La caméra ne décolle pas de ses pas, l’image est saccadée : le docteur Jamal Abdel-Kader n’a pas un instant pour souffler. C’est dans un établissement parisien, en 2020, que le documentariste Nicolas Peduzzi a choisi de s’immerger, pour filmer le quotidien de ce fils de médecins syriens établis en France. Le jeune psychiatre tente d’entendre des histoires cabossées – certaines scènes peuvent être difficiles à voir – et de tisser de vrais liens avec ses patients, dans une impossible course contre la montre.

Il invite l’une d’entre elles à trouver une alternative à ses pulsions suicidaires, dans une habile comparaison avec la manière dont les artistes expriment leur douleur, et crée des ateliers théâtre pour permettre la catharsis. Ces moments capturés en noir et blanc par Pénélope Chauvelot viennent se superposer au récit, en musique, tout en laissant courir la voix des interlocuteurs au second plan. Mais les photos subliment un service public à bout de souffle.

Illustrer l’invisible

Jamal et ses internes évoquent leurs angoisses lors de discussions à l’air libre dans les escaliers de service, seul moment de répit des soignants : « Ces missions sont impossibles à faire correctement. Est-ce qu’on ne se rend pas complices de quelque chose de fou ? », s’interroge le psychiatre. « C’est dur, c’est impressionnant, c’est vertigineux, témoigne une de ses collègues, j’en ramène un bout à la maison. » Ces confidences permettent de jolis plans nocturnes et urbains, hors de ce huis clos étouffant.

Tant bien que mal, la caméra illustre l’invisible dans le bruit constant des sirènes : les maladies psychiatriques, mal connues, trop peu considérées, et craintes, selon Jamal. Si la proximité avec les patients redonne de l’humanité à un travail dont la dégradation des conditions ne cesse d’être dénoncée, le documentaire manque quelque peu de distance avec son sujet. Lors de séquences particulièrement émouvantes, les effets de ralenti dénaturent parfois un propos pourtant nécessaire.

Sur arte.tv jusqu’au 29 avril 2024.