Les plus touchés sont les cadres et les professions à hautes qualifications. Informaticiens, journalistes, secrétaires juridiques et assistants administratifs, data scientists, auditeurs… Tous ces métiers pourraient être affectés dans un futur proche. « Au cours des dernières années, nous avons vu les IA s’améliorer de jour en jour pour effectuer des tâches de plus en plus complexes », constate Pamela Mishkin, chercheuse à OpenAI et l’une des autrices de l’étude.
D’autres sont moins pessimistes, comme Thierry Rayna, professeur à l’Ecole polytechnique : « L’idée que l’on va remplacer tous les cols blancs par des algorithmes n’est pas d’actualité, annonce-t-il. Les intelligences artificielles sont, au mieux, un bon apprenti ou un bon stagiaire. »
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Ce bond technologique est aussi l’occasion de créer de nouveaux métiers. D’après une étude du cabinet de conseil PwC portant sur le marché du travail au Royaume-Uni, publiée en 2018, ces technologies engendreront autant d’emplois qu’elles en détruiront. Les IA sont une opportunité pour faire évoluer des métiers en supprimant les tâches rébarbatives, selon Stijn Broecke, économiste à l’OCDE. « Beaucoup de salariés vont monter en compétence en délaissant des missions quotidiennes sans valeur ajoutée », avance-t-il. Agriculteurs, médecins, enseignants… Toutes ces professions devraient gagner en productivité grâce aux IA. L’avenir paraît plus sombre pour les traducteurs ou les développeurs informatiques.
Des agriculteurs soutenus par l’innovation
France, 2030. Un tracteur dépourvu de conducteur, doté de capteurs de précision et guidé à distance, sillonne les champs pour récolter le blé. Dans la parcelle voisine, un viticulteur récolte ses grappes assis dans sa machine, qui fait le travail de dizaines de vendangeurs. Pas un nuage dans le ciel – les prévisions météo, soutenues par l’intelligence artificielle, se sont révélées exactes. Pierre, lui, prend soin d’Eglantine, une vache laitière dont le vêlage imminent a été détecté par les caméras présentes dans l’élevage.
Si ces scènes peuvent sembler sortir d’un ouvrage de science-fiction, elles n’ont rien de fantaisiste : toutes ces technologies existent déjà – certaines sont même en voie d’industrialisation. Une course à l’innovation qui va des grands fabricants de machines agricoles, comme le géant CNH, à des start-up comme aiHerd, qui analyse le comportement des animaux grâce à des caméras.
Ferme d’élevage. En suivant le comportement du bétail, aiHerd peut contribuer à améliorer son alimentation. Crédit: aiHerd
Les bénéfices attendus sont multiples : optimisation de la consommation de pesticides, de carburant ou d’alimentation pour les animaux, amélioration de la gestion de l’eau et du bien-être animal, mais aussi automatisation des tâches pénibles ou diminution des besoins de main-d’œuvre.
Reste toutefois à adapter ces innovations aux différents types d’agriculture, mais également à les rendre plus abordables. Aujourd’hui, le matériel de pointe demande un investissement de plusieurs dizaines, voire de centaines de milliers d’euros par exploitation – ce qui le limite aux grands groupes céréaliers, aux élevages intensifs ou aux cultures à forte valeur ajoutée comme la vigne.
Des innovations aux coûts modérés, comme celle d’aiHerd, ou le développement de solutions « low tech », plus spécifiques à certaines tâches et moins gourmandes en énergie ou en matériel dernier cri, pourraient contribuer à rendre l’IA accessible à tous.
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Des salariés de la logistique sous pression
Le stow machine gun et l’idle time. Ces deux anglicismes sont dans le viseur de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et désignent des pratiques courantes dans les entrepôts d’Amazon Logistique France. La première note lorsqu’un article est scanné « trop rapidement » et la deuxième signale si une période d’inactivité d’un salarié est supérieure à dix minutes. Le 27 décembre dernier, le groupe a été condamné à une amende de 32 millions d’euros « pour avoir mis en place un système de surveillance de l’activité et des performances des salariés excessivement intrusif ».
Autres pratiques sanctionnées par la Cnil : la conservation des données recueillies durant 31 jours et son manque de transparence à l’égard de ses salariés. « Ces usages illustrent le phénomène d’automatisation des corps lié au recours à l’IA dans la logistique », note Olga Kokshagina, chercheuse en management de l’innovation.
L’IA se trouve ainsi mêlée à un dispositif de surveillance générale : compilation des données, collecte et stockage. Le but est d’augmenter la productivité et d’aller toujours plus vite. Amazon a précisé qu’il allait supprimer le stow machine gun et passer l’idle time à 30 minutes. L’accélération du recours à l’IA dans le secteur de la logistique devrait pousser les entreprises à faire preuve de plus de transparence sur leurs pratiques.
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Des traducteurs privés de leur savoir-faire
L’académicien Amin Maalouf n’est ni un prophète ni un spécialiste en IA. En octobre dernier, invité de l’émission La Grande Librairie, l’écrivain se prenait pourtant à rêver de « minuscules appareils de traduction immédiate » que chacun porterait « autour des oreilles ».
L’immortel s’y voit déjà : « Nos interlocuteurs pourraient nous parler en suédois, en swahili, en coréen, en bengali… » Le traducteur et interprète de conférence Xavier Combe s’étrangle. « Notre profession est déjà en train de mourir, lâche-t-il. Ce qu’il décrit, c’est l’essence de notre métier. »
Concurrencés par Google Translate, DeepL ou Reverso, les traducteurs et interprètes voient leur carnet de commandes se réduire à mesure que ces logiciels se perfectionnent. « Je fais partie des plus pessimistes », admet Xavier Combe. « Avec de grands événements comme les JO de Paris, nous devrions être débordés, ce n’est pas le cas », se navre-t-il.
Les entreprises, comme la RATP, font déjà appel à des logiciels de traduction. Pendant les Jeux, les messages d’urgence seront ainsi traduits par des IA. « A chaque incident, l’annonce sera transcrite en texte et affichée sur les écrans en plusieurs langues », explique Gaëlle Bou, la directrice marketing de Systran, qui a mis au point cet outil de speech to text. « Le métier de traducteur va changer, admet la directrice de Systran. Il va surtout devenir de plus en plus spécialisé. »
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Longtemps recherchés et cajolés par les entreprises, les développeurs informatiques voient leur métier rattrapé par les progrès des IA génératives. Outre les performances de Copilot, le logiciel de Microsoft bénéficiant des ressources d’OpenAI, ce sont les entreprises reines du software qui sont mises sous pression : Adobe, SAP, Salesforce et leurs concurrents. « Les grandes entreprises se posent la question aujourd’hui d’internaliser le développement de leurs propres logiciels, note Aimé Lachapelle, associé au cabinet de conseil en stratégie Emerton Data. La course est menée par ceux qui utilisent la technologie le plus tôt afin d’accroître leurs avantages compétitifs. »
Et les investisseurs suivent pour multiplier la concurrence face aux leaders bien installés. Fin janvier, c’est la start-up de la Silicon Valley Codeium qui a levé 65 millions de dollars, la valorisant 500 millions. Sa promesse est simple : améliorer la productivité des équipes de développeurs, leur permettant ainsi de dégager plus de temps pour leurs tâches créatives, plutôt que d’écrire des lignes de codes à rallonge.
L’entreprise affirme qu’elle permet d’automatiser 44 % du code écrit par ses centaines de milliers d’utilisateurs. Et son but ultime risque de signer la fin du métier de développeur : permettre à tout un chacun, sans aucune connaissance, d’écrire du code à partir d’une simple idée.