Pour accomplir leurs missions, les forces de l’ordre doivent-elles, parfois, s’écarter de la loi ou faire un usage de la force au-delà de ce qui est toléré ? Face cette question sensible, policiers et gendarmes apportent des réponses quelque peu ambivalentes. Comme si, pour une bonne partie d’entre eux, il était acceptable de franchir de temps en temps la ligne jaune au nom de l’efficacité de leurs actions. Ce constat un peu dérangeant est mis en lumière par une étude inédite, publiée mardi 27 février par le défenseur des droits.

Dans cette étude, 80,5 % des policiers et gendarmes disent certes que donner un « coup non justifié » à un suspect est « grave ou très grave ». Neuf sur dix réprouvent l’usage de la force pour obtenir des aveux. Mais dans le même temps, une majorité (51,8 %) estime que mener à bien leurs missions est prioritaire sur le respect de la loi. Et six répondants sur dix (59,8 %) jugent que, dans ce cas, on peut tolérer un usage plus important de la force que ce qui est prévu dans les textes.

Un sujet d’une actualité cruciale

Cette étude a été menée par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). Elle repose principalement sur les réponses de 976 gendarmes et 655 policiers à un questionnaire adressé entre juin 2022 et mars 2023. L’objectif était de mesurer le rapport de ces professionnels à la déontologie et à la population.

Le sujet est d’une actualité cruciale. Si dans les sondages, les Français disent toujours leur forte confiance envers les policiers et les gendarmes, de multiples interrogations sont nées récemment sur des violences lors de manifestations ou la pratique de contrôles d’identité répétés et jugés discriminatoires par nombre de jeunes dans certains quartiers.

Au-delà du rapport ambigu à la règle sur l’usage de la force, l’étude est intéressante sur les contrôles d’identité. « Ces contrôles sont nombreux puisque la Cour des comptes a récemment estimé leur nombre à 47 millions en 2023 », souligne Claire Hédon, la défenseure des droits. « Or, l’intérêt de cette pratique est loin de faire l’unanimité puisque près de 40 % des policiers et des gendarmes jugent que des contrôles fréquents ne sont pas ou peu efficaces pour garantir la sécurité d’un territoire », ajoute-t-elle.

Autre constat : les gendarmes ont un usage plus modéré des contrôles que les policiers. « D’abord parce qu’ils travaillent sur des territoires où ils connaissent généralement bien les habitants. Mais les gendarmes interrogés sont aussi conscients des effets potentiellement négatifs de contrôles répétés qui peuvent créer du ressentiment », analyse un des coauteurs de l’étude, Jacques de Maillard, directeur du Cesdip.

« Cela n’apparaît pas dans l’étude mais on sait que des policiers procèdent aussi à de nombreux “contrôles prétexte” pour rechercher une infraction, ce qui est pourtant interdit. Chez certains d’entre eux, le contrôle est aussi vu comme un outil dans le rapport de force avec certains habitants. Un outil pour asseoir leur domination », analyse l’autre coauteur, Sebastian Roché politiste au CNRS.

Nécessaire renforcement de la formation des policiers

Selon l’étude, 12 % des gendarmes et 5,5 % des policiers disent avoir suivi une formation continue dans l’année écoulée sur la désescalade de la violence. « Près de la moitié des agents (45,7 %) estiment avoir été insuffisamment formés aux droits des citoyens. Lors de leur formation initiale, seuls 66,6 % ont étudié le droit des mineurs, 53,5 % le droit de la non-discrimination, 28,8 % le droit des réfugiés et des étrangers », note Claire Hédon, en insistant sur l’absolue nécessité de « renforcer la formation des forces de l’ordre afin de garantir une meilleure compréhension mutuelle, désamorcer les tensions et trouver un apaisement ».

L’enquête fait aussi apparaître la difficulté du travail des forces de l’ordre : 40,8 % des répondants ont été insultés ou agressés verbalement au moins une fois lors du mois écoulé. Pour près d’un tiers des policiers (28,9 %), cela s’est produit au moins à trois reprises.

Près d’un policier sur cinq (19,1 %) déclare avoir été « poussé » ou « bousculé » au moins une fois durant le mois écoulé. Seuls 23,8 % des policiers et 34,3 % des gendarmes sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « on peut globalement faire confiance aux citoyens pour se comporter comme il faut ».

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Les autres enseignements de l’étude

Une satisfaction au travail. 78,9 % des gendarmes et 72,7 % des policiers disent être « très satisfaits » ou « assez satisfaits » de leur poste actuel.

Une conception répressive du métier. 59,6 % des policiers privilégient l’arrestation des délinquants comme mission prioritaire contre 48,1 % des gendarmes. Ceux-ci sont 22,6 % à considérer que leur mission première est de prévenir la délinquance contre 6,3 % des policiers.

Un regard partagé sur le code de déontologie. Celui-ci est jugé utile, davantage chez les gendarmes (83,4 %) que chez les policiers (73,6 %), mais aussi peu adapté aux situations pour 40,6 % des répondants. Pour 52,8 % des policiers, c’est avant tout un « outil de contrôle ».