de l’artisanat des métiers et des services (Cnams). Dans une étude récente menée avec OpinionWay, Tout faire, le premier réseau français de négoces indépendants en matériaux de construction, montrait que si 70 % des Français avaient une vision positive de l’artisanat en bâtiment, 69 % d’entre eux considéraient ces métiers comme pénibles. "Il faut une prise de conscience sur le fait que ce sont des métiers choisis et non des métiers subis", soutient Cédric Fabien, président de Tout faire.

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Côté face, l’artisanat jouit de l’image d’un métier utile, promouvant le savoir-faire français et en accord avec les enjeux actuels de transition. "On retrouve également des motivations qui ont toujours été celles de l’artisan : ne plus avoir de patron", note Cédric Perrin.

Comment transmettre les savoir-faire ?

Pour que ces métiers perdurent, la transmission des savoir-faire est fondamentale. C’est la mission que s’assignent depuis plus de 80 ans les Compagnons du devoir. Cette association, qui propose 36 métiers, accompagne des jeunes du CAP au master en chaudronnerie, en serrurerie ou encore en menuiserie, avec un esprit bien spécifique : "Nous avons une règle : on vient, on nous donne et une fois que l’on a pris tous les conseils, c’est à nous de les transmettre", explique Quentin Bournazel, mécanicien de formation et "prévôt" - formateur - de la maison des Compagnons du devoir de Paris. Cette organisation joue un rôle majeur dans la persistance des métiers non visibles. "On attire énormément dans les professions du bois, mais on a beaucoup plus de mal avec ceux de la couverture pour des raisons d’image", illustre Marc Jarousseau, délégué régional pour l’Ile de France.

Grâce à l’apprentissage, chaque jeune a la possibilité de se frotter en conditions réelles à chaque métier. Ce contrat de travail, qui avait perdu ses lettres de noblesse, est aujourd’hui poussé par le gouvernement. "L’apprentissage est dans l’ADN de l’artisanat. On l’a certes revalorisé, mais cela a profité aux business school et aux études supérieures. Il vaudrait mieux favoriser les métiers de l’économie de proximité pour les jeunes qui n’ont pas les moyens ou les capacités de faire des études directement", juge Laurent Munerot de la Cnams.

Chez les Compagnons du devoir, au cours des dix dernières années, les profils des candidats ont changé. "Alors que classiquement, il s’agissait plutôt d’ouvriers qui se mettaient à leur propre compte, on voit maintenant arriver de nouvelles catégories sociales", constate Cédric Perrin. Pour Quentin Bournazel, la peur de la pénibilité ne doit plus être un frein. "Ces métiers ont une certaine réputation, mais les technologies ont beaucoup évolué. Le tailleur de pierre n’est plus du tout le même qu’il y a 100 ans", assure-t-il. Parmi les nouveaux venus, beaucoup de reconversions. Un avantage dans la mesure où un artisan est avant tout un chef d’entreprise. Gestion des commandes, vente, comptabilité… "Ces personnes ont un très bon niveau professionnel et viennent créer une structure dans un délai assez court. Certaines viennent de sociétés du CAC 40, ils n’ont pas peur de bouger. Changer de métier est possible", insiste Marc Jarousseau.

Accompagner les reconversions

La reconversion est, en effet, devenue un vivier majeur pour le secteur. Après plusieurs années dans l’édition, Valérie Le Rol a quitté son travail en 2019, à l’âge de 48 ans, pour devenir céramiste. Après sa formation, elle a rejoint en 2022 la start-up Wecandoo qui propose à travers sa plateforme plus de 6 000 ateliers à travers la France. Le principe est simple, la jeune pousse est "un créateur d’offre" : elle propose aux artisans d’animer des sessions de formation avec le public pour mettre en avant leur savoir-faire, moyennant une commission. "On cherche à éduquer et remettre ces métiers au cœur du quotidien. L’artisanat a un peu disparu en raison de son caractère individualiste", avance le cofondateur Edouard Eyglunent.

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Début 2024, Wecandoo a franchi le cap des 500 000 participants depuis sa création en 2017. Le Covid a joué un rôle d’accélérateur. "Nous avons une vraie connaissance du marché. Notre rôle est d’inscrire les professionnels dans une démarche entrepreneuriale", ajoute-t-il. Sans Wecandoo, Valéry Le Rol assure qu’elle n’aurait jamais pu se lancer. Dans les locaux de l’entreprise, à Paris, elle bénéficie d’un accès à tous les équipements nécessaires au métier de céramiste. Chaque semaine, elle dirige cinq ateliers. "C’est un métier complet, il faut une connaissance technique évidemment, mais un bagage de comptable est aussi nécessaire. Il faut être multitalents", soutient la quinquagénaire entre deux tournages de poterie. Elle espère désormais transmettre sa passion aux novices. Wecandoo s’en félicite déjà : plusieurs participants à ses ateliers ont décidé de sauter le pas de l’artisanat en se reconvertissant. Une petite victoire.

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