Journalisme : l’IA va-t-elle engendrer de nouveaux métiers ?

En collaboration avec l'École W
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L’essor des intelligences artificielles transforme considérablement le paysage professionnel : émergence de nouveaux métiers, changements durables dans d’autres… Pour certains domaines comme celui du journalisme, l’IA peut également être source d’inquiétudes. Alors que certains y voient la découverte d’un nouvel avantage appréciable, d’autres se posent des questions sur l’avenir de leur métier, et sur leur potentiel remplacement.

Dans ce contexte, plusieurs questions peuvent émerger : comment les IA vont-elles faire évoluer le secteur ? S’agit-il d’une opportunité ? D’une menace ? Comment s’adapter à toutes ces transformations ? Pour y répondre, nous avons rencontré Karen Bastien, data journaliste et fondatrice de We Do Data.

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Crédit photo : Karen Bastien / École W

 

JUPDLC : Tout d’abord, comment l’IA transforme-t-elle actuellement le monde professionnel ?

Karen Bastien : Il est toujours bon de prendre du recul quand une technologie débarque et concentre l’attention de tous. Et surtout, je ne répondrai que du point de vue du secteur des médias et non pas de celui de l’ensemble du monde professionnel. En effet, selon moi, les prophéties générales n’ont aucun sens étant donné la diversité des IA génératives et des problématiques sectorielles.

Tout d’abord, l’IA est déjà présente dans le monde des médias depuis longtemps pour des actions très spécifiques : gestion dynamique des abonnés, taggage automatique de contenus, rédaction automatique de contenus optimisés pour le référencement, correction de textes, génération massive de textes connectés à des résultats live (élections, météo, Bourse, sports…). La mise à disposition de cette génération d’IA générative incarnée par ChatGPT a finalement rendu visible et grand public l’accès à une technologie utilisée jusqu’ici de manière professionnelle.

La transformation pour les médias s’effectue sur deux plans : tout d’abord en interne : quelles stratégies adopter pour intégrer le meilleur de ces outils pour une rédaction, sachant qu’ils ne cessent d’évoluer et qu’ils sont pour beaucoup des boîtes noires. Puis en externe : comment identifier et décrypter cette avalanche de messages et de fausses photos, vidéos et deep fakes propulsés par des armées de bots, dans un objectif de désinformation et de manipulation.

 

JUPDLC : Quels seront les domaines où de nouveaux métiers pourraient émerger ?

Karen Bastien : Toujours en restant sur le secteur du journalisme, je ne vois pas de nouveaux métiers émerger, mais des métiers existants s’enrichir.

Les journalistes vont apprendre à travailler avec différents outils d’IA : extraire des données en un clic, suivre l’actualité 24/7, vérifier des faits en temps réel, traduire en autant de langues que l’on souhaite, transcrire l’audio, générer automatiquement des brouillons… ChatGPT ne va pas remplacer un journaliste, mais un journaliste sachant l’utiliser dépassera tous les autres ! La maîtrise de l’écriture du prompt va par conséquent devenir clé. D’autre part, les journalistes spécialisés en fact-checking devront s’outiller pour détecter les deep fakes.

De leur côté, les community managers dans les rédactions vont s’appuyer sur des outils d’IA pour travailler de manière plus optimisée afin de toucher plus de cibles et des lecteurs différents.

Les directions artistiques risquent, elles aussi, d’être confrontées à de véritables dilemmes tels que travailler avec des photographes et illustrateurs ou réaliser les productions via des IA génératives d’images. Ce sont les chartes d’utilisation de l’IA dans chaque rédaction qui donneront les directions à prendre et les lignes rouges à ne pas dépasser.

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Crédit photo : Jakob Owens / Unsplash

 

JUPDLC : D’un point de vue régulation, quel sera, selon vous, le rôle des gouvernements vis-à-vis de l’émergence des IA ?

Karen Bastien : Je ne suis pas spécialiste de la régulation, mais j’imagine que le respect du droit d’auteur, la transparence des modèles d’entraînement – et donc du fonctionnement des IA actuelles -, le souci de défendre une information de qualité et l’indépendance européenne doivent être des valeurs qui guident nos dirigeants.

 

« Il faut un changement d’état d’esprit des médias français qui, contrairement aux pays anglophones, ne se sont jamais perçus comme des lieux de R&D et d’innovation ».

 

JUPDLC : Pour les métiers de la communication, de la rédaction ou du journalisme, l’IA est-elle, selon vous, une opportunité ou une menace ?

Karen Bastien : Je dirai les deux, comme dans toute révolution technologique. Si l’IA permet de prendre en charge des tâches répétitives et de soulager le journaliste sur des actions sans plus-value intellectuelle, alors il pourra se concentrer sur l’investigation, sur la recherche d’angles différenciants, sur le travail sur le terrain… Qui pourrait se plaindre de cela ? Par exemple, le média Numérama propose désormais une newsletter entièrement générée par une IA qui, à partir des articles écrits dans la semaine par la rédaction, propose une réécriture de ceux-ci pour le format newsletter.

Mais pour cela, il faut que les rédactions ne se positionnent pas comme des « consommateurs de technologies », elles doivent devenir des « acteurs des IA ».

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À la différence des réseaux sociaux ou du web qui étaient des médiums par lesquels les médias n’avaient pas d’autres choix que de s’engager, ici, on est face à un outil. Impressionnant certes, mais un outil que l’on peut maîtriser. Il y a une vraie expertise européenne et des labos français qui travaillent depuis des années sur le sujet et qui n’attendent que de collaborer avec d’autres acteurs comme les médias. Donc la possibilité de personnaliser ces intelligences artificielles ou encore de les alimenter avec sa matière première informationnelle est immense. Pour devenir une opportunité pour les médias et créer une sorte de PressGPT, il faut un changement d’état d’esprit des médias français qui, contrairement aux pays anglophones, ne se sont jamais perçus comme des lieux de R&D et d’innovation.

 

JUPDLC : Comment les écoles vont-elles s’adapter pour former les futurs travailleurs de l’IA ?

Karen Bastien : Les écoles de journalisme vont devoir accompagner cette révolution, comme elles l’ont fait de tout temps quand les radios sont passées au numérique, quand les caméras de télévision ont évolué, quand les logiciels de mise en page ont muté, quand le web a débarqué, quand le podcast a percuté la manière de penser des formats sons… C’est donc dans l’ADN de ces écoles de vivre avec les bouleversements technologiques !

Le plus complexe va être de savoir comment acculturer les étudiants face à la multiplicité des outils d’IA existants, qui ne cessent d’apparaître et d’évoluer. Il va également falloir lutter contre des usages déjà présents et pourtant catastrophiques comme la confusion concernant l’usage de ChatGPT comme un moteur de recherche. Cette IA se fiche éperdument du vrai ou du faux, elle cherche le vraisemblable (c’est ce pour quoi elle a été programmée). Et quand elle ne le trouve pas, elle l’invente ! D’ailleurs, d’une fois à l’autre, ChatGPT ne donne pas la même réponse. Il est donc crucial de rappeler qu’il ne s’agit pas d’un moteur de recherche ni d’un cerveau humain. Sauf qu’aujourd’hui, environ 30 % des Français qui utilisent ChatGPT le font comme moteur de recherche et 30 % s’en servent comme d’une base de connaissances.

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Crédit photo : Kenny Eliason / Unsplash

 

JUPDLC : Aujourd’hui, comment l’IA transforme-t-elle déjà le travail des étudiants ?

Karen Bastien : Beaucoup l’utilisent déjà pour réaliser des lettres de motivation, voire remplir des dossiers de candidature… C’est trop tentant ! Pour les étudiants en journalisme, il va falloir entrer dans une phase d’apprentissage en mode « test and learn ». Ce qui est assez nouveau. Nous ne sommes pas face à un outil que tout le monde doit maîtriser et où on n’a qu’à lire la notice et visionner des tutoriels en ligne. Ici, on est face à une technologie qui se déploie dans de multiples usages et donc d’innombrables outils. Les étudiants doivent donc tester, documenter ces tests, dresser une liste des plus et des moins et se construire eux-mêmes leur banque d’outils IA.

 

JUPDLC : Dans un futur plus ou moins proche, pour les entreprises, le refus de l’IA sera-t-il, selon vous, un frein à l’innovation ?

Karen Bastien : Il y a quelque chose d’assez vain, me semble-t-il, à refuser une évidence. Le diable ne rentrera pas dans sa boîte. Et pour arrêter de le voir comme un diable d’ailleurs, il faut mettre les mains dans le cambouis et devenir des acteurs des IA.

 

JUPDLC : Comment les entreprises peuvent-elles s’adapter à cette nouvelle ère ?

Karen Bastien : Là, encore, je ne répondrai que du point de vue d’une entreprise média. Il ne faut pas se précipiter, mais engager dès maintenant des essais à l’échelle de son média. Car chacun a ses propres problématiques, ses propres besoins. Mélanger les équipes rédactionnelles, techniques et marketing peut être également très puissant comme l’a montré le hackathon organisé en interne par l’agence Contexte. Et puis échanger avec d’autres médias, collaborer avec des partenaires scientifiques car il n’y aura pas un bon usage de l’IA générative, mais de multiples, qui seront liés aux spécificités du média : positionnement, public visé, sources de données…

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Crédit photo : Who is Danny / Adobe Stock

 

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