Le grand plaisir de Nicolas Bailleux, le directeur général de la branche services aux opérations de Sodexo France, est d’offrir un excellent moelleux au chocolat « fait maison » aux visiteurs du tout nouveau laboratoire du groupe, situé à Rungis (Val-de-Marne). Ce n’est qu’après la dégustation qu’il en donne la recette : « C’est une préparation à base de lentilles cultivées à quelques mètres d’ici, c’est un produit local, végétal et sans gluten. Il résume très bien notre philosophie : il faut que ce soit bon, sain, responsable et éventuellement végétal. »
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Le leader mondial de la restauration collective ouvre ses portes à Challenges en ce début d’année pour dévoiler en avant-première sa toute nouvelle organisation opérationnelle. Nom de code : « Prêt à cuisiner. » Une évolution imaginée de longue date mais qui a été dictée par les changements d’habitudes beaucoup plus rapides que prévu des salariés en France. « Le succès du télétravail, la semaine de quatre jours mais aussi les changements qui affectent les entreprises depuis la pandémie de Covid nous ont obligés à nous remettre en cause », explique Sabine Sakthikumar, la directrice générale en charge des nouveaux modèles de restauration à Sodexo.
« Nos clients sont ravis »
Pour l’entreprise qui est aussi spécialiste de la restauration scolaire et dans les hôpitaux (une catégorie d’établissements non concernés par ce plan), pas question de laisser perdurer le déclin de la bonne vieille cantine au travail, même si ses habitués lui sont de plus en plus infidèles. Ils travaillent souvent depuis chez eux et même lorsqu’ils sont au bureau, ils ont tendance, par souci de productivité, à déjeuner sur le pouce sans quitter leur poste, en allant acheter un en-cas à l’extérieur, en apportant leur plat préparé chez eux ou même en passant commande sur une plateforme de livraison. « On constate une décrue colossale dans la restauration collective entre 20 et 30 % sur l’ensemble de la semaine et même 50 % le vendredi en Ile-de-France », indique David Vidal, directeur du cabinet Simon-Kucher & Partners France.
Voilà pourquoi Sodexo a imaginé de centraliser les premières préparations de ses cuisines d’entreprises dans deux grands laboratoires œuvrant pour tous leurs sites de l’Ile-de-France et de la Normandie, soit près de 200 restaurants, 20 tonnes de produits transformés et 50 000 repas par jour.
Avec cette réorganisation il y aura moins de commis en cuisine et certains d’entre eux vont passer en salle afin d’améliorer le service. Crédit: Jeremy Lempin/Sodexo
« On continue à préparer les plats sur place, dans chaque restaurant mais les légumes arriveront déjà épluchés, les cuissons lentes des viandes auront été effectuées et tout sera livré sous vide », explique Nicolas Bailleux. Ainsi, le moelleux au chocolat est bien élaboré dans le restaurant d’entreprise, mais à base de lentilles précuites dans l’atelier de Rungis. Idem pour un bœuf carottes, le plat est réalisé sur place mais avec un bœuf arrivé précuit, et des carottes déjà découpées.
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En élaborant ainsi plus de 40 % de ses préparations en amont, Sodexo peut limiter les gestes dans les cuisines installées dans les entreprises clientes. « Quand nous annonçons que nous allons libérer des mètres carrés, 30 % en moyenne, et que nous allons diminuer notre consommation d’énergie de 25 %, d’eau de 30 %, nos clients sont ravis », souligne Nicolas Bailleux.
30 millions d’euros investis
Autre conséquence, il y aura besoin de moins de commis en cuisine. Une partie d’entre eux va passer en salle afin d’améliorer le service. Certains iront travailler dans les nouveaux ateliers centraux et des postes pourraient être supprimés. La nouvelle organisation fait l’objet d’une procédure d’information des syndicats. « Nous sommes inquiets car des emplois peu qualifiés et à temps partiel vont être impactés et nous sortons déjà d’un plan de sauvegarde de l’emploi qui a concerné plus de 1 000 postes », déclare Fabienne dos Santos, coordinatrice de la CGT.
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Sodexo dit ne pas savoir encore si cela permettra d’améliorer la rentabilité, en revanche la qualité y gagne forcément. En centralisant ses achats de matières, réalisés auprès de fournisseurs référencés, Sodexo simplifie sa production et devrait bien réaliser des économies d’échelle. « Nous ne dépendrons plus de fournisseurs industriels en achetant en circuit court et désormais nous contrôlerons nos recettes sans aucun additif, ni conservateur. » C’est l’une des premières préoccupations des convives, identifiée comme un facteur déterminant pour les faire revenir à la cantine et même au bureau.
A Rungis, la visite du laboratoire de 1 500 mètres carrés, entré en service fin janvier, donne une idée claire du processus. Sauteuses géantes, méga-éplucheuses, tunnel de marquage… Les équipements flambant neuf avec une ligne de production pour les produits carnés et deux pour les végétaux permettent de réaliser des quantités impressionnantes de préparations.
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Un circuit de visite a été installé afin d’inviter les clients de Sodexo, pour les convaincre, sans gêner la production en cours sous atmosphère protégée.
Pop Up Lab' de Sodexo. Crédit: Jeremy Lempin/Sodexo
L’investissement s’élève à 30 millions d’euros dont 20 millions pour les deux ateliers centralisés et 5 millions pour la création du système informatique dernier cri. Une somme coquette pour une industrie peu rentable mais qui risque d’obliger la concurrence à s’aligner.